Plusieurs fois donné pour mort, il a toujours fini par réapparaître. Alors que la rumeur de la disparition du leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, circule depuis plusieurs jours, son décès a été confirmé par ses rivaux du groupe jihadiste de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap). L’homme qui terrorise le nord-est du Nigeria depuis une décennie se serait suicidé lors de combats, a affirmé le groupe dans un enregistrement audio.
«Shekau a préféré l’humiliation dans l’au-delà à l’humiliation sur Terre. Il s’est donné la mort en déclenchant un explosif», déclare en langue kanuri une voix semblant être celle du chef de l’Iswap Abu Musab Al-Barnawi, dans cet enregistrement remis à l’AFP par une source relayant habituellement les messages du groupe. Boko Haram ne s’est pas exprimé sur la mort annoncée de son chef, et l’armée nigériane dit enquêter.
Dans son enregistrement, Iswap décrit comment ses troupes, envoyées dans l’enclave de Boko Haram, dans la forêt de Sambisa, ont découvert Shekau assis dans sa maison et ont engagé le combat. «Il a battu en retraite et s’est échappé, errant à travers la brousse pendant cinq jours. Néanmoins les combattants [de l’Iswap] ont continué à le chercher et à le traquer jusqu’à ce qu’ils soient capables de le localiser», raconte la voix. Après l’avoir débusqué dans la brousse, les combattants d’Iswap l’ont sommé, lui et ses partisans, de se repentir, mais Shekau a refusé et s’est donné la mort, poursuit-elle.
L’Iswap, reconnu par l’Etat islamique, est né en 2016 d’une scission avec Boko Haram, auquel il reproche notamment des meurtres de civils musulmans. Après être monté en puissance, il est désormais le groupe jihadiste dominant dans le nord-est du Nigeria, multipliant les attaques d’ampleur contre l’armée nigériane. «Nous sommes tellement heureux», souligne la voix, ajoutant que Shekau, qui a pris la tête de Boko Haram en 2010, est «quelqu’un qui s’est rendu coupable d’un terrorisme et d’atrocités inimaginables».
Plus grande zone sous le contrôle de l’Iswap
Cette montée en puissance du groupe, qui semble désormais sur le point d’absorber les combattants de Boko Haram et de prendre possession de ses anciens territoires, inquiète les analystes, car elle signifie que l’Iswap dispose désormais d’une plus grande zone sous son contrôle, mais aussi de plus de combattants et d’armes à disposition. Les hostilités entre Boko Haram et Iswap profitaient également à l’armée nigériane.
«Si l’Iswap convainc les forces de Shekau de le rejoindre, il contrôlera la majorité des forces ennemies et sera en outre présent dans l’essentiel des zones échappant au contrôle gouvernemental dans le nord-est», explique dans une note Peccavi Consulting, une société d’évaluation du risque spécialiste de l’Afrique. Toutefois, l’Iswap va probablement devoir convaincre ou combattre d’autres factions de Boko Haram loyales à Shekau, qui disposent encore d’importants bastions notamment de part et d’autre de la frontière avec le Cameroun à Gwoza, Pulka, et dans les montagnes de Mandara, ainsi qu’au Niger. «Ce n’est peut-être pas fini, l’Iswap va devoir soumettre ou convaincre ces groupes de s’unir à lui, pour consolider totalement son contrôle», a expliqué une source sécuritaire.
Depuis 2019, l’armée nigériane s’est retirée des villages et bases de petite importance, pour se retrancher dans des «supercamps», une stratégie critiquée car elle permet aux jihadistes de se déplacer sans entraves dans les zones rurales. Après sa prise de la forêt de Sambisa, l’Iswap a envoyé des messages aux habitants de la région du lac Tchad, aux confins du Nigeria, du Niger, du Cameroun et du Tchad, les disant bienvenus dans son «califat» autoproclamé, a expliqué Sallau Arzika, un pêcheur de Baga, localité des rives du lac.
Les habitants de la région ont été chassés des îles du lac Tchad par l’Iswap qui les accusaient d’espionner pour le compte de l’armée. Al-Barnawi leur a indiqué qu’ils pouvaient retourner pêcher et faire du commerce, après paiement de taxes, avec l’assurance qu’il ne leur serait fait aucun mal, a expliqué le pêcheur. Depuis le début de la rébellion du groupe islamiste radical Boko Haram en 2009 dans le nord-est du Nigeria, le conflit a fait près de 36 000 morts et deux millions de déplacés.
Source: Libération