Dans ce billet, le blogueur Mohamed Ag Assory explique comment l’hydre djihadiste arrive à s’implanter au Mali et au Sahel.
L’actualité de cette dernière semaine a vu l’éclosion de toutes sortes de théories du complot autour de la crise sécuritaire malienne. Les forces internationales sont accusées, à mots à peine couverts, de connivences avec les djihadistes.
Mais ces nouveaux « complotistes » semblent en savoir peu à propos de l’hydre djihadiste. Cela traduit une ignorance sur ce phénomène, qui s’est progressivement implanté dans notre pays depuis la fin des années 1990. Je propose de le décrypter en quatre points.
1. Un djihadiste n’est pas un berger avec une arme !
L’un des facteurs qui contribue le plus à la désinformation généralisée est le cliché qui entoure les combattants des groupes extrémistes : pour le commun des Maliens, ces derniers sont des bergers avec des kalachnikovs. C’est très mal connaître les « nouveaux maîtres du Sahel ».
Pour la petite histoire, remontons un peu en arrière, dans les années 80, en Afghanistan. A l’époque, pour contrecarrer l’invasion de ce pays par les soviétiques, ceux qui seront bien plus tard le noyau du « djihadisme mondial » reçoivent des formations militaires de la CIA pour mettre en échec l’invasion. C’était très courant, pendant la guerre froide, que des puissances s’appuient sur des moyens non conventionnels pour se livrer une bataille par procuration.
Ils étaient des milliers venant de plusieurs pays, y compris du Maghreb, à avoir été spécialisés dans l’art de la guérilla moderne. De simples élèves coraniques ont été transformés en combattants aguerris capables de croiser le fer avec la puissante armée rouge.
Après l’épisode Afghan, plusieurs de ces « moudjahidines » retournent dans leurs pays avec les techniques de combat apprises dans les bagages. Certains des chefs des mouvements opérant au Mali sont des anciens de cette cohorte, à l’image de Mokhtar Bel Mokhtar.
Pour revenir au Mali, en 2019, en plus des djihadistes étrangers, plusieurs locaux étaient des anciens officiers supérieurs de l’armée malienne et des anciens de la légion islamique de Kadhafi, qui ont combattu les Israéliens en Palestine et au Liban ainsi que les Tchadiens lors du conflit de la bande d’Aouzou.
C’est pour dire combien les « nouveaux maîtres du Sahel » ont tout, en termes de capacités militaires, pour mettre en œuvre l’agenda macabre et tenir face à n’importe quelle armée.
2. Un arsenal bien fourni
En plus de disposer des experts, les groupes terroristes ont le matériel nécessaire pour mener les opérations. La première source d’approvisionnement en armes demeure la prolifération des armes légères en Afrique. Pour illustrer ce cas, selon plusieurs organisations spécialisées dans ce domaine, au moins 500 millions d’armes sont en circulation en Afrique de l’Ouest.
Depuis 2011, avec la chute du « Guide » libyen, l’arsenal de ce pays, qui était parmi les plus grands acheteurs d’armes en Afrique, a été mis sur le marché au Sahara. Des armes sophistiquées, inaccessibles pour la plupart des pays subsahariens, se sont retrouvées aux mains des groupes djihadistes.
Par ailleurs, les groupes djihadistes se renforcent de jour en jour avec les butins de guerre obtenus lors des attaques de casernes militaires des forces régulières.
3. Des moyens financiers conséquents
Pour faire la guerre, il faut une idéologie, des hommes bien formés, des armes, mais aussi des moyens financiers.
Les groupes djihadistes ont eu suffisamment le temps de développer une véritable entreprise transfrontalière, avec plusieurs succursales, un vrai conglomérat économique.
La première source de revenus mesurable est celle des otages occidentaux. A titre d’exemple, depuis 2008, cette industrie aurait rapporté plus de 125 millions de dollars aux groupes terroristes, selon une enquête du New York Times. Rien qu’en 2013, les extrémistes ont empoché 66 millions de dollars.
Au-delà de l’industrie des otages, ces groupes ont diversifié leurs activités allant des prélèvements obligatoires sur le trafic de drogue, les migrants clandestins, l’orpaillage traditionnel et sur les activités de contrebande en général dans les zones du centre et du nord du Mali. Enfin, certaines katibas prélèvent des taxes dites du « djihad » auprès des populations civiles, les obligeant à participer économiquement à l’effort de guerre.
Ainsi, ces groupes sécurisent leurs sources d’approvisionnement en produits de première nécessité dans le Sahel pour poursuivre leur agenda.
4. Un nombre de combattants croissant
A ce jour, il est très difficile de comptabiliser le nombre exact des combattants des groupes terroristes actifs au Sahel. Si on connaît le nombre des différents groupes, qui se résument à plus ou moins une dizaine, tel n’est pas le cas pour le nombre de combattants.
Si en 2012 certains spécialistes parlaient de l’ordre de 500 à 700 combattants, aujourd’hui la donne a changé ! Ce nombre a visiblement doublé voire triplé avec l’enrôlement des locaux.
Récemment, François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, estimait les djihadistes actifs au Mali et au nord du Burkina à 2000, soit « 1600 au Mali et 400 au Burkina Faso ». Ces chiffres demeurent des estimations et ne prennent pas en compte les mouvements des combattants entre les différents théâtres, de la Libye au Sahel et vice versa. Ni encore le retour des djihadistes africains qui opéraient en Syrie et en Irak.
Selon une étude du Center for Security Studies de l’ETH Zurich, ils seraient « 3000 Tunisiens, 1600 marocains, 600 Égyptiens et 260 Algériens » à avoir rejoint les rangs de Daech et beaucoup de ce lot serait de retour depuis la défaite du « Califat » par la coalition internationale.
L’accroissement du nombre de combattants locaux peut s’expliquer par la responsabilité des ressortissants de la région a la tête des katibas. Si au début les chefs des différentes tendances étaient des Algériens, Mauritaniens, ou Sahraouis, aujourd’hui le relais serait passé aux « Ansar », c’est-à-dire les locaux : ce qui booste le ralliement de plus de combattants.
Source : benbere