De quelque point de vue que vous vous placiez, en hauteur, en cette période hivernale, Bamako vous offre le magnifique spectacle d’une ville immergée dans la verdure, de ce vert dru qui respire la vie et l’énergie, qui inspirent l’optimisme et nous donnent l’envie irrépressible de prendre les choses à bras-le-corps.
Notre capitale, sous certaines apparences, pourrait figurer parmi les plus belles capitales africaines. Une ville en pleine expansion, où les immeubles poussent comme des champignons, alors que sous nos yeux étonnés circulent déjà les derniers modèles de voitures à peine annoncés par les fabricants.
Bamako, symbole de dynamisme et de réussite ? Ou capitale de l’enfumage, du clinquant et de la débrouille par l’arnaque ?
Lorsque, des hauteurs de Koulouba, du Point G ou de Lassa, vous descendez dans la cuvette, commence le voyage dans l’indicible, le capharnaüm, la saleté et la pagaille d’une cité dont les habitants ont renoncé à toute forme de règle, d’éthique.
Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans ce paysage lunaire apparaissent les plaies de la capitale : caniveaux bordés de détritus, tapis de déchets plastiques, eaux stagnantes et souillées de toutes les crasses drainées par les pluies abondantes de la dernière décade, routes étroites et crevassées, accidentogènes, effluves pestilentielles provenant des dépôts d’ordures ou de familles qui, nuitamment, évident leur fosse septique, escomptant, naïvement ou cyniquement, que la pluie serait leur complice dans cet acte hautement incivique…
Alors que les Bamakois pataugent dans ce milieu interlope, se débattant contre les effets d’une hyper pollution, le maire du district, la mine réjouie, nous annonce que Bamako sera dotée, dans les six mois à venir, de cinquante (50) grands bus flambant neufs, aux standards des capitales modernes, pour remplacer les Sotrama et autres Dourounis.
Le visage rondouillard, éclairé par un large sourire, la bedaine bien rebondie, l’administrateur de la capitale ajoute qu’au bout d’une phase d’essai, la société chinoise, partenaire du district pour ce projet, livrera cinq cents (500) bus, nombre qui sera porté, en trois ans, de mille cinq cents (1500) à deux mille (2000).
L’on serait presque tenté de s’enthousiasmer avec l’édile en chef du district, si la réalisation d’un projet d’une telle envergure ne suscitait de fortes réserves.
Bamako est, selon toutes les apparences, une ville surpeuplée, prise tous les jours d’assaut par ses (au moins) trois millions d’habitants, dont le principal souci est le gain du pain quotidien, au bout d’un parcours du combattant imputable à une conjoncture quasi insoutenable. Ce combat quotidien est mené comme dans une jungle, âprement, contre le respect de toute éthique.
«La ville aux 3 caïmans» s’est muée, ces dix dernières années, en véritable foire à empoignes, un centre d’écoulement de produits illicites (elle compte aujourd’hui parmi les mégapoles où le trafic et la consommation de drogues dures prospèrent) ou frelatés, notamment dans les différents marchés où les produits alimentaires de consommation courante s’apparentent davantage à des poisons qui, selon des médecins, sont les causes d’ulcères, de coliques, d’hypertension, de diabète, ces maladies aujourd’hui communes à la majorité des Bamakois.
Notre capitale est aussi un étouffoir, un espace confiné et pollué, où essaient de survivre des millions d’hommes et de femmes rendus entreprenants mais incivils avec la démocratisation de la voiture, des engins à deux et trois roues.
La multiplication des immeubles à plusieurs niveaux, la rareté des espaces verts et de poches de respiration, du fait de la vénalité des maires, tous ces facteurs contribuant à la promiscuité et à l’irritabilité des citadins, constituent un véritable défi au » Vivre ensemble », si cher à IBK.
Le projet d’amélioration de la mobilité urbaine, porté par le maire du district de Bamako, comporte beaucoup d’hypothèques que l’édile devra d’abord lever pour se targuer d’avoir réussi un challenge sur lequel nombre de ses prédécesseurs se sont cassé les dents.
La principale difficulté, et elle est de taille, consiste en la reconfiguration de la capitale, en cassant largement dans les quartiers du centre, en élargissant et en adaptant les artères aux normes des mégapoles.
Il faudra des moyens et du courage. Les premiers sont d’évidence, l’ampleur des travaux exigés ayant un coût élevé.
Le courage que requiert cette entreprise de démolition, dans une aire où résident de vieilles familles, fondatrices de Bamako, ou autochtones, n’est pas, on s’en doute bien, de la trempe du maire central. Or, ceci est une condition sine qua non de la faisabilité du projet.
A moins que le patron du district ne se lance résolument dans une entreprise hasardeuse comme Bamabus, Tababus et autres, en raison des fortes oppositions des différents syndicats des transports routiers et des réels désagréments que comportera inévitablement un tel projet.
Entre la tentation pour d’évidentes retombées financières personnelles et les risques d’une crise sociologique impliquant divers acteurs, le maire du district saura-t-il faire le choix adéquat, raisonnable ?
De simples bus, fussent-ils grands, ne sauraient, en aucune façon, constituer les symboles de la modernité de Bamako. Ce chantier, énorme et sensible, requiert à la fois de larges concertations et un plan de marche réaliste.
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Source: l’Indépendant