Un sondage mené pour l’ONG soutient l’idée de la création d’un fonds d’indemnisation, pour les travailleurs qui ont œuvré sur les chantiers de la Coupe du monde.
A deux mois de l’ouverture du Mondial de football au Qatar (du 20 novembre au 18 décembre), Amnesty International ne relâche pas son marquage sur la FIFA. Dans un sondage réalisé dans 15 pays (en Europe, aux Etats-Unis, au Mexique, en Argentine, au Maroc et au Kenya) pour le compte de l’organisation non gouvernementale (ONG) et publié jeudi 15 septembre, une majorité claire des personnes interrogées (73 %) se disent favorables à la création d’un fonds d’indemnisation par la Fédération internationale de football, « des travailleurs et travailleuses qui ont souffert lors de la préparation du tournoi ». Une proportion qui monte à 84 % chez les personnes sondées affirmant qu’elles regarderont au moins un match de la compétition.
« Les résultats de ce sondage sont un message clair adressé aux dirigeant·e·s du football (…) La FIFA a encore le temps de faire ce qu’il faut, a commenté dans un communiqué Steve Cockburn, responsable du programme justice sociale et économique chez Amnesty. Les fans ne veulent pas d’une Coupe du monde entachée (…) par des violations des droits humains. »
Le riche émirat gazier est régulièrement dénoncé par des ONG pour le traitement réservé aux centaines de milliers de travailleurs venus notamment d’Asie sur les grands chantiers liés à la Coupe du monde. Quelque 6 500 ouvriers originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts pendant la construction des stades, des routes et des hôtels, etc., selon une enquête du quotidien britannique Guardian publiée en février 2021.
Doha et l’instance dirigeante du foot mondial insistent, de leur côté, sur les progrès réalisés. Dans un communiqué transmis à l’Agence France-Presse, la FIFA « prend note » de ce sondage et insiste sur « les mesures mises en place ces dernières années par [elle] et ses partenaires au Qatar pour protéger les ouvriers ». « Les travailleurs ont été indemnisés sous diverses formes lorsque les entreprises n’ont pas respecté les normes de bien-être » du comité suprême d’organisation du Mondial 2022, assure l’instance dirigeante du foot mondial.
Dans une interview à l’hebdomadaire Le Point publiée mercredi soir, l’émir du Qatar a reconnu avoir « un problème avec le travail sur les chantiers » et assure avoir pris « des mesures fortes en un temps record ». « Nous avons modifié la loi et nous punissons quiconque maltraite un employé ; nous avons ouvert nos portes aux ONG et nous coopérons avec elles. Nous en sommes fiers », soutient cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani.
De plus en plus de voix s’élèvent
Le sondage pour le compte d’Amnesty International donne un nouvel écho à l’appel lancé en mai par une coalition d’organisations de défense des droits humains, d’associations de fans et de syndicats – la campagne #PayUpFIFA – pour réclamer à la FIFA de verser au moins 440 millions de dollars (à peu près la même somme en euros) aux ouvriers qui ont œuvré sur les différents chantiers du Mondial. Selon cette même coalition, la FIFA pourrait engranger jusqu’à 6 milliards de dollars de recettes avec la compétition.
Réalisée auprès de plus de 17 000 adultes, l’enquête d’opinion publiée jeudi montre également que plus des deux tiers des sondés (73 % en France) souhaitent que les fédérations nationales de football « s’expriment publiquement sur les affaires relatives aux droits humains » dans le cadre du Mondial 2022. Jusqu’à présent, la Fédération française de football (FFF) s’est toujours refusée à se prononcer sur ce dossier très polémique. Noël Le Graet, le président de la « 3F », s’était dit « très content qu’on vienne jouer au Qatar » lors du tirage au sort du tournoi, le 1er avril à Doha.
Ces dernières semaines, de nombreuses voix s’étaient élevées contre l’organisation de la Coupe du monde au Qatar. En France, après l’acteur Vincent Lindon, l’ancien footballeur Eric Cantona a déclaré, mercredi 14 septembre, dans un message publié sur les réseaux sociaux, qu’il ne regarderait aucun match du tournoi, préférant à la place se « refaire tous les épisodes de Colombo ». La veille, le journal Le Quotidien de la Réunion décidait, « au nom de ses valeurs », de boycotter la compétition, et devenait le premier média français à prendre ainsi position.
A l’étranger aussi la mobilisation ne semble pas faiblir. La Fédération norvégienne de football avait organisé en juin 2021 un débat sur un boycott éventuel – finalement écarté par un vote en interne – du tournoi au Qatar. La présidente de la Fédération norvégienne ne s’était d’ailleurs pas fait prier pour rappeler, quelques mois plus tard, lors d’un congrès de la FIFA, les entorses de l’émirat en matière de droits humains.
Et le mois dernier, c’est le président du comité d’organisation de l’Euro 2024 en Allemagne, l’ancien joueur de la Mannschaft Philipp Lahm, qui a annoncé en août qu’il ne se rendrait pas dans l’émirat, arguant que « les droits de l’homme [devaient] jouer un plus grand rôle dans l’attribution d’un tournoi ».
Amnesty International, elle, n’appelle pas au boycott du Mondial 2022. Mais l’ONG a publié, le 12 septembre, par l’intermédiaire de son antenne française, un documentaire, Les Exploités du Qatar, qui dénonce « les conditions de travail et de vies indignes » des travailleurs migrants sur les différents chantiers de la Coupe du monde.