« Le massacre de Bankass est un épisode de plus dans ce cycle de violence et d’impunité qui détruit la confiance et la cohésion des populations du Mali », poursuit Drissa Traoré. « Nous saluons l’annonce faite par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) sur l’ouverture d’une enquête sur les circonstances précises de ces attaques. Il est également essentiel que les autorités maliennes diligentent une enquête approfondie, indépendante et impartiale pour établir les faits, situer les responsabilités et rendre justice aux victimes et à leurs familles. »
Des représailles ciblées
Les organisations ont pu recueillir plusieurs témoignages auprès des familles des victimes. L’attaque aurait débuté le samedi 18 juin 2022 dans l’après-midi dans les villages de Diallasagou, Diamweli et Deguessagou. Les récits font état d’enlèvements et d’exécutions sommaires. Les hommes des villages ont été regroupés, sortis des villages et exécutés, leurs habitations brûlées, leurs bétails et leurs possessions dérobés.
B. E. habite à Diallassagou et raconte : « l’incident a commencé vers 16h, les assaillants sont venus sur plus de 100 motos (deux personnes par moto), ils ont encerclé le village de Diallassagou, et sont passés maison par maison à la recherche des hommes. Ils ont arrêté une cinquantaine d’hommes, les ont attachés pour les emmener à environ 2 km du village pour ensuite les exécuter. Ils ont, par la suite, dévalisé et brûlé les boutiques et les magasins en emportant de l’argent et d’autres biens. Après, certains ont pris la direction de Diamweli et Deguessagou. En tout, ils ont tué 132 personnes, tous des hommes, dont 67 à Diallassagou, 56 à Diamweli et neuf à Deguessagou ».
Selon d’autres témoins directs, les assaillants recherchaient des personnes présumées avoir « collaboré » avec les forces de défense et de sécurité maliennes.
I. D. vit également à Diallassagou et témoigne : « ils sont entrés dans la maison de M., sa femme leur avait supplié de lui épargner sa vie car il était malade. Ils ont répondu non en disant qu’ils étaient venus se venger et disaient : “ce sont vos hommes qui ont appelé la gendarmerie”(en référence aux dénonciations qui ont donné suite aux opérations antiterroristes « Maliko » des FAMa le 24 mai 2022 à Diallassagou et Diamweli dans le cadre desquelles l’armée a annoncé avoir « neutralisé 12 terroristes »). Les assaillants sont restés dans le village jusqu’à l’aube. Les militaires sont arrivés après le lever du soleil ».
Ces violations graves des droits humains, perpétrées essentiellement à l’égard des hommes, auraient été commises par les groupes armés dits extrémistes, en représailles à des opérations militaires des Forces armées maliennes (FAMa). Ce mode de punition collective intervient dans une zone où des accords locaux avaient été passés en février 2021, entre les populations et les groupes armés dits extrémistes : engagement de « non-agression » par les groupes armés en échange d’un engagement des habitant·es à ne pas dénoncer ces derniers aux autorités. Les organisations rappellent que de telles violations, commises par des parties au conflit, constituent des crimes de guerre. Les attaques contre les populations civiles sont formellement interdites par le droit international humanitaire.
L’échec du tout-sécuritaire
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) et Avocats sans frontières Canada (ASFC) expriment leur grave préoccupation face à la recrudescence des attaques contre les populations civiles dans le cadre du conflit armé.
Réaffirmant que « la sécurité et la protection des personnes et de leurs biens rest[aient] sa priorité absolue », le gouvernement de la Transition a dépêché une délégation ministérielle sur les lieux le 21 juin 2022, avec l’appui de la Minusma. Les organisations rappellent que les événements de Bankass interviennent dans un contexte d’escalade de la violence, marquée d’une part par une recrudescence des attaques menées par les groupes terroristes, et d’autre part par une accélération des opérations militaires de lutte contre le terrorisme.
En dépit des engagements répétés de l’État malien, la justice reste en peine face aux violations graves subies par les populations civiles. Nos organisations rappellent d’ailleurs que la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes perpétrés au Mali et pourrait intervenir si les autorités nationales ne remplissent pas leurs obligations d’enquête et de poursuites.
Dans son rapport paru en juin 2022, la Coalition citoyenne pour le Sahel déplorait en moyenne huit civil·es tué·es par jour au Sahel entre avril 2021 et mars 2022. Ces attaques sont attribuées aux groupes armés dits extrémistes, mais aussi d’autodéfense, ou aux forces de sécurité et de défense et à leurs partenaires internationaux. Pour le Mali, sur cette période le nombre de civil·es tué·es dans des attaques attribuées à des groupes armés dits extrémistes est en hausse de +133%.
« Au-delà des nombreuses et considérables opérations militaires, les autorités maliennes, accompagnées de leurs partenaires internationaux, doivent poser des actes concrets pour répondre aux urgences en matière de protection des populations civiles, de lutte contre l’impunité, de gouvernance et de soutien humanitaire », précise Mabassa Fall.
Les organisations appellent à nouveau et de toute urgence à un sursaut de la part des autorités de la Transition en faveur de la protection des populations civiles, face à la recrudescence des violences qui les ciblent et font d’elles les premières victimes du conflit depuis plus de dix ans.
Source : FIDH