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Morts en Méditerranée: que font les Etats africains?

Cet été, les plages de la Méditerranée ont été prises d’assaut par des vacanciers venus de partout pour profiter du soleil et de la mer. L’autre face de la médaille, c’est un nouvel été meurtrier pour ces jeunes originaires du continent africain, qui cherchent par tous les moyens à quitter un pays où, souvent, il n’y a ni guerre, ni famine. Pourquoi ce flux continu ne connaît-il pas de trêve? Et que font les responsables politiques de ces pays pour dissuader les forces vives de leur nation d’aller se noyer dans les eaux méditerranéennes?

 

Alors qu’il se trouvait à la Barbade où il enseignait, le cinéaste Moussa Sène Absa fut profondément choqué par la découverte de onze cadavres de jeunes hommes gisant au fond d’une embarcation partie des côtes sénégalaises, morts de faim, de soif et d’épuisement, après avoir dérivé pendant plusieurs mois; un canot de fortune, échoué sur la plage de cette île qui se trouve à quelque 4500 km de Dakar, en droite ligne.

Lors de la rétrospective qui lui était consacrée par le Festival Cinémas d’Afrique la semaine dernière à la Cinémathèque suisse à Lausanne, Moussa Sène Absa a expliqué l’urgence qui s’est alors imposée à lui, l’impérieuse nécessité de chercher à comprendre et de raconter pourquoi et comment un tel drame a pu arriver. Il a multiplié les allers-retours entre la Barbade et le Sénégal pour aller rencontrer ces jeunes prêts à partir, ainsi que des rescapés de naufrages ou des rapatriés de force depuis l’Espagne.

Dans le film qu’il en a tiré, Yoolé (Le Sacrifice), les jeunes qui témoignent font clairement le lien entre leur classe politique, qui pense avant tout à elle et rarement à eux. Une réalité qui les contraint à l’exil s’ils veulent pouvoir travailler, vivre dignement et venir en aide à leur famille. Le film est parcouru d’extraits de discours d’Abdoulaye Wade, président du Sénégal de 2000 à 2012, dans lesquels il promet monts et merveilles à la jeunesse de son pays, des espoirs déçus au-delà de ce qu’on peut imaginer. Face au public du Festival Cinémas d’Afrique, Moussa Sène Absa a eu des mots très durs pour dénoncer «l’avidité incommensurable» des hommes et des femmes politiques africains, qui «dépouillent tout un peuple» et privent leur jeunesse d’avenir.

Face à ce flux incessant de jeunes gens désespérés au point de risquer leur vie pour fuir leur pays, on pourrait en effet s’attendre à une mobilisation nationale dans leurs pays d’origine, qu’il s’agisse du Sénégal ou d’autres pays ouest-africains. Que des mesures concrètes soient prises pour retenir ces jeunes dans leur pays. Par exemple, comme le souligne le film de Moussa Sène Absa, en renonçant à octroyer, en toute opacité, de juteux permis de pêche à des chalutiers étrangers, qui privent les pêcheurs sénégalais de leur gagne-pain.

Les naufrages qui engloutissent des dizaines de personnes dans les flots de la Méditerranée ne font pas plus qu’en Europe la «une» des médias de la région. Les chiffres égrenés semaine après semaine font pourtant froid dans le dos: alors qu’en été, les départs à partir de la Libye sont plus nombreux, on apprenait début août qu’en à peine cinq jours, seize embarcations en détresse avaient été secourues, permettant de sauver plus de 600 personnes. Reste ensuite à identifier un port qui accepte leur débarquement.

Autant de drames humains qui n’émeuvent guère que les familles qui attendent en vain des nouvelles de leurs fils, fille, père, mari, jusqu’à se faire une raison: ils ne reviendront plus. Les jeunes interviewés par Moussa Sène Absa racontent leurs rêves, leurs espoirs; mais aussi les trahisons d’une classe politique qui les a abandonnés à leur sort, sans aucun état d’âme.

Catherine Morand est journaliste.

Source : Le Courrier

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