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Mali – Transition: recul des libertés?

Le Mali serait désormais régi par un État autoritaire. C’est ce qui ressort du rapport annuel de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), basé à Stockholm en Suède, sur les systèmes politiques des pays du monde publié le 22 novembre 2021. Jusque-là classé parmi les États hybrides, ni démocratiques ni autoritaires, le pays a finalement basculé dans l’autoritarisme, selon ce rapport, qui vient accentuer les craintes de certains acteurs politiques et de la société civile nationale concernant le rétrécissement des libertés démocratiques fondamentales sous la Transition. 
 
L’affaire Issa Kaou N’Djim, dont l’épilogue a été le renvoi de l’ancien « Numéro 10 » du M5-RFP du Conseil national de Transition (CNT), à travers une abrogation de son décret de nomination par le Colonel Assimi Goita, a été vue par certains comme l’expression d’un pouvoir autoritaire unidirectionnel.
« Issa Kaou N’Djim n’a rien dit de nouveau qui n’ait pas été dit avant aujourd’hui, du temps d’IBK ou de celui de Bah N’daw. Mais ces mêmes propos sont considérés aujourd’hui comme antipatriotiques et jetant du discrédit sur l’État », regrette l’homme politique Abdoul Karim Konaté, du parti Yelema, qui tient toutefois à préciser qu’il parle à titre personnel.
Acquis démocratiques remis en cause
Le Parti pour la Renaissance nationale (PARENA) va plus loin, dans un communiqué en date du 20 novembre 2021, en parlant d’un projet de « restauration autoritaire » de la part du gouvernement de Transition et en dénonçant des « attaques » contre le cadre démocratique et républicain instauré au Mali depuis le renversement du régime du parti unique en mars 1991.
Pour le parti de Tiébilé Dramé, il devient clair que la Transition est entrée dans une nouvelle phase, « celle de l’hégémonie des partisans de la dictature, qui utilisent le pouvoir d’État transitoire pour faire l’apologie du parti unique et menacer les libertés démocratiques ». C’est pourquoi il a lancé un appel aux « démocrates épris de liberté  et de justice », dans la diaspora, à Bamako et dans les régions, pour faire front contre les « velléités dictatoriales et liberticides du régime du M5 ».
Cela fait suite aux déclarations du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga le 11 novembre devant les chefs de villages et de quartiers au Centre international de conférences de Bamako (CICB), dans lesquelles le chef du gouvernement avait jeté l’opprobre sur la démocratie au Mali, affirmant que son seul bilan était la floraison d’associations et de partis politiques.
Ces propos, qui y sont qualifiés « d’anti-démocratiques », ont également fait l’objet d’un communiqué de l’ADEMA-PASJ signé par son président Marimantia Diarra, par ailleurs membre du CNT, publié le 23 novembre 2021. Pour la Ruche, « il devient impérieux pour les démocrates de s’unir face à l’apologie de la pensée unique du Premier ministre de la Transition qui menace la démocratie chèrement acquise par le peuple malien ».
Quant au communiqué du  PARENA, il fustige également, par la même occasion, les propos du porte-parole du M5-RFP, Jeamille Bittar, qui a demandé au Président de la Transition de dissoudre l’ensemble des partis politiques et de suspendre la Constitution de la 3ème République.
À cette sortie du Premier ministre, le parti du bélier blanc n’a pas été le seul à avoir réagi. À la même date du 20 novembre, l’association Alliance pour la Démocratie au Mali (ADEMA), présidée par Mme Sy Kadiatou Sow, par ailleurs membre influente du M5-RFP au plus fort de la contestation contre le régime IBK, a condamné des « propos insultants » pour tous ceux qui ont œuvré pour l’avènement d’une démocratie multipartiste au Mali.
« Notre association condamne fermement ces propos de Choguel K. Maïga, qui s’inscrivent dans sa logique de défense du régime qui a prématurément freiné l’élan patriotique de construction nationale du Président Modibo Keïta ». Mme Sy Kadiatou Sow a en outre invité le Premier Ministre à « faire preuve de grande retenue, d’esprit d’ouverture et de tolérance ». « Les Maliennes et Maliens ont en partage ce pays et doivent bénéficier d’une égale considération et d’un égal traitement de la part de ceux qui ont en charge la gestion des affaires de l’État », a ajouté celle qui exhorte tous les démocrates à redoubler de vigilance et de détermination pour défendre et faire prévaloir les valeurs et les acquis de la démocratie, « chèrement conquise », au Mali.
Musellement?
Sur un autre plan, une information judiciaire est en cours contre six personnes pour des  faits « d’association de malfaiteurs et de tentative d’attentat et de complot contre le gouvernement ».
Il s’agit de l’ex chef de la Sécurité d’État sous Bah N’Daw, le colonel-major Kassoum Goïta, de Sandi Ahmed Saloum, du marabout Issa Samaké dit Dioss alias Simbo, de l’adjudant-chef Abdoulaye Ballo, du Commissaire principal de police Moustapha Diakité et de l’ex Secrétaire Général de la Présidence de la République, le Professeur Kalilou Doumbia.
Si le Procureur de la République près le Tribunal de Grande instance de la Commune VI du District de Bamako assure du respect de leurs droits conformément à la loi, ce dossier fait penser à un autre, celui dit de déstabilisation de l’État, fin 2020, qui avait mis en cause certaines personnalités, blanchies par la suite par la Cour suprême.
« Dans un État de droit, la présomption d’innocence est un droit acquis. On ne peut pas se lever et dire qu’on a des preuves, sans pour autant les apporter, pour condamner quelqu’un. S’il y a des preuves de tentative de déstabilisation de la Transition, il faut les apporter. Aujourd’hui, le mandat de dépôt est devenu une arme de guerre, pour faire taire les gens », fustige Abdoul Karim Konaté.
Pour sa part, Aguibou Bouaré, Président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), reste mesuré. « Si les procédures passent par la voie normale de la justice, de prime abord nous avons confiance en celle-ci. Tant qu’on ne sort pas de ce cadre, nous ne pouvons pas porter de jugement sur le fait qu’il s’agisse d’instrumentalisation ou de persécution politiques », affirme-t-il, reconnaissant toutefois qu’au début certaines personnes ont été arrêtés et détenues de façon arbitraire, ce qui constitue une violation des droits et libertés fondamentaux. Les sieurs précités ont été détenus deux mois par la Sécurité d’état dans un lieu inconnu avant d’être présentés aux juges. Ils auraient subies des tortures.
Le 12 novembre 2021, le Président de la CODEM, Housseini Amion Guindo, a affirmé avoir été victime d’une tentative d’enlèvement la veille à son domicile et invité tous les démocrates à se lever contre « ces pratiques qu’on avait bannies au prix du sang de nos martyrs en 1991 ».
Même si l’ancien ministre attend que la lumière soit faite sur cette affaire et a déposé plainte contre X auprès du tribunal de la Commune VI pour menaces, tentative d’enlèvement et violation de domicile, il soupçonne que cette tentative soit liée à son combat politique.
Le ministre de la Justice, Mahamadou Kassogué, a lui aussi demandé au Procureur général près la Cour d’appel de Bamako d’ouvrir une enquête.
Libertés menacées ?
Pour certains partis politiques ou associations, les libertés et acquis démocratiques de 1991 seraient en danger sous le gouvernement de Transition du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, sous l’impulsion au sommet du Président de la Transition. « Aujourd’hui, on voit que toute personne qui va à l’encontre des autorités de la Transition est taxée de non patriote et contre l’avancement du pays. Mais ce n’est pas parce qu’on est au pouvoir qu’on est les meilleures personnes, ni les détentrices de la meilleure solution pour le pays », pointe l’homme politique Abdoul Karim Konaté, pour lequel nous ne sommes plus en démocratie parce que cette dernière est censée permettre des débats de contradictions, d’idées, où chacun arrive à exprimer son point de vue sur les sujets importants de la Nation.
Pour l’ancien ministre de la Justice Maître Mamadou Ismaila Konaté, les droits et les libertés sont aujourd’hui menacés parce que « nous sommes dans un contexte où les garde-fous, les remparts et les digues s’affaissent ».
« L’intérêt partisan prend le pas sur l’intérêt général. La structure Justice est en débandade», déplore-t-il.
Cependant, pour l’avocat Maître Cheick Oumar Konaré, membre de la commission nationale d’organisation des Asssises et proche du Premier ministre Choguel K. Maïga, cette situation est le propre d’un régime de Transition, qui est différent d’un régime démocratiquement élu et qui induit forcément des dysfonctionnements au niveau de la marche de l’État, des institutions et des lois. M. Bouaré abonde dans le même sens en reconnaissant qu’il faut toujours craindre pour les droits et les libertés fondamentaux dans un contexte d’incertitude politique doublé d’insécurité. « Les appréciations et les actions des partis politiques entrent toujours dans un cadre politique et de conquête du pouvoir. Il ne faut jamais les considérer comme des appréciations neutres, venant d’observateurs indépendants », dit par ailleurs Maître Cheik Oumar Konaré. « La justice est en train de travailler. Tout ce qui passe par la justice passe par une voie légale. Je serais beaucoup plus inquiet si les dossiers n’étaient pas transférés à la justice mais gérés par des officines inconnues », ajoute-t-il.
Même son de cloche chez le Président de la CNDH. « Nous avons constaté un recul à un certain moment. Mais il faut reconnaître que ces derniers temps des efforts sont en train d’être faits. Ce qui permettra de renoncer à une voie qui se dessinait vers une campagne de musellement, d’intimidation et de harcèlement, porteur de violations et d’abus des droits de l’Homme », affirme Aguibou Bouaré.
Pour sa part, Abdoul Karim Konaté, s’en tenant aux déclarations du Premier ministre et du porte-parole du M5-RFP, pense que la Transition est en train d’aller sur un autre chemin que l’aspiration des Maliens. « Le porte porte-parole du M5 pense qu’il faut dissoudre les partis politiques. On ne peut pas parler de démocratie sans partis politiques. Le Premier ministre lui-même pense toujours que ceux qui l’ont précédé sont à la base de tout les maux que le pays connaît. C’est du clivage : mettre les gens dos-à-dos et les diviser, ce n’est plus de la démocratie », insiste l’homme politique.
Mohamed KENOUVI

Source : Journal du Mali

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