La chaîne malienne Joliba TV est sous la menace de sanctions de la Haute autorité de la communication (HAC), suscitant de nouvelles inquiétudes sur l’exercice d’une presse libre au Mali.Le directeur de l’information de Joliba TV, Mohamed Attaher Halidou, est convoqué lundi 17 octobre par la Haute autorité de la communication (HAC). Le 30 septembre dernier, il s’est inquiété, dans un éditorial, du danger menaçant la liberté d’expression dans son pays. Il a dans ce sens interpellé l’instance nationale chargée de la régulation des médias pour qu’elle sorte de son silence.
En réponse, la HAC a adressé une mise en demeure à la chaîne pour les propos de son promoteur qu’il considère comme des « manquements ». Dans le programme, l’organe de régulation incrimine le fait que M. Halidou fasse « souvent usage d’expressions à forte connotation péjorative » au sujet des autorités maliennes de transition. Devant ces « griefs », le journaliste est invité ce lundi à s’expliquer devant la commission de l’éthique, de la déontologie et du contentieux de la HAC.
Toutefois, cette convocation du directeur de l’information de Joliba TV est mal vécue par la plupart de ses confrères et consœurs, qui y voient une tentative d’intimidation des journalistes maliens. « Sans préjuger de la suite réservée à cette surprenante procédure, le Groupe Patronal de la Presse s’interroge sur l’opportunité d’une telle démarche ainsi que sur la teneur des griefs exposés dans la correspondance de la HAC en date du 12 octobre. Il l’assimile par conséquent à une tentative de musèlement de la presse et d’étouffement de l’expression plurielle, dans un pays où les libertés fondamentales demeurent garanties par la constitution en vigueur », a déploré le Groupe Patronal de la Presse écrite.
Régressions dans le classement RSF
D’autres personnalités maliennes dont des membres de l’opposition politique ont aussi exprimé leur inquiétude sur l’état de la liberté de la presse après la convocation de Mohamed Attaher Halidou. « Faisons attention à ne pas remettre en cause la base de la démocratie en l’occurrence la liberté d’opinion. Sans elle, toutes les dérives sont possibles et le pays serait dans l’abime », a fait remarquer l’ancien Premier ministre Moussa Mara.
Au Mali, la menace djihadiste, qui a fait perdre au pays les deux tiers de son territoire, n’épargne pas les journalistes qui subissent aussi les intimidations du pouvoir politique. Ils sont souvent ciblés par les groupes terroristes au Sahel, comme en témoigne l’enlèvement, début avril 2021, du Français Olivier Dubois.
En même temps, des professionnels de l’information dénoncent la pression exercée sur les médias travaillant au Mali depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, en août 2020. Ils estiment que les nouvelles autorités veulent leur imposer une ligne informationnelle et n’hésitent pas à restreindre les voix dissidentes du régime militaire.
En avril dernier, la diffusion de RFI et France 24, déjà coupée en mi-mars, a été définitivement suspendue par Bamako en réaction à des reportages des deux médias français mettant en cause l’armée malienne dans des exactions visant des civils. Un mois plus tôt, un envoyé spécial du magazine Jeune Afrique était expulsé du pays, faute de détenir une accréditation.
Dans ces conditions, le Mali continue de régresser au classement mondial de la liberté de la presse établi annuellement par Reporters sans frontières (RSF). En 2022, le pays dirigé depuis deux ans par la junte des colonels a été classé à la 111e place sur 180 pays alors qu’il était 99e en 2021 et 108e en 2020.
L’affaire Birama Touré toujours pendante
Le Mali n’occupe pas non plus une place reluisante en Afrique (32e) en matière de liberté de la presse même si Bamako tente d’obtenir l’extradition de Karim Keïta, fils de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta (2013 – 2020). En exil en Côte d’Ivoire depuis le renversement de son défunt père, Karim Keïta est visé, entre autres dossiers dans son pays, par une enquête sur la disparition, en 2016, du journaliste d’investigation Birama Touré.
Travaillant au Sphinx de Bamako, ce dernier aurait été enlevé, torturé et tué après plusieurs mois de détention selon sa famille et le directeur de publication de l’hebdomadaire. Ce dernier a affirmé en 2018 que son ex-reporter avait auparavant approché Karim Keïta à propos d’un dossier qu’il présentait comme compromettant pour le fils du président IBK.
Source : APA