Le Mali est parvenu, en dépit d’un contexte difficile sur le marché régional de la dette, à mobiliser les 120 milliards F CFA de son emprunt obligataire. Une semaine après cet emprunt obligataire, Modibo Mao Makalou, économiste ancien sherpa de la commission de l’Union européenne et du Nepad et ancien conseiller pour les affaires économiques et financières de la présidence du Mali répond à nos questions. Entretien.
Mali Tribune : Pourriez nous nous édifier sur ce qu’est un emprunt obligataire et comment cela marche ?
Modibo Mao Makalou : L’emprunt obligataire est un emprunt qui fait intervenir plusieurs prêteurs, c’est un prêt avec engagement pour le bénéficiaire de rembourser la somme prêtée selon les modalités (taux d’intérêt, durée, remboursement) fixées à l’avance. Toutefois, le bénéficiaire doit remettre aux prêteurs en contrepartie des fonds qu’il reçoit, des titres appelés obligations qui donnent le droit aux prêteurs ou investisseurs de percevoir annuellement des intérêts rémunérateurs de leur investissement. L’emprunt obligataire est destiné à toute personne physique, groupes de personnes ou entreprise résidant ou non dans la zone Umoa désirant investir. Ces destinataires appelés souscripteurs, prêteurs ou investisseurs sont des acheteurs d’obligations.
Mali Tribune : Est-ce que cet emprunt obligataire est réservé uniquement à un Etat et quels sont les avantages ?
M.M. M. : Le marché régional des capitaux a été créé par les huit (8) pays membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa). Il est constitué du marché monétaire et du marché financier et permet aux Etats membres et aux entreprises de l’Umoa de lever des ressources nécessaires au financement de leurs investissements ou de leurs trésoreries. Le marché financier est constitué du marché des actions et de celui des obligations (obligations du Trésor, emprunt obligataire, emprunt Sukuk). C’est sur le marché financier que sont émis les titres publics à moyen ou long terme.
Mali Tribune : Le Mali vient de réaliser un emprunt obligatoire de 120 milliards de F CFA pour une maturité de 7 ans. Qu’est-ce que cela révèle pour notre pays au plan économique qui est en plein marasme ?
M.M. M. : Par un communiqué publié le 3 avril 2023, le ministre de l’Economie et des Finances a informé l’opinion publique de la clôture de l’emprunt obligataire par appel public à l’épargne “Etat du Mali 6,40 % 2023-2030”. L’opération a été réalisée par la SGI-Mali, arrangeur et chef de file du syndicat de placement, avec comme co-chefs de file : SGI-Togo, SGI-Bénin et Global Capital. Cet emprunt obligataire, lancé le 15 mars 2023 sur le marché financier de l’Umoa pour un montant de 120 milliards F CFA à un taux d’intérêt de 6,40 % et une maturité de 7 ans, a été clôturé le 31 mars 2023. Ladite opération a permis au Trésor public du Mali de mobiliser la totalité du montant sollicité, soit un taux de souscription de 100 %. Ce qui représente un succès indéniable de l’Etat auprès des investisseurs pour cette opération.
Mali Tribune : Avant cet emprunt de 120 milliards, le Mali a tenté une souscription de 35 milliards et n’ayant perçu que 16 milliards. Est-ce que cela est dû au retournement de la situation qu’on constate depuis le mois de février en raison de la politique monétaire qui commence à peser sur les banques ?
M.M. M. : Le 1er mars 2023, le Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao) lors de sa réunion ordinaire a décidé de relever de 25 points de base le principal taux directeur, le taux d’intérêt auquel la Bcéao prête aux banques commerciales, le haussant à 3 % et cela à compter de 16 mars 2023. Ce resserrement de la politique monétaire pour contrer la hausse de l’inflation a contribué à renchérir le crédit et à faire baisser substantiellement les offres des investisseurs sur le marché régional des titres publics réduisant ainsi les montants mobilisés par les Etats auprès des investisseurs qui sollicitent un rendement plus élevé suite à la hausse du taux directeur de la Bcéao. Ajouté à cela, le montant disponible au refinancement des banques a continué à reculer.
Le 7 mars 2023, il a baissé à 5500 milliards F CFA, soit une diminution de 8,33 % du montant disponible en 1 mois. La hausse du taux directeur en plus du manque soudain de liquidité disponible pour le refinancement des banques a suscité un vent de panique sur les marchés des titres publics et interbancaire. En effet, entre le 1er mars 2023, et le 27 mars 2023, le montant levé était évalué à 159 milliards F CFA contre 476 milliards FCFA en mars 2022, soit une chute de près de 70 % en un an. Ainsi dès le 1er mars 2023, le marché financier sous régional a été perturbé.
En effet le Burkina Faso a reporté son émission de titres publics suivi immédiatement de l’annulation de celle du Niger. La semaine suivante, la Guinée-Bissau, qui sollicitait auprès des investisseurs 5 milliards F CFA, n’a reçu que 1,06 milliard F CFA. Puis, le Mali n’a reçu que 34,5 % du montant sollicité, et enfin le Togo n’a obtenu que 38,7 % du montant recherché.
Cette tendance pourrait indiquer une certaine prudence des investisseurs, car les titres à échéances courtes présentent un risque de taux et de crédit moindre. Selon la théorie des allocations de ressources financières, les investisseurs dans un contexte de remontée des taux directeurs par une banque centrale, cherchent généralement à minimiser leur exposition aux risques en privilégiant des titres de très court terme, qui ont une durée plus courte et sont donc moins sensibles aux fluctuations des taux d’intérêt. Aussi, la perception du risque restera un critère déterminant pour la prise ou non des décisions d’investissement.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune