Moussa Ag Acharatoumane est le porte-parole du CSP, le Cadre stratégique permanent, qui rassemble tous les groupes armés du Nord du Mali signataires de l’accord de paix de 2015 (des mouvements pro-Bamako de la Plateforme jusqu’aux ex-rebelles indépendantistes de la CMA). Le CSP boycotte les Assises nationales de la refondation qui ont débuté samedi et doivent fixer le calendrier électoral pour la sortie de la transition. Pour quelle raison ? Ces élections doivent-elles se tenir comme prévu en février prochain ? Brouille entre le CSP et le ministre de la Réconciliation, le colonel Wagué : pourquoi le processus de mise en œuvre de l’accord de paix est-il actuellement bloqué ? Moussa Ag Acharatoumane est l’invité d’Afrique matin.
RFI : La Cédéao exige le maintien des élections, législatives et présidentielle, le 27 février. Elle menace les autorités de transition de nouvelles sanctions contre le Mali et leur donne jusqu’à la fin du mois pour faire la preuve de leur engagement. C’est ce que vous attendiez ?
Moussa Ag Acharatoumane : La Cédéao a maintenu sa position de départ, et elle a rappelé aux autorités de Transitions les engagements qu’elles avaient pris vis-à-vis de la Cédéao et de la communauté internationale. Maintenant, tout cela est très dommage parce que ce sont les populations maliennes qui vont payer les conséquences du non respect des engagements qui ont été pris au départ. Mais bon, la réalité sur le terrain, le contexte politique et sécuritaire, tout cela se comprend aussi.
Vous-mêmes, groupes armés signataires de l’accord de paix, vous souhaitez que les élections se tiennent en février, comme prévu ?
Tout ce qui est important pour nous, c’est d’avoir des interlocuteurs fiables et crédibles en face de nous à Bamako. C’est vrai que les élections, c’est quelque chose d’extrêmement important. Mais ceci étant dit, nous comprenons aussi le contexte difficile que le Mali vit. Je pense que les autorités peuvent faire des efforts éventuellement pour joindre les deux bouts : en même temps entendre la Cédéao et la communauté internationale, et en même temps tenir compte du contexte sécuritaire extrêmement difficile dans notre pays.
Donc vous n’êtes pas opposé à un report, mais pas trop long, si je comprends bien ?
Le contexte est extrêmement difficile, ça c’est incontestable. Et on demande aussi la clémence des chefs d’État de la Cédéao par rapport à cela, mais il faut que les autorités maliennes tranchent cette question une fois pour toutes, et qu’elles mettent à la disposition de la communauté internationale un chronogramme clair par rapport à ces élections-là.
La Cédéao, on l’a dit, menace le Mali de nouvelles sanctions. Mais depuis le mois dernier, elle impose déjà un gel des avoirs et une interdiction de voyager pour les représentants des autorités de transition, y compris les membres du CNT, organe législatif, où vous siégez, Moussa Ag Acharatoumane. L’Union européenne a annoncé qu’elle suivrait, sans que ce soit effectif à ce stade. Ces sanctions, à titre personnel, est-ce qu’elles vous gênent ?
Bien sûr qu’elles nous gênent. Parce que d’abord ce sont des sanctions qui ciblent pratiquement tout le monde. On a pris tout le monde, on les a mis dans la même boîte. Maintenant, il fallait mettre la pression peut-être sur les autorités de transition, mais ce n’est pas pour autant que l’on doit sanctionner tous les responsables des pays, sinon après ça devient extrêmement gênant et extrêmement difficile.
Vous-même ça vous pénalise ?
Non, moi personnellement pour le moment ça ne me pénalise pas parce que ça ne concerne que la Cédéao, mais les sanctions ce n’est jamais très bon.
Les Assises nationales de la refondation, censées fixer le calendrier électoral et préparer les futures réformes institutionnelles, ont débuté samedi. Le CSP, les groupes armés signataires, n’y participe pas. Comme de nombreux partis politiques d’ailleurs. Pour quelle raison ?
Nous avons toujours dit que nous ne nous sentons pas impliqués comme il le faut dans la commission d’organisation, dans le panel des hautes personnalités… Malheureusement, les mouvements politico-militaires de l’Azawad, du nord du Mali, n’ont pas été associés comme il le faut au programme de ces Assises. Compte tenu du fait que nous avons été exclus, je pense volontairement, par ceux qui sont sensés organiser les élections, eh bien nous ne voyons pas d’intérêt pour nous de participer à ces Assises.
Boycotter est une chose, mais à Kidal ou Ménaka, votre fief personnel, les groupes armés ont carrément empêché les Assises de se tenir. Là vous remettez en question l’autorité de la Présidence et du gouvernement de Transition…
Non, pas forcément. Je pense que le mot d’ordre que l’on avait donné à nos bases et à nos populations a juste été entendu et suivi par les uns et les autres. Je tiens aussi à préciser que ni à Menaka ni à Kidal, il n’a été question d’hommes armés qui seraient venus pour empêcher quoi que se soit. Dans ces localités-là, comme vous le savez, la majorité de la population est à l’écoute des mouvements politico-militaires. Et je pense que le mot d’ordre a été suivi. Si les populations ne sont pas présentes dans la salle et ne sont pas intéressées par les Assises, je ne vois pas en quoi elles vont se tenir.
Le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), membre du CSP, exige que la lumière soit faite sur l’assassinat de Sidi Brahim Ould Sidati, son secrétaire général tué en avril dernier à Bamako. Pourtant une enquête a été ouverte…
Absolument, une enquête a été ouverte par les autorités maliennes. Justement, dans la déclaration finale du congrès du MAA, ils ont juste demandé que les conclusions de cette enquête soient publiées. Je pense que c’est juste une manière de relancer le processus parce que c’est un sujet sur lequel tout le monde veut savoir ce qui s’est réellement passé.
Pour le moment c’est trop lent ?
Très, très lent. Et on ne comprend pas pourquoi, justement. Nous souhaitons que toutes les interrogations soient levées. Tout le monde a à gagner à ce que la vérité soit connue de tous. Parce que, paix à son âme, Sidi Brahim Ould Sidati était un acteur important dans le cadre du processus de paix. Qu’il se fasse tuer à Bamako et que les assassins continuent à se promener, je pense que c’est quelque chose qui n’aide personne.
Dans son plan d’action gouvernementale, l’été dernier, le Premier ministre Choguel Maïga avait signifié son intention de réviser l’accord de paix, ce à quoi vous, au CSP, n’êtes pas favorable. En a-t-il été à nouveau question récemment ?
Récemment, je n’en ai pas connaissance, mais je pense que pendant les Assises, justement, c’est une thématique sur laquelle il va y avoir des discutions et c’est tout cela que l’on trouve dommage aujourd’hui. On ne peut quand même pas aujourd’hui parler de l’accord de paix en l’absence de mouvements qui sont engagés dans le processus de paix. Et c’est toute la contradiction, aujourd’hui, toute l’impasse, le mur contre lequel les Assises sont en train de se diriger.
Il y a deux mois, un conflit ouvert vous a opposé au ministre de la Réconciliation nationale, le colonel-major Ismaël Wagué -membre de la junte qui a pris le pouvoir en août 2020. Il avait notamment déploré les voyages des représentants du CSP, les groupes armés signataires, dans les pays voisins, comme le Niger. Vous aviez même exigé sa démission. Depuis, la brouille s’est apaisée ?
Je ne dirai pas que la brouille s’est apaisée parce que depuis cette déclaration, malheureusement le processus de paix stagne. Nous n’avons pas compris cette position qui consiste à contester l’union des mouvements armés, qui va en faveur même du processus de paix aujourd’hui. Quant à nos voyages, les mouvements sont des acteurs politico-militaires qui sont dans le processus de paix au Mali. Et à ce titre-là, ils ont des contacts avec toute la communauté internationale, ils vont dans les pays voisins. On n’a jamais compris cette opposition du ministre par rapport au CSP. En tous cas, depuis cette déclaration, il n’y a plus de Comité de suivi de l’accord, malheureusement le processus stagne, mais je pense que la médiation internationale en est consciente. Il y a en tout cas du monde qui se mobilise pour, éventuellement, que les choses reprennent.