Le Mali est l’un des rares pays en Afrique et précisément dans la sous-région où les mutilations génitales féminines (MGF) sont encore d’actualité. Malgré les décennies de combats de la société civile et des partenaires au développement pour éradiquer le fléau, les instruments législatifs n’ont jamais suivis, même si le politique affiche des intentions fortes louables.
Les mutilations génitales féminines notamment l’excision, est reconnue à travers le monde comme un crime contre l’humanité. L’excision est une vielle pratique qui a longtemps été perçu comme un acte purificateur. Au fil de l’évolution et du développement de l’homme, il est apparu qu’elle a de graves conséquences médicales (infections, kystes, incontinence, contamination par le VIH Sida), social, psychologique et même économique.
L’excision est présentée aujourd’hui dans le monde entier comme une atteinte aux droits humains car elle est une négation du libre choix de la femme de disposer de son corps. Aussi les victimes sont exposées à des conséquences néfastes à court, et long terme dues à des organes atrophiés, à des cicatrices inhibant la sexualité et les fonctions de reproduction et à des problèmes récurrents.
Au Mali, l’excision a jadis été vue comme un rituel de maturité, elle est aujourd’hui pratiquée sur des enfants pendant leur petite enfance ou sur des femmes en âge de se marier. La situation se présente de façon plutôt inquiétante.
Les chiffres en la matière sont très éloquents chez nous. L’excision tant une pratique profondément ancrée dans la société malienne, elle a un taux de prévalence de 89%. Aujourd’hui, la majorité des Maliens est favorable à son maintien : 73% des femmes et des filles âgées de 15 à 49 ans ; 70% des hommes et des garçons âgés de 15 à 49 ans.
La répartition des prévalences est globalement la même sur le territoire. Les Maliennes sont excisées durant la petite enfance, généralement avant 5 ans. L’opération est souvent exécutée par des exciseuses traditionnelles.
Par ailleurs, on peut dégager plusieurs paramètres afin d’apprécier la prévalence des Mutilations Génitales Féminines (MGF), selon une étude officielle. Tout d’abord, l’appartenance ethnique est considérable. Les communautés telles que : les soninkés, les bambaras, les peuls et les malinkés sont les plus touchées par les MGF. Ensuite, le niveau d’éducation de la population, car au Mali, 58% des femmes maliennes ayant atteint un niveau d’études secondaires sont favorables aux MGF contre 71% des femmes qui ont été à l’école primaire et 77% des femmes qui n’ont jamais été scolarisées. Enfin le niveau des revenus des Maliens, 68% des familles les plus riches pratiquent l’excision contre 74% chez les familles les plus pauvres. Pourtant, le texte législatif fondamental du pays interdit de telles pratiques.
Un arsenal juridique robuste mais…..
Le contexte législatif en République du Mali est assez évasif en la matière.
En effet, de nombreux droits fondamentaux sont compromis par la pratique de l’excision / MGF au Mali.
Malgré les dispositions de la Constitution du 25 février 1992, qui stipule qui en ses premiers articles, pose le principe de l’égalité des hommes et des femmes en droits et en libertés notamment en ses articles : Article 1er : La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ; Article 2 : Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits en devoirs. Toutes discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, la religion, le sexe, et l’opinion politique est prohibée ; Article 3 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des services ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants.
Il y a également les conventions et traités internationaux que le Mali a ratifié et qui aux yeux de la Constitution en son article 116, ont une valeur supranationale. A ce titre, il faut citer plusieurs instruments internationaux et régionaux ratifiés dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH, 1948), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF, 1984) et ses protocoles, le protocole relatif aux Droits des Femmes en Afrique dit Protocole de Maputo Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (1986), et son protocole (2003). Nonobstant ce dispositif impressionnant, il y a un réel vide juridique au Mali en la matière.
En effet, la jurisprudence a prouvé que le phénomène des mutilations génitales n’est pénalement condamnable. Le droit pénal malien ne condamne pas les Mutilations Génitales Féminines, autrement dit il n’existe pas de base légale au niveau national pour lutter contre le phénomène de l’excision. Or, le magistrat Matthieu Traoré affirme qu’ « il parait opportun de la part du législateur de réviser le Code pénal, d’insérer l’excision comme infraction et de déterminer le quantum de la peine applicable, pour lever toute ambiguïté au niveau des professionnels du droit, ou, à défaut, d’adopter une Loi spéciale interdisant ladite pratique en République du Mali, comme dans d’autres pays limitrophes comme le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire. ». Cette loi semble avoir du plomb dans l’aile, car à chaque fois que le législateur a essayé une forte pression des leaders religieux, le force à rebourser chemin.
Des législateurs engagés mais peu courageux ?
Au fil des années un réseau de parlementaires s’est érigé pour sensibiliser leurs pairs de la nécessité d’adopter une loi contre les MGF. Force est de reconnaitre que ce réseau est à la limite inaudible au sein de l’hémicycle. Cependant, ses responsables se battent quand même.
C’est ainsi que le 25 mars 2016 dernier sous la houlette de la présidente du Réseau des parlementaires pour la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, Mme Fomba Fatimata Niambali, un atelier de formation à l’intention des parlementaire a eu lieu. Vu le peu d’engouement des parlementaires pour le sujet, c’est la 5ème vice-présidente du parlement, Assory Aïcha Belco Maïga qui a présidé les travaux. Elle a profité pour faire savoir que cette lutte contre les MGF reste une préoccupation majeure pour le Mali. Elle a cité à ce titre les différentes conventions ratifiées par notre pays dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. «L’engagement politique du Mali contre l’excision s’est manifesté par une série d’actions entreprises depuis 1984 avec la mise en place de COMAPRAT (Comité malien de lutte contre les pratiques traditionnelles), a-t-elle rappelé. Avant d’ajouter que cela s’est accentué avec les associations et ONG à partir de 1991. Mme Assory conclut que la lutte contre les MGF n’est pas la responsabilité d’une personne, d’un acteur ou d’un groupe, mais de nous tous ensemble.
Elle a été suivie dans sa démarche par la responsable du réseau des parlementaires, Fatoumata Niambali, qui a fait un véritable plaidoyer pour l’adoption d’une loi en la matière. Tout montre que cette plaidoirie est restée lettre morte à la poste, car à ce jour le projet de loi de 2009 renvoyé en seconde lecture n’est pas inscrit sur le calendrier des députés en tous cas pas pour cette année 2017.
Des efforts politiques et administratifs louables
Les différents gouvernements du Mali depuis l’avènement de la démocratie ont fait des efforts salutaires sans pour autant aller au fond des choses. Ainsi, en plus des multiples actions entreprises par les organisations non gouvernementales en faveur de l’abandon de la pratique de l’excision. Le gouvernement malien a pris un engagement politique contre l’excision, illustré par une série d’actions entreprises depuis 1984, avec la mise en place du Comité malien de lutte contre les pratiques traditionnelles et la création, en 2002, du Programme national de lutte contre la pratique de l’excision (PNLE).
Déjà en 1999, la lettre circulaire n° 0019 du 7 janvier 1999 émanant du ministre de la santé, de la solidarité et des personnes âgées interdit la pratique des Mutilations Génitales Féminines par le corps médical
Suivi de la mise en place du Comité national d’action pour l’éradication des pratiques néfastes à la santé de la femme et de l’enfant (CNAPN) a été créé en 1999, sans que le décret n°99-157/PM-RM du 16 juin 1999 ne définisse précisément lesdites « pratiques néfastes ».
Le CNAPN est resté inactif comme tous les acteurs qui œuvrent pour l’abandon des MGF dans une dynamique partenariale : société civile, ONG, associations et partenaires au développement. Son rôle était de mobiliser des ressources, d’organiser des activités et des rencontres. Cet effet, le CNAPN a dirigé des actions de plaidoyer qui ont été initiées à l’attention des décideurs politiques, religieux et communautaires.
Plus tard, le gouvernement s’est engagé à partir de 2008 à lutter contre ce phénomène par le lancement de la Politique Nationale de Lutte contre l’Excision (PNLE) et de son plan d’action 2008-2012. Le deuxième plan d’action quinquennal (2012-2019) de mise en œuvre de la politique nationale est actuellement en cours d’élaboration.
Depuis 2002, il existe un projet de loi visant à pénaliser les MGF mais sa promulgation a été constamment repoussée. En effet, le code des personnes et de la famille adopté par l’Assemblée Nationale le 3 août 2009 a été renvoyé pour une seconde lecture suite aux vifs débats qu’il a suscité notamment « la rébellion » des religieux contre le texte de loi. L’objectif des nouvelles dispositions contenues dans cette réforme était de renforcer la protection des droits des femmes maliennes.Malgré ces efforts consentis par le Gouvernement, la prévalence demeure inquiétante à cause des facteurs comme le faible niveau de connaissance des acteurs de la société civile sur les droits humains en général et sur les textes relatifs aux droits des femmes et des enfants en particulier. A cela s’ajoute, la résistance des exciseuses à maintenir la pratique car elle constitue une source de revenus.
Société civile, seule contre tous
Aujourd’hui, force est de reconnaitre que seule la société civile et quelques partenaires se battent pour l’abolition des MGF.L’abrogation des mutilations génitales féminines fait aussi partie du programme de l’UNFPA au Mali, mis en œuvre par plusieurs partenaires à l’instar d’IDEA relief dans les régions de Kidal et Menaka.
Même si le niveau d’engagement des autorités nationales, ainsi que les activités de sensibilisation menées par la société civile et les partenaires ouvrent la voie au changement tant désiré. En effet, après une longue attente et sous la pression de certaines organisations de la société civile, les responsables politiques maliens se sont vus forcés de se prononcer publiquement en faveur de l’abandon de la pratique de l’excision, et du dépôt des « couteaux » par les exciseuses traditionnelles. Comme dans certains pays tels que l’Egypte ou le Burkina Faso, une loi interdisant la pratique de l’excision est actuellement en cours d’élaboration. L’engagement politique des autorités nationales et le mouvement social pour les droits de l’homme laissent espérer que dans un futur proche une loi sera adoptée, en complément des mesures prises pour lutter contre la pratique de l’excision et pour inverser la tendance. En effet, de sévères mesures doivent être prises pour sensibiliser, informer et instruire les Maliens, et rendre ainsi les mesures juridiques à venir plus opérationnelles. Et c’est de là qu’intervient l’ONG IDEA dans les régions du nord du Mali pour sensibiliser et informer.
Yattara Ibrahim
L’Informateur