L’une de nos virtuoses maliennes de la kora, Ballaké Sissoko, livre un nouvel album. Intitulé « Djourou » ou la corde en bamanankan, ce opus est le fruit de sa collaboration avec huit autres interprètes et instrumentistes. Il s’agit de Salif Keita, Oxmo Puccino (France-Mali), Sona Jobarteh (Gambie), Camille, Feu ! Chatterton, Patrick Messina et Vincent Segal de France. Avec ces deux derniers, il interprète la « Symphonie Fantastique » de Berlioz. Un exemple de la façon dont le joueur de kora connecte magiquement son instrument à vingt et une cordes avec d’autres instruments.
Ballaké Sissoko et Vincent Segal ont fait se rencontrer la kora et le violoncelle depuis bien longtemps : leur amitié a donné lieu à deux albums, Chamber music (2009) et Musique de nuit (2015), enregistrés à Bamako où Vincent Segal rend régulièrement visite à Ballaké Sissoko.
« Quand je veux jouer avec quelqu’un, confie le Malien, je dois d’abord comprendre son fonctionnement, construire une amitié : c’est mon premier repère. Et ça demande du temps. » Enregistré à Angoulême dans le studio du contrebassiste de jazz Kent Carter, At Peace rassemble de fait autour de lui des compagnons de longue date et de confiance.
Outre Vincent Segal, on retrouve ainsi Aboubacar « Badian » Diabaté, dont le phrasé de guitare (principalement sur une 12 cordes) et la faconde sans esbroufe sont colorés par son expérience première de joueur de ngoni ; l’essentiel et discret Moussa Diabaté, son complément idéal à la guitare 6-cordes ; et Fasséry Diabaté, dont les subtils traits de balafon figuraient déjà sur les albums Tomora et Chamber Music.
Réunis sur les titres Badjourou et Kalata Diata, les cinq hommes signent une musique qui s’illustre par la sophistication des motifs et des prises de parole. Un art du tissage et de la conversation, qui se poursuit jusque dans les morceaux aux configurations plus resserrées : les deux duos kora-guitare, Boubalaka et N’tomikorobougou, formidable échange de 10 minutes entre Badian et Ballaké, saisi à la volée dans la cour de la maison de ce dernier à Bamako ; le duo kora-violoncelle Kabou ; et la lumineuse reprise en trio d’Asa Branca, le standard du Brésilien Luiz Gonzaga, qui invite tendrement le baião nordestin en territoire mandingue.
Dans les albums Chamber Music (2009) et Musique de nuit (2015), notamment, il a entamé un dialogue subtil avec le violoncelliste français Vincent Segal. Pour le projet 3MA, il a également conversé avec le oud arabe de Driss El Maloumi et la valiha malgache de Rajery.
Le nouveau défi qu’il s’est lancé sur le label No Format est encore plus ambitieux : créer un disque, Djourou, qui convoque pas moins de huit invités, aux styles tous différents. « La kora est née en Afrique, mais elle peut voyager partout, résume Ballaké Sissoko dans les bureaux de son label parisien. Je voulais inviter des amis, partager des idées, sans pression. »
« Je suis dans plusieurs collaborations », confie le fils du célèbre Djéli Mady Sissoko qui a débuté à l’Ensemble instrumental. Ce qui lui permet de jouer avec cinq groupes en France, deux en Italie, un en Grèce et un dernier aux États-Unis. Car dans le milieu professionnel, la kora est un instrument très sollicité. C’est donc une question de programmation. Son agenda est chargé jusqu’en 2021, avec des concerts, des ateliers, des enregistrements, des festivals, d’autres prestations.
Depuis 2002, il participe, avec quelques-uns des plus grands professeurs de musique traditionnelle du monde entier, aux masters classes du célèbre musicien grec Ross Daly.
En 2019, Ballaké Sissoko a été récompensé, en compagnie de Oumou Sangaré, par le Prix Aga Khan de Musique dans la catégorie « Contributions remarquables et durables en faveur de la musique ». Quelques années avant, son album «At Peace» a reçu en novembre 2012 le Grand Prix de l’Académie Charles Cros de France dans la catégorie « Musiques du Monde ».
Y. DOUMBIA
Source : L’ESSOR