« Le Mali serait victime de malédiction », pourraient penser certains pessimistes en raison des nombreux coups d’État perpétrés pour la renaissance, mais, qui se soldent tous au désespoir. Le retour cyclique des mêmes maux doit inciter les politiques à devenir des techniciens au lieu de toujours demeurer utopistes.
Depuis son indépendance, en 1960, le Mali a toujours été confronté à des coups d’État. À chaque renversement de régime, l’objectif affiché demeure la volonté du renouveau et la fin de certains maux dont souffrent les citoyens : l’insécurité, la cherté de la vie ou encore la mauvaise gouvernance, etc.
Dialectique en marche
Si les coups d’État sont devenus une coutume dans ce pays, c’est parce que toutes les options, vues comme solution lors du renversement des différents régimes qui se sont succédé, ont été sanctionnées par des déceptions. Déceptions en donnant généralement lieu à d’autres maux souvent plus graves.Le régime à tendance socialiste de Modibo Kéïtaa été remplacé par la dictature de Moussa Traoré qui sera ensuite remplacée par la démocratie à la suite du vaste mouvement de 1991. Ce régime démocratique a déjà à son actif deux coups d’État militaires.
En 2020, le renversement du régime Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) et la venue des militaires au pouvoir avaient été vus comme une panacée. Malheureusement, les problèmes dénoncés sous le régime déchu ont persisté — voire à s’aggraver. L’insécurité tant dénoncée sous IBK s’est étendue beaucoup plus vers le Sud du pays. Avant le renversement d’IBK, plusieurs Premiers ministres ont même été démis de leur fonction juste parce qu’ils avaient été estimés incapables de mieux gérer la crise socio-politico-sécuritaire et institutionnelle qui perdure.
Monde d’utopies
Les citoyens aussi bien que la classe politique, voire la société civile malienne, semblent toujours incapables de se rendre compte de cette évidence : les problèmes demeurent pour l’éternité. Nul homme, nul chef d’État ou homme politique ne peut prétendre parvenir à une résolution définitive des maux dont la nation souffre. La solution à chaque problème demeure le départ d’un nouveau problème souvent plus grave que l’ancien. Une succession indéfinie de maux que des penseurs ont appelé « la dialectique des problèmes »ou encore « l’éternel retour ».
Selon Karl Popper,« la vie cherche un monde meilleur. Chaque être vivant pris isolément cherche un monde meilleur ou cherche tout au moins à s’arrêter ou à ralentir son déplacement là où le monde est meilleur. Et cela va de l’amibe jusqu’à nous. Notre désir, notre espoir, notre utopie sont toujours la découverte d’un monde idéal. »
Ce monde meilleur demeure et reste un désir, un espoir, et une utopie. Sa recherche se solde toujours par le désespoir. La renaissance attendue après le départ du régime IBK ainsi que ceux des régimes l’ayant précédé demeurent un idéal pour le peuple malien. Depuis Modibo Kéïta jusqu’à nos jours, le terrorisme a toujours existé et des options ont toujours été testées afin de résoudre cette crise, mais aucune n’est encore parvenue à le bouter hors du territoire. Faut-il donc renoncer à l’action parce que les problèmes sont infinis ?
Devenir des techniciens politiques
Pas pour autant. Exister, c’est tenter de résoudre des équations. En tant qu’être faillible, l’homme ne peut que poser des postulats qu’il testera sur des maux. Jean Baudouin expliquait que « tout art politique consiste dans ce que Popper appelle “raccommodage fragmentaire”, c’est-à-dire cette multitude de “petits réglages” grâce auxquels les techniciens politiques parviennent à corriger les trajectoires et à gérer convenablement la société ».
Il s’agit donc d’opter pour la méthode plus rationnelle d’« édification au coup par coup » ou encore par « intervention limité ».Les techniciens politiques doivent plutôt travailler à résoudre des problèmes réels du peuple, tels que la famine, la guerre, le chômage, ici et maintenant, au lieu de toujours se fixer des idéaux jamais atteints ou un bonheur collectif difficilement atteignable. « Un combat systématique contre la souffrance, l’injustice et la guerre a — du reste — plus de chance d’avoir l’appui des masses qu’un combat pour une société difficilement imaginable. », écrivait Karl Popper.
Il nous faut donc comprendre que les problèmes sont des phénomènes qui nous collent à la peau. Aucun homme ne possède et n’aura une solution miracle aux maux en raison de la nature humaine faillible. Il faut alors être de véritables techniciens politiques.
Fousseni Togola
Source : https://saheltribune.com