La Rentrée littéraire du Mali 2020 se tiendra du 18 au 23 février sur le thème : « Petites histoires et grands récits ». Partenaire de l’événement, L’Essor vous propose, chaque jour, le portrait d’un auteur invité
Biographie
Nathalie M’Dela-Mounier
Entre le Mali et la Bretagne, Nathalie M’Dela-Mounier s’attache à mettre en voix la marche déraisonnable du monde à travers essais, romans, théâtre et poésie. Métisse, elle aime explorer les contours flous de l’identité. Elle a publié des ouvrages portant sur l’interculturalité, notamment aux Éditions Les Oiseaux de papier, collection L’inacceptable : Sans Patrie, 2007, adapté à la scène par la Compagnie Le Puits qui parle ; L’Immigration n’est pas une Histoire sans paroles (en collaboration avec T. Diakité), 2008 ; Dernières Nouvelles du Monde…/Taama, 2013 ; Les Désenfantées Taama Éditions, 2015, A corps défendus, 2018. Avec Aminata D.Traoré (ex-ministre de la culture du Mali et essayiste), elle écrit notamment autour de la question des migrations et travaille autour d’alternatives citoyennes. Ensemble, elles ont co-écrit L’Afrique mutilée, Taama Éditions, 2012 et sont les marraines du Festival Paroles Indigo, à Arles, Grand Bassam, Tunis et Bamako.
Où que ce soit, habiter la joie
Nous ne sommes pas des pleureuses et pourtant nous pleurons
Nous ne sommes pas rêveuses et pourtant nous rêvons
Loin d’être terroristes pourtant nous portons haut nos mots
comme des bombes, au creux de nos ventres lourds de mères
et de grand-mères
Les crachons par nos bouches béantes, balles ébréchant le silence
pour blesser le néant
Forcément résistantes, consolantes, explosantes
Ordinaires merveilleuses, sans répit nous veillons
Nous sommes des éveilleuses discrètes ou révoltées
Jamais anéanties, en guerre contre l’oubli, nous osons entonner
cette prose irénique qui est hymne à la vie
Nos petits vont traqués, gibier chassé
Traversant les déserts et les jungles urbaines, dévorés par le feu
de leur abattement
Nous ne sommes pas des bêtes
et pourtant nous gémissons
d’une fièvre animale quand nous
léchons leurs plaies
Nos ardeurs sont bestiales et nos
chagrins griffus, notre douleur charnelle
et notre amour têtu
À l’appel macabre du chacal nous opposons
nos mots
Aux traces puantes de la pisse du serval,
le parfum de nos peaux
Nous sommes
Nous sommes simplement femmes-soleils de ce monde en tout lieu
sauvage Ne craignant ni la sombreur qui précède la lumière ni celle qui la suit
Les nuits qui tombent brutalement sur nos vies ne nous empêchent
pas de longer les murs de l’existence
Suivant du cœur chaque pierre disjointe, chaque couche de terre crue,
chaque herbe folle glissée dans un interstice, chaque impact de balle,
chaque lambeau de peau, chaque cri figé, chaque baiser mangé
Nous nous tenons debout dans l’aube noire, là où naissent les routes
Et qu’importe si nous ne savons pas vraiment où nous allons
D’ailleurs, qui donc le sait ?
Dans les bas-côtés, les ornières, les fossés, à l’ombre de nos doutes,
dans vos zones d’inconfort
Sans nous acagnarder, pesantes, déterminées, nous tanguons,
trébuchons portées par le roulis des ans sur nos hanches asymétriques
Et de nos souffles courts qui soulèvent la poussière ocre de l’errance,
nous osons froisser la fausse candeur des jours
Des femmes, rien que des femmes
Nous allons inusables et pourtant éreintées
Ni une, ni dix, ni cent, nous sommes des millions à errer dans les replis
cassants de vos saisons trop sèches
Devenant femmes-pluies
D’ici et de partout
Et où que sous soyons, nous habitons la joie d’être vivantes,
dignes et debout
Doussou niagaly musow ka so
Source : L’ESSOR