Un ballet d’initiatives inonde l’Afrique et sa diaspora de médias de plus en plus professionnels. Un signe que le continent n’entend pas se faire damer le pion.
Sur la carte des médias africains du temps présent, il est possible de distinguer plusieurs régions, de nature et de forces très inégales.
Dans la partie anglophone, de grands groupes audiovisuels rivalisent avec des journaux à très forts tirages.
C’est le cas en Afrique du Sud, au Nigeria, au Kenya et, dans une moindre mesure, au Ghana. Au pays de Mandela, les ventes se rapprochent des grands standards occidentaux : le très sérieux Mail and Guardian reste l’un des plus faibles tirages, loin derrière les quotidiens The Sowetan, The Star ou les hebdomadaires Sunday Times et Huisgenoot, dont les tirages varient entre 200 000 et 500 000 exemplaires. Au sommet de la pyramide médiatique trône la puissante machine audiovisuelle publique qu’est devenue la South African Broadcasting Corporation (SABC) depuis sa réorganisation survenue en 1996, au lendemain de la fin de l’apartheid. Au Kenya, le Daily Nation (180 000 exemplaires) reste une référence. Ce journal est édité par Nation Media Group (NMG), puissante entreprise multimédia cotée au Nairobi Stock Exchange et considérée comme le plus grand groupe de presse en Afrique australe et en Afrique centrale. Au Nigéria, immense État fédéré de 170 millions d’habitants, ce ne sont pas les lecteurs qui manquent, et la presse, foisonnante, peut encore s’appuyer sur la tentaculaire News Agency of Nigeria (NAN), qui fut jadis la clé de voûte du système informationnel. Ici, les médias voisinent avec Nollywood, la puissante industrie cinématographique, deuxième au monde derrière l’Inde (Bollywood) et devant les États-Unis (Hollywood). Nombre de films produits par années : près de 2 000.
Il y a un contraste saisissant entre l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone
Rien de tel dans la partie francophone du continent, du moins au sud du Sahara, où, de Dakar à Kinshasa, ce qui frappe, c’est cette multiplication effrénée du nombre de radios, de télévisions et de publications. Sur cette vaste étendue géographique de 10,3 millions de km2 regroupant dix-sept États, le système audiovisuel, inspiré du modèle centralisé de l’ex-Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), connaît une diminution drastique de ses moyens alors qu’approche la date fatidique du 17 juin 2015 marquant le passage de l’analogique au numérique. Les agences de presse publiques ne se portent pas mieux, alors même que dans des pays aux territoires étendus comme le Niger, le Mali ou la République démocratique du Congo, la distribution des journaux pose problème et l’Internet reste une denrée rare dans certaines contrées.
Une lueur d’espoir nous arrive de Dakar, où le journal L’Observateur, édité par le groupe Futurs médias du chanteur Youssou Ndour, arrive à écouler près de 90 000 exemplaires par jour (voir Le Point n°2166) dans un pays où, longtemps, on a estimé que le potentiel de lecteurs de la capitale ne pouvait excéder 125 000. Autre “réussite” francophone : la chaîne internationale malienne Africable Télévision, aujourd’hui captée en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne et même en Afrique du Nord, où se croisent les signaux de plus de 1 500 chaînes de télévision – dont plus de 250 en arabe. La guerre des télévisions ici fait rage, et l’enjeu tourne autour de la conquête d’un marché de près de 90 millions de téléspectateurs, sur fond de rivalités entre télévisions du Maghreb et chaînes éditées depuis la péninsule arabique.
Au Maghreb et au Machrek, les situations sont inégales
L’Algérie reste, à cet égard, un cas intéressant. Car même s’il vient à peine de libéraliser son système audiovisuel, ce pays reste un territoire inondé d’images internationales, du fait de la présence massive d’antennes paraboliques depuis le début des années 90. Dans ce pays, un service public audiovisuel fort, symbolisé par l’Entreprise nationale de télévision (ENTV) et ses 4 000 agents, rivalise avec des centaines de publications parmi lesquelles les incontournables El Khabar (en langue arabe) et le quotidien francophone El Watan. Quant à la bulle médiatique tunisienne, longtemps restée sous contrôle, elle explose littéralement depuis la Révolution. Au Maroc, la presse est portée par une aide accrue de l’État. Dans le royaume, les journaux de langue arabe et de langue française cohabitent, parfois même au sein d’un même groupe de presse. Le meilleur symbole de ce métissage est le Groupe l’Économiste, éditeur du journal éponyme et du quotidien en langue arabe Assabah. Cette entreprise de presse, à l’image de la diplomatie marocaine, s’exporte aujourd’hui en Afrique au sud du Sahara. L’Égypte, pays de vieille tradition de presse écrite, en langue française notamment, sait s’appuyer sur Nilesat, un opérateur de satellites diffusant des centaines de chaînes de télévision sur l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et le Moyen-Orient.
Les diasporas africaines sont à la fois des cibles et des émetteurs
Dans l’océan indien, autant le paysage médiatique malgache – principale victime de la longue crise politique qui a secoué l’île ces dernières années – reste à reconstruire, autant celui de Maurice – à la tête duquel trône le Groupe La sentinelle éditeur du journal L’Express – montre une relative bonne santé financière grâce à un marché publicitaire dynamique. L’Afrique des médias existe aussi à l’extérieur : le bouquet africain proposé par la société Thema permet de recevoir, en France, nombre de télévisions africaines. Aux côtés de la télévision 3 A Telesud et de la mythique radio gabonaise Africa n°1, passée sous pavillon libyen, toutes deux en quête d’un souffle nouveau, Africa 24 et Vox Africa (chaînes diffusées en français et en anglais depuis Londres) montent en puissance. En presse écrite, l’insubmersible Jeune Afrique, fondée par Béchir Ben Yahmed il y a plus d’un demi-siècle, tient la dragée haute.
Ces signes encourageants ne doivent pas occulter la réalité. Le continent reste le maillon faible de la géopolitique mondiale de l’information. Les agences de presse continentales comme l’Agence de presse africaine (Apa) et Panapress, ex-Pana, font pâle figure, sur l’international, devant Associated Presse, Thomson Reuters, Bloomberg News ou l’Agence France-Presse. Sur le continent même, TV5 Monde, Canal+, la BBC, France 24, la CCTV chinoise et, surtout, la très écoutée Radio France Internationale restent très présents. L’Afrique est un continent à part entière. C’est aussi un continent à part. L’histoire des médias d’Afrique est aussi l’histoire des trajectoires politiques des États africains. C’est pourquoi, lorsqu’on analyse l’évolution des médias africains, il faut se garder de tout jugement définitif. Aussi, il paraît tout aussi imprudent de poser des équivalences, comme le font certains analystes, entre le nombre de locuteurs francophones et le marché francophone de l’audiovisuel, à l’horizon 2050. Il est tout aussi risqué d’établir un lien entre outils de réception et connectivité, surtout sur un continent où l’écran ne tuera pas l’imprimé avant plusieurs décennies.
* Responsable des programmes médias à l’Organisation internationale de la Francophonie.
SOURCE: Le Point.fr –