Les images du passage à tabac d’un jeune homme à Bamako circulent sur les réseaux sociaux, pris à partie car il était maquillé et portait des chaussures à talons. Très peu d’informations sur la date et le lieu de cette vidéo ont filtré. Nos Observateurs ont mené l’enquête pour savoir quand et où avait exactement eu lieu cette scène et racontent la réaction des témoins de la scène.
La vidéo d’un peu plus d’une minute a commencé à circuler sans indication particulière de date ou de lieu, d’abord sur WhatsApp, avant d’atterrir sur Facebook le 19 février. Elle montre un jeune homme se faisant vivement molester et déshabiller par une foule en colère. Les légendes accompagnant cette vidéo disent que l’homme est accusé d’être “homosexuel “.
France 24 a décidé de ne diffuser que des captures d’écran de la scène et a flouté le visage de la victime
Le jeune homme est d’abord pris à partie par quatre individus qui tentent de lui arracher son jean. Un autre lui donne des claques.
Il est ensuite mis à terre, d’autres passants en profitent pour lui mettre des coups de pied.
Un autre passant n’hésite pas à faire un bond les deux pieds en avant pour donner un coup à l’homme à terre.
Nos Observateurs à Bamako mènent l’enquête et retrouvent des témoins
À première vue, impossible de savoir où et quand avait eu lieu la scène, la plupart des personnes partageant la vidéo n’ayant pas d’information à ce sujet. Avec plusieurs de nos Observateurs à Bamako, notre rédaction a mené l’enquête grâce à un indice visible dans l’image : la devanture colorée d’une boutique “Labo Photo Luxe”.
Dans la vidéo, un magasin où on peut lire “Labo Photo luxe” est reconnaissable. Nous avons donc lancé une consultation sur notre page Facebook pour retrouver l’endroit exact de ce magasin.
Un de nos Observateurs est parvenu à retrouver la boutique dans le quartier Kalaban-Coura. Il nous a fait parvenir ces photos des lieux, montrant bien le même endroit.
Contacté par France 24, le patron de la boutique “Labo Photo Luxe “confirme que la scène s’est déroulée devant sa boutique le 14 février 2018, jour de la Saint-Valentin.
“Quand ils l’ont vu avec son maquillage et des talons, ça les a fait exploser”
Un de nos Observateurs, Matthias B. (pseudonyme), a pu rencontrer plusieurs témoins de la scène. Tous transmettent un récit concordant.
Le jeune homme était sur le trottoir près d’une école quand des enfants ont commencé à le suivre. Ils se moquaient de lui à cause de son “accoutrement féminin “. Certains ont commencé à le provoquer en lui lançant des pierres. Le ton est monté, et ça a attiré l’attention d’autres passants qui ont commencé à s’en prendre à lui.
Ils l’ont attrapé juste devant l’école, et ont commencé à le battre. Le jeune homme a essayé de fuir et a fini par se retrouver encerclé au niveau du “Labo photo luxe “situé à dix mètres environ. Là encore, ils l’ont frappé jusqu’à ce qu’un monsieur dans la foule demande aux gens de le laisser.
Le jeune homme agressé se retrouve à moitié nu dans la rue, simplement avec un t-shirt, avant d’être emmené à l’écart et protégé par un homme ici au premier plan.
C’est ce monsieur qui a appelé les policiers. Ils sont arrivés pour essayer de l’emmener avec eux. Le jeune homme a d’abord refusé de suivre les policiers, il a essayé de se réfugier dans une maison juste en face du “Labo “, de l’autre côté de la route. Les habitants de la maison ont fermé la porte pour l’empêcher de rentrer. Les policiers l’ont donc embarqué.
“Les gens parlaient comme s’ils avaient eu affaire à un diable qui se baladait dans leur quartier”
La plupart des témoins qui habitent dans le quartier m’ont dit qu’ils connaissaient ce jeune homme. Ils l’avaient déjà vu passer, et m’ont même dit qu’ils le “suspectaient d’être homosexuel”. Mais là, quand ils ont vu son maquillage et ses talons, ça a fait exploser beaucoup de personnes. Ce qui m’a frappé, c’est qu’à entendre les gens que j’ai pu interroger, ils parlaient comme s’ils avaient eu affaire à un diable qui se baladait dans leur quartier.
En cherchant à savoir ce qu’il s’est passé, j’ai eu affaire à des personnes très méfiantes. La tension reste vive, même une semaine après les faits. On sent que ce sujet est un vrai tabou : beaucoup ne souhaitaient pas me parler pour donner des informations qui permettaient d’attester de violence gratuite [et donc reviendrait à défendre les droits des homosexuels, NDLR].
La scène s’est déroulée devant une école sous les yeux d’enfants du 1er et 2e cycle. Photo prise par un de nos Observateurs à Bamako mardi 20 février.
“Les auteurs, s’ils sont identifiés, seront interpellés”, affirme un représentant de la police de Bamako
Contacté par France 24, une source policière, qui requiert l’anonymat, affirme être au courant de l’incident. Il précise que le jeune homme de 25 ans a été mis à l’abri par les policiers avant d’être ramené le soir à sa famille. Aucune plainte n’a été déposée par le jeune homme. Il explique qu’il est “tout à fait anormal de tabasser un individu sur la voie publique “. Il a affirmé que les “auteurs, s’ils sont identifiés, seront interpellés “.
Il nuance cependant :
Nous savons que les menaces sur les réseaux sociaux arrivent souvent, mais elles sont rarement suivies de faits, à notre connaissance. En tout cas, nous avons très peu de signalements de nos effectifs sur des cas similaires [de tabassage de personnes à cause de leur allure efféminée, NDLR].
Des vidéos de traque de “présumés homosexuels “sont fréquentes
Au Mali, aucune loi ne pénalise les relations homosexuelles, mais il n’existe pas plus de lois protégeant les gays, lesbiennes ou transgenres victimes d’agressions en lien avec leur orientation sexuelle.
Les vidéos montrant des individus poursuivre de “présumés homosexuels “pour les molester sont fréquentes. En septembre 2017, nous avions publié une enquête sur des groupes Facebook qui organisaient une “chasse aux homosexuels” diffusant parfois leurs photos et invitant à les retrouver.
Le phénomène s’est aujourd’hui atténué, du moins en apparence, car les incitations à la haine continuent sur les messageries instantanées sur téléphone comme WhatsApp. Cette vidéo en est la dernière illustration.
Source: Obervateurs France 24