Mali-Tribune : Pourriez-vous nous éclairer davantage sur les sanctions adoptées par les chefs d’Etat de la sous-région ?
M. M. M. : La conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a en effet décidé selon le communiqué final, de maintenir les sanctions initialement imposées à l’encontre du Mali et des autorités de transition. Elle a décidé également l’imposition de sanctions économiques et financières supplémentaires, conformément aux délibérations de sa soixantième session ordinaire tenue le 12 décembre 2021 à Abuja, en République fédérale du Nigeria. Ces sanctions supplémentaires comprennent des sanctions diplomatiques, économiques, financières et commerciales, le rappel pour consultations par les Etats membres de la Cédéao de leurs ambassadeurs accrédités auprès de la République du Mali ; la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Cédéao et le Mali ; la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les pays de la Cédéao et le Mali, à l’exception des produits alimentaires de grande consommation ; des produits pharmaceutiques ; des matériels et équipements médicaux y compris ceux pour la lutte contre la Covid-19 ; des produits pétroliers et de l’électricité ; le gel des avoirs de la République du Mali dans les Banques centrales de la Cédéao ; le gel des avoirs de l’Etat malien et des entreprises publiques et parapubliques dans les banques commerciales des pays de la Cédéao ; la suspension de toute assistance et transactions financières en faveur du Mali par les Institutions de financement de la Cédéao, particulièrement la BIDC et la Boad.
Mali-Tribune : Quelles seront les conséquences de ces sanctions sur la population malienne ?
M M. M. : Ces sanctions visent à restreindre toutes les activités économiques, financières et commerciales du Mali avec les 14 autres Etats membres de la Cédéao. Elles auront des conséquences néfastes sur le fonctionnement de l’Etat qui sera privé de ressources financières mais aussi sur les conditions de vie non seulement des populations maliennes mais aussi de l’ensemble de la population des pays membres de la Cédéao dont l’un des principes fondateurs est la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et des facteurs de production.
Les mesures prises par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest à l’encontre du Mali auront des impacts économiques, financiers et sociaux conséquents sur les populations déjà éprouvées par une crise multidimensionnelle (politico-sécuritaire, sociale, économique, humanitaire, alimentaire, et sanitaire) qui perdure depuis 2012. Déjà, le 12 janvier 2022, le Mali a été empêché de lever 30 milliards F CFA sur le marché monétaire de l’Uémoa, suite aux sanctions financières de la Cédéao.
Selon la Bcéao, le Mali avait emprunté sur le marché financier de l’Uémoa en 2021, à travers l’émission de titres publics le montant de 897,5 milliards dont 150 milliards de F CFA sur le marché financier et 745,5 milliards de F CFA sur le marché monétaire. En 2021, la croissance économique était évaluée à environ 4,6 % suite à une bonne campagne agricole (surtout le coton) contre -2 % en 2020 pourrait être compromise avec les sanctions imposées par l’Uémoa et la Cédéao le 9 janvier 2022.
Mali-Tribune : Entant qu’économiste, le Mali peut supporter ces sanctions pour combien de temps alors que le Mali dépend fortement du commerce international ?
M M. M.: En examinant les comptes macroéconomiques du Mali en général et la balance des paiements (qui enregistre l’ensemble des transactions économiques avec l’extérieur) en particulier pour les années antérieures, il ressort clairement que le Mali est assez dépendant du commerce international qui constitue 60 % de son Produit intérieur brut (PIB) soit la valeur des biens et des services produits pendant une année au Mali. Par ailleurs, la balance des paiements qui enregistre l’ensemble des transactions économiques avec l’extérieur est déficitaire, chaque année depuis l’indépendance en 1960, ce qui implique que les flux économiques vers l’extérieur sont plus importants que ceux vers le Mali. De même, la balance commerciale est constamment déficitaire, les importations (achats provenant de l’extérieur) sont plus importantes que les exportations (ventes à l’extérieur).
Selon la Bcéao, la part des pays de l’Uémoa dans les importations totales se chiffrait à 43,4 % soit un montant de 1.275,7 milliards de F CFA en 2020 contre 43,9 % soit 1.320,8 milliards de F CFA en 2019. Les importations du Mali dans l’Uémoa confirment le Sénégal et la Côte d’Ivoire comme les 2 principaux fournisseurs du Mali dans l’Uémoa avec des parts respectives de ces deux pays dans les importations du Mali du Sénégal de 45,5% et de la Côte d’Ivoire de 35,4% en 2020, les parts des deux pays étaient de 51,7% pour le Sénégal et de 30,8% pour le Côte d’Ivoire en 2019.
Les importations en provenance des pays de l’Uémoa restent dominées par les produits pétroliers. En effet, celles-ci sont ressorties à 665,8 milliards de F CFA en 2020, soit 61,4 % des importations du Mali. Ces produits proviennent pour l’essentiel du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, qui représentent respectivement 53,0 % et 36,7 % des importations de produits pétroliers du Mali au sein de l’Uémoa. Les importations intra-Uémoa portent également sur les matériaux de constructions et les produits alimentaires. Ces produits ont représenté respectivement 8,9 % et 5,9 % du total des importations en provenance de l’Uémoa en 2020.
Mali-Tribune : Pour les chefs d’Etat de la Cédéao, cette Transition malienne a échoué car elle n’arrive à organiser les élections aux dates indiquées. Selon vous, est-ce le cas ?
M M. M.: Selon le communiqué de la conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Cédéao, les Chefs d’Etat ont déploré le fait que les autorités de la Transition au Mali n’aient pris aucune disposition pour l’organisation de l’élection présidentielle avant la date du 27 février 2022 prévue dans l’accord conclu avec la conférence des chefs d’Etat de la Cédéao, le 15 septembre 2020 et contrairement aux engagements souscrits dans le cadre de la Charte de transition. La Conférence a déploré profondément le manque flagrant de volonté politique de la part des autorités de la Transition, qui est à l’origine de l’absence de progrès tangibles dans la préparation des élections, en dépit de la disponibilité manifestée par la Cédéao et l’ensemble des partenaires régionaux et internationaux pour soutenir le Mali dans le cadre de ce processus.
La conférence a été informée des conclusions des Assises nationales de la Refondation (ANR) du 13 décembre 2021, qui ont conduit à l’adoption d’un chronogramme de la Transition au Mali. Ce chronogramme, soumis le 31 décembre 2021 au Président en exercice de la Conférence par les autorités de transition, prévoit la tenue de l’élection présidentielle à fin décembre 2026 ; ce qui suppose une période de transition de six ans et demi. La conférence note que des acteurs importants n’ont pas pris part à ces Assises, traduisant ainsi le manque de consensus des acteurs nationaux sur le chronogramme proposé. Suite à la visite du Médiateur de la Cédéao au Mali le 5 janvier 2022, les autorités de la Transition ont soumis, le 8 janvier 2022, un nouveau chronogramme prévoyant la tenue de l’élection présidentielle à fin décembre 2025, soit une période de transition de cinq ans et demi. Cette dernière proposition était inacceptable, selon les chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO.
Mali-Tribune : Dans toute cette cacophonie selon vous, quelle doit être la posture des autorités de Transition face à ces sanctions ?
M M. M.: Les autorités de la Transition doivent adopter une stratégie de sortie de crise et surtout éviter une confrontation avec la Cédéao, l’Union africaine et l’Organisation des Nations-unies. Il s’agira essentiellement pour les autorités de la Transition d’élaborer un chronogramme réalisable qui sera jugé acceptable par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest. Le nouveau chronogramme proposé par la transition pourrait mettre l’accent sur les activités visant à assurer un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai acceptable pour les deux parties.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune