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Niger : de la révolution de palais à l’échiquier mondial

Les événements qui se déroulent à Niamey depuis une semaine donnent le vertige. Si la situation n’était pas porteuse de lourdes menaces elle en serait cocasse. Comment a-t-on pu passer en quelques heures d’un coup nigéro-nigérien, fort prévisible au demeurant, à un épisode de guerre froide qui risque d’embraser le Niger et plus largement toute l’Afrique de l’Ouest ? C’est un cocktail d’aveuglement, d’erreurs d’analyses, de prophéties auto-réalisatrices, d’émotions l’emportant sur la raison.

En finir avec la fable…

Avant toute chose, pour comprendre la situation actuelle, il faut en finir avec la fable du « Niger, exemple pour la démocratie ». Non l’élection présidentielle de 2021 n’a pas été libre, crédible et transparente. Ce fut une passation de pouvoir entre l’ancien Président Mahamadou Issoufou qui ne pouvait pas se représenter à un troisième mandat et son allié et ami de 30 ans, Mohamed Bazoum. Condamner le coup d’Etat est une chose, répéter comme un mantra : il faut remettre dans ses fonctions « le président démocratiquement élu » en est une autre. Non seulement cette formule a le don d’agacer les Nigériens, qui considèrent ce scrutin comme le plus frauduleux de l’histoire du pays, mais elle ne permet pas de trouver des solutions à la crise. Comment trouver des réponses justes en partant d’un postulat faux ?

L’ex en embuscade

Le deuxième élément est la faiblesse du président, actuellement retenu par le CNSP – (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, organe créé par les militaires au pouvoir). Tout au long de ses deux années à la tête du pays, il n’a jamais réellement pu asseoir son autorité. Mahamadou Issoufou tirait les ficelles et restait incontournable. Pour preuve, pas un dirigeant étranger ne s’est rendu à Niamey sans passer par la résidence de l’ex. Si la junte bénéficie d’une onction au sein de la population, surtout de celle de Niamey, ce n’est pas tant à cause de Mohamed Bazoum, qui n’a pas démérité et a su se rendre populaire, que par le rejet massif de l’ancien Président et du système du PNDS, le parti au pouvoir qui a pris le pays en otage depuis plus d’une décennie.

Quel a été le rôle de Mahamadou Issoufou dans ce coup d’Etat ? Sa proximité avec le général Tchaini, chef de la garde présidentielle, auteur du putsch et nouvel homme fort du Niger, a légitimement engendré des suspicions. Le scénario selon lequel, Abdourahamane Tchiani, aurait agi pour le compte de l’ancien Président, puis l’aurait trahi sous la menace du reste de l’armée est le plus communément admis par ceux qui suivent de près le Niger. Mondafrique a décrit les hypothèses qui circulent pour évoquer les raisons de la trahison par l’ancien Président, l’ami de 30 ans : des velléités d’indépendance de Mohamed Bazoum ; son implication dans l’uranium gate qui lui a fermé les portes du poste de Secrétaire général des Nations Unies qu’il convoitait ; la volonté de garder la main sur les affaires.

Un autre élément crucial n’est jamais évoqué : le pétrole nigérien. L’oléoduc entre le Niger et le Bénin qui devrait être opérationnel dans les semaines à venir est un tournant majeur pour l’économie du pays. Niamey s’apprête à devenir un exportateur d’or noir plus important que Malabo. De quoi susciter quelques convoitises… Ce n’est pas un hasard si Sani Mahamadou, le fils, aujourd’hui incarcéré par le CNSP, avait été judicieusement nommé ministre du Pétrole dans le dernier gouvernement. C’est un enjeu de taille autrement plus important que l’uranium qui fait couler tant d’encre et qui n’est stratégique ni pour la France, ni pour l’Union européenne. Le Niger est le cinquième fournisseur, loin derrière le Kazakhstan et le Canada.

L’aveuglement

Au départ, c’est donc bien une révolution de palais nigéro-nigérienne qu’aucun des partenaires du Niger n’a anticipée. Selon le Canard enchaîné, lors du dernier conseil de Défense, Emmanuel Macron se serait montré furieux envers le patron de la DGSE : « Le Niger après le Mali, ça fait beaucoup ». Qu’il se rassure, les Américains qui disposent de plus de 1000 hommes sur place à Agadez dans leur plus grande base de drones, à Niamey et dans leur base de la CIA à Dirkou au nord du pays n’ont rien vu venir non plus. Pas plus que les Italiens et les Allemands qui ont, eux aussi, des militaires sur place. Pourtant, c’était prévisible, comme l’écrit le  chercheur Rhamane Idrissa  : « Au Niger, un coup d’État n’est pas une surprise, mais une probabilité statistique.» Pour quatre de réussis au cours de son histoire, combien de manqués ? Le dernier en date a eu lieu la veille de l’investiture de Mohamed Bazoum. Comment comprendre alors cette cécité ? Réponse : la fable. Comment un putsch pourrait-il être envisagé dans un pays qui « est un exemple de démocratie » ? Comment soupçonner Mahamadou Issoufou, récipiendaire du prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance ?

Autre élément de réponse, le professionnalisme des leaders du coup, qui ont été formés à bonne école. A l’instar de Salaou Barmou, patron des forces spéciales du Niger qui a essuyé son uniforme sur les bancs de l’université de la Défense nationale à Washington et qui le mois dernier s’entretenait encore avec le chef du Commandement des opérations spéciales de l’armée américaine à Agadez.

L’internationale kaki et la peur de l’Ours

Sans anticipation, le coup d’Etat du 26 juillet a eu un effet de sidération sur les partenaires du Niger. L’effet cumulatif, il y a eu cinq coups d’Etat en Afrique de l’Ouest en moins de trois ans (deux au Mali, deux au Burkina Faso et un en Guinée) les a également exaspérés. La peur de voir s’installer une « internationale kaki » dans la région a aussi joué. Mais leur plus grande appréhension a été une reproduction du schéma malien : l’arrivée de la Russie sur le sol nigérien avec à la clé le départ de leurs forces. Que le coup soit nigéro-nigérien sans implication de la Russie et que Moscou l’ait condamné importe peu. L’angoisse demeure. Le scénario est politiquement cauchemardesque pour Emmanuel Macron après les humiliations subies au Burkina Faso et au Mali. Les Américains ont, eux aussi, beaucoup à perdre. Stratégiquement la zone est importante, ils ont investi des centaines de millions dans leurs bases au Niger qui leur permettent de contrôler une partie de la région et surtout la Libye. Pour l’instant, Washington s’est bien gardé de déclarer le coup d’Etat, une telle qualification juridique les obligerait à partir.

Posture martiale

Les réponses ont été à la mesure de leurs angoisses. Américains et Français ont, sous couvert de la CEDEAO, poussé pour que les sanctions les plus dures jamais mises en place depuis celles de 2010 en Côte d’Ivoire soient imposées à ce pays. Que cet Etat soit l’un des plus pauvres du monde et que la population soit la première victime importe peu. Que, comme au Mali, ces mesures aient un effet contreproductif donnant ainsi aux militaires un argument victimaire appelant à l’unité nationale n’a pas fait réfléchir non plus. Avec Alassane Ouattara, le nouveau Président nigérian, Bola Tinubu, qui assure pour cette année la présidence de l’organisation sous-régionale, est le fer de lance du camp des durs. Abuja qui fournit 70% de l’électricité au Niger a déconnecté sa ligne haute tension. Par mesure de rétorsion, le CNSP a coupé le courant dans la villa de Mohamed Bazoum. Les Nigériens, eux, seront peu impactés, selon les données de la Banque mondiale, seule 21% de la population a accès à l’électricité !

Mais le plus difficile reste à venir. La CEDEAO a donné une semaine au CNSP pour rétablir le « Président démocratiquement élu » Mohamed Bazoum dans ses fonctions et menace d’une intervention militaire. Les chefs d’état-major de l’organisation se sont réunis à Abuja. A la fin de leur conclave, un responsable a déclaré que cette intervention « serait la dernière option sur la table ». Cependant, il semble que tout le monde soit en train de planifier l’intervention avant même la fin des négociations engagées par la CEDEAO et la date de l’ultimatum. Selon un tweet du journaliste Georges Malbrunot : « les forces françaises ont été mise en alerte en Côte d’Ivoire, au Tchad et à Djibouti. » De son côté, par la voix de son Sécrétaire d’Etat, Washington a clairement mis en garde le CNSP au cas où il refuserait de rentrer dans les casernes et Catherine Colonna a fait valoir « son unité de vues avec Antony Blinken ». La France a rapatrié, en concertation avec l’armée nigérienne, ses ressortissants et les Européens qui souhaitaient quitter le pays. Dans le même tempo, les Etats-Unis ont ordonné l’évacuation de leur personnel non-essentiel. Un signe annonciateur du conflit qui se prépare ? La direction de cette intervention militaire serait prise par l’armée nigériane avec Paris, Washington et l’Union européenne en appui.

Le cataclysme

Alors que le Soudan fait face à un conflit ravageur depuis le 15 mai dernier dans l’indifférence générale, que le Tchad en subit les graves conséquences, une nouvelle guerre est tout ce dont le continent a besoin !
Comment ne pas mesurer l’absurdité de la situation ? La CEDEAO et ses alliés vont ouvrir le feu sur un pays déjà en guerre sur deux fronts, Boko Haram au sud-est et l’Etat Islamique dans les Trois frontières. Ils vont donc faire la guerre à leurs frères d’armes qu’ils soutiennent dans la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, Nigériens et Nigérians luttent ensemble contre Boko Haram. En prime, au premier coup de feu, la vie de Mohamed Bazoum sera menacée, il n’y aura donc plus de « Président démocratiquement élu » à remettre sur le trône. De plus, ne serait-il pas pour le moins singulier d’utiliser l’arme fatale pour un putsch potentiellement fomenté par l’un de leur meilleurs alliés, l’ancien Président Mahamadou Issoufou ?

Enfin le conflit s’internationalisera. L’Algérie et la Russie sont sur les mêmes positions, les deux Etats ont dénoncé le coup d’Etat mais sont viscéralement opposés à une intervention militaire. Preuve que l’affaire est prise au sérieux, le 2 août le chef d’Etat-major algérien, Saïd Chanegrina s’est rendu en Russie et Moscou a souligné le rôle d’Alger dans la sécurité régionale.

Si l’intervention militaire voyait véritablement le jour – le pire n’est jamais certain – la déflagration serait majeure. Les opinions publiques africaines n’accepteront pas une nouvelle guerre menée par les Occidentaux, fût-ce derrière le paravent de la CEDEAO. Pour rappel, celles de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye, ont marqué le début du rejet massif de la politique française. Une nouvelle éjecterait Paris du Continent pour des décennies. En outre, dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest ce serait un séisme, un embrasement de toute la sous-région avec des conséquences terribles pour les civils. Sans compter le risque que cette déstabilisation ne profite aux djihadistes ou encore… que la Russie soit appelée en renfort ! La boucle serait alors bouclée…

Leslie Varenne 

Source: https://www.iveris.eu/

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