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Mali : six ans après la déroute des islamistes, les violences persistent

J’ai arpenté de nombreuses fois la route entre Bamako, la capitale du Mali, et Mopti, au centre du pays. Cette année lorsque j’y suis retourné, les villes animées que je traversais lors des 500 premiers kilomètres me semblaient familières. En revanche, sur les 160 derniers kilomètres, j’étais étonné de voir que la route qui s’offrait à nous était déserte. Autre point qui a attiré mon attention : les nouveaux bâtiments et les avant-postes militaires.

Cette région du Mali est en proie à une instabilité grandissante. Les militants islamistes extrémistes restent à ce jour actifs dans la région. La faction responsable de l’attaque sur les forces spéciales des États-Unis au Niger en 2017 venait de cette zone, quatre soldats américains ont trouvé la mort. Ces militants recrutent aujourd’hui des Peuls, ce qui a poussé les Bambaras et les Dogons à organiser leur défense et à rendre coup pour coup dans un déchaînement de violence ethnique.
Le conducteur de notre véhicule est anxieux, il est interdit de circuler entre les villes et villages après 18 h. J’arrive finalement à Sévaré, une ville qui compte environ 40 000 habitants juste à l’est de Mopti. Connu pour être un lieu sûr, l’Hôtel Flandre sera ma résidence pour les deux semaines à venir.

Le jour suivant, je décide de me rendre dans la zone où les attaques sont fréquentes. La falaise de Bandiagara est toujours aussi spectaculaire que dans mes souvenirs. Chef-lieu du peuple Dogon avec ses nombreux villages accrochés à la paroi, c’est l’un des paysages les plus saisissants de l’Ouest africain. Dès mon arrivée, les villageois commencent à me parler des massacres à l’encontre des Dogons perpétrés par les Peuls qui ont rejoint les extrémistes islamistes. Ils décrivent également leurs propres stratégies de défense. Dans un restaurant, on me dit qu’avant 2013, 150 touristes passaient chaque jour prendre leur repas ; aujourd’hui il n’y en a aucun.

Les souffrances de la région font suite à la rébellion de 2012 qui visait à établir un territoire indépendant pour les Touaregs dans la moitié nord du Mali. Cependant, les groupes islamistes se sont rapidement emparés du contrôle de la région et ont imposé la loi islamique, la charia. Les troupes françaises sont arrivées en 2013 pour reprendre le territoire et sont parvenues à chasser les islamistes des villes qu’ils contrôlaient.

Au Mali, le peuple Dogon vit depuis longtemps dans des villages en bord de falaises, comme celui-ci à Sanga.
Je réussis à arranger une rencontre avec quelques chasseurs traditionnels qui appartiennent à des sociétés secrètes appelées Dozos. Certaines de ces confréries sont aujourd’hui armées et organisées comme des milices. J’ai appris que l’un de ces groupes, le Dan Na Ambassagou, était accusé d’avoir tué 150 personnes le 23 mars 2019 dans le village d’Ogossogou.

Pendant mon séjour, j’ai passé la plupart de mon temps à l’hôtel à préparer mes sorties pour les reportages. Je ne sortais que pour prendre des photos et je retournais rapidement à l’intérieur. La situation est très tendue. Un groupe islamiste nommé Jamaat Nusrat al Islam wal Muslimin et affilié à Al-Qaïda opère dans les environs de Mopti, Djenné et Sévaré. Si vous êtes journaliste et plus particulièrement si vous êtes français, alors vous êtes une cible pour les preneurs d’otages. Le mieux est de ne pas être vu et de rester extrêmement discret.

Sur le fleuve Niger, la ville portuaire de Mopti était autrefois resplendissante, on la surnommait la Venise d’Afrique et elle attirait pléthore de touristes. Aujourd’hui, les islamistes établis en périphérie constituent une menace permanente. La ville connaît donc une période de déclin et n’accueille que quelques visiteurs. La situation n’empêche toutefois pas les habitants des alentours d’embarquer sur leur pirogue pour se rendre au marché.
Je décide d’aller à Kona, la ville où les forces armées ont réussi, sous commandement français, à stopper la prise de pouvoir des islamistes en 2013. Sur la route entre Mopti et Sévaré il n’y a presque aucun véhicule. L’insécurité règne. Je passe la nuit à Kona pour prendre en photo les patrouilles de nuit. C’est la municipalité qui les organise. Les patrouilles sont armées de machettes et circulent de nuit sur des triporteurs.

Prochain arrêt : Djenné. L’architecture en adobe de la ville est la plus remarquable au monde, comme en témoigne sa Grande Mosquée, que j’ai eu l’occasion de visiter dans la nuit du dimanche. Le grand marché se tient le lundi matin et la mosquée se remplit alors de fidèles venus de toute la région. Malheureusement, c’est généralement à la fin du marché que les attaques des militants surviennent. Les chasseurs Dozos rôdent également dans les allées du marché.

Les islamistes se situent à environ 10 km au nord de la ville. J’ai pu rencontrer les victimes de violences des deux factions, certaines attaquées par les islamistes Peuls et d’autres par les chasseurs Dozo. À l’aide d’un groupe de défense des victimes, j’ai échangé avec des jeunes femmes Dogons : Sevare, Fatima, Aissatou et Fanta. Elles m’ont parlé de l’écœurement qu’elles éprouvaient face à la vie. Les islamistes les ont kidnappées dans un bus et en ont fait leurs esclaves sexuelles.

Sur la route des chasseurs Dozo, notre voiture se dirige vers la partie nord de la ville jusqu’à ce que mes guides ne trouvent plus leur chemin. Ils sont habitués à voyager en moto et non en voiture. À l’intérieur du véhicule, la tension monte car la zone est extrêmement dangereuse.

Finalement, nous atteignons un village, les chasseurs Dozos se déplacent à moto et portent des armes à feu, je distingue même quelques Kalashnikovs. J’ai l’impression d’être dans le film Easy Rider. Je me demande pourquoi ils souhaitaient être photographiés. Ils doivent avoir quelque chose à partager. D’après le chef des Dozos, Sinally Maiga, ils sont obligés d’organiser leur propre défense car l’armée ne les protège pas. Le jour précédant mon arrivée, les islamistes ont attaqué un village voisin. L’armée n’a pas réagi, me dit-il, il n’a donc pas eu d’autre choix que d’intervenir avec ses chasseurs.

Sur le marché de Gao, les soldats français patrouillent dans le cadre des opérations militaires amorcées en 2014 par la France. Sur place, ils sont 4 500 soldats chargés de combattre les insurgés islamistes. Ces troupes sont réparties sur cinq pays, cinq anciennes colonies : le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Niger.
PHOTOGRAPHIE DE PASCAL MAITRE
Après quelques semaines, je retourne au Mali dans le cadre d’un reportage sur l’opération Barkhane qui rassemble 4 500 soldats français stationnés dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest : le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Niger. Nous atterrissons sur la base de Gao par laquelle j’étais passé en novembre 2016. La base s’est étendue depuis ma dernière visite, les bâtiments permanents y sont plus nombreux.

Le jour suivant, je monte à bord d’un hélicoptère. Une fois l’appareil dans les airs, nous survolons le Niger et passons à la verticale d’un fleuve qui serpente à travers le désert. On distingue ici et là des parcelles vertes qui correspondent aux terres cultivées par les habitants. La mission est un vol opérationnel tactique, nous volons donc à basse altitude et haute vitesse pendant deux heures. La région est vaste et les quelques villages qu’elle comporte se perdent dans l’immensité. Fiché à la porte, doigt sur la gâchette, le tireur embarqué scrute le terrain à la recherche du moindre mouvement.

LANCER LE DIAPORAMA
À chaque vol au-dessus du Sahel, je suis fasciné par la taille colossale du désert et par le néant qui l’habite. Ces vols me permettent de prendre toute la mesure des conditions difficiles rencontrées par les soldats français dans cette lutte contre les groupes terroristes. Notre objectif est de rejoindre une unité de reconnaissance composée de centaines d’hommes disposant de véhicules blindés. Nous sommes maintenant dans la région d’Akabar. Dans l’après-midi, je me joins à une patrouille qui se dirige vers la petite ville du même nom. Le lendemain, c’est le marché et de nombreux badauds sont attendus en ville. Les soldats contrôlent véhicules et passants. La tension est palpable. Certains civils affirment que les troupes françaises ne sont pas les bienvenues dans la région. Les militants se fournissent également sur le marché. Des habitants me disent que si les islamistes voient une personne fumer, ils la rouent de coup.

Je passe la nuit avec l’équipe. Le soir venu, un prêtre donne une messe et il est rejoint pas plusieurs soldats. Le jour suivant, je quitte la zone avec un convoi logistique en direction de la base de Ménaka. Ces convois sont lents et vulnérables, ils ont été attaqués de nombreuses fois. Trois heures après notre départ, l’unité a subi une attaque au véhicule piégé conçu pour pénétrer dans la base, s’arrêter puis exploser. Peu de temps après l’explosion, 15 assaillants à moto ont ouvert le feu contre les forces françaises puis ont pris la fuite face à la menace d’un avion de chasse survolant la zone. Quatre soldats français ont été blessés, dont deux grièvement.

Le jour suivant, je quitte Ménaka à bord d’un convoi militaire. Je rejoins une autre unité à Andéramboukane. Nous arrivons vers midi et je peux voir à quel point les conditions climatiques extrêmes sont difficiles pour les hommes et leur véhicule, la chaleur, le sable, la poussière. Peu de temps après, je pars sillonner la zone avec une petite patrouille militaire, comme j’avais pu le faire à Ménaka et Gao.

C’est toujours une sensation étrange de voir des soldats en uniforme au milieu des civils, une note discordante dans un pays dont l’objectif est la paix. Depuis mon dernier voyage en mars, trois soldats français ont trouvé la mort en opération. Un médecin militaire et deux commandos ont été tués pendant une mission de libération de quatre otages : deux Français, un Américain et un Coréen.

Le chemin vers la paix risque d’être long et sinueux.

nationalgeographic.fr

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