Au lendemain du sommet de Bamako et alors qu’il est à Addis-Abeba pour le sommet de l’Union africaine, le président nigérien a accordé une interview à Jeune Afrique.
La lutte contre le terrorisme au Sahel est une des préoccupations centrales du 29esommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA), qui se tient depuis lundi 3 juillet en Éthiopie. La veille, les dirigeants du G5 Sahel se réunissaient à Bamako avec le président français, Emmanuel Macron, pour tenter de trouver le financement nécessaire à la mise sur pied, d’ici à la fin août, d’une force de 5 000 hommes. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie avaient alors annoncé qu’ils contribueraient à hauteur de 10 millions d’euros chacun. Loin des 423 millions d’euros jugés nécessaires, l’Union européenne (UE) avait pour sa part annoncé qu’elle apporterait une aide de 50 millions d’euros, et la France, de 8 millions d’euros en aide logistique et matérielle. Au lendemain de cette rencontre, à son arrivée à Addis-Abeba, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, a accordé une interview à Jeune Afrique.
Mahamadou Issoufou : Vous arrivez de Bamako, où vous avez rencontré les présidents des pays du G5 Sahel. Après l’Union européenne, la France vous a promis 8 millions d’euros. Les conclusions de cette réunion vous semblent-elles satisfaisantes ?
Jeune Afrique : Le Sahel fait face à des menaces qui mettent en péril l’existence même des États. Terrorisme, trafic d’armes, drogue, traite des êtres humains… Nous sommes face à une menace majeure et le Niger est sur la ligne de front. Nous avons milité pour une mutualisation des moyens des pays du G5 Sahel, parce qu’aucun État ne peut combattre le terrorisme tout seul. Pour concrétiser cela, nous avons proposé la mise en place d’une force conjointe qui serait composée de contingents issus des cinq pays concernés. Nous avons conçu cette force conjointe un peu à l’image de la force mixte multinationale qui combat Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Mais pour la rendre opérationnelle, le problème de son financement et des moyens logistiques se pose avec acuité.
C’est pour cela que nous nous sommes adressées à la communauté internationale. La paix et la sécurité sont un bien public mondial, tout le monde doit participer à la lutte contre le terrorisme. Les Nations unies ont adopté une résolution stipulant la nécessité de recourir à des bailleurs de fonds pour régler la question du financement. Personnellement, elle ne me satisfait pas pour la simple raison que la situation urge, cette force d’intervention doit être opérationnelle dans les plus brefs délais.
J’ai proposé en ce sens que la force du G5 Sahel devienne une brigade au sein de la mission des Nations unies au Mali (Minusma), suivant l’exemple de la mission onusienne du Congo. Le Mali et le Congo se trouvent dans la même configuration. Dans les deux cas, il y a des mouvements qui veulent la paix et d’autres qui prônent la violence. L’intégration de la force d’intervention du Sahel dans la Minusma nous permettra à la fois d’appliquer les accords de paix d’Alger et, en même temps, de combattre le terrorisme.
Avez-vous proposé cette solution aux Nations unies ?
Cette solution a toujours été ma position et elle va continuer à l’être. Pour le moment, elle n’est pas bien comprise. Une des recommandations de la réunion du G5 Sahel stipule que cette brigade pourra être mise sur pieds grâce à des financements de la Minusma. C’est déjà un bon début.
Mais je pense que, in fine, la force du G5 Sahel doit non seulement être intégrée à la Minusma mais aussi disposer de tous les moyens de cette dernière, y compris de son budget, composé de près d’un milliard de dollars.
Selon vous, cette solution réglerait-elle le problème du financement de la force d’intervention du G5 Sahel ?
Incontestablement. Il est vrai que l’Union européenne (UE) et la France vont participer, mais il ne faut pas oublier que les États concernés vont eux aussi miser 10 millions d’euros dans cette force d’intervention. Pour le moment, nous avons 5 millions d’euros pour la faire démarrer. Mais les ressources nécessaires pour la maintenir sur la durée sont beaucoup plus importantes.
Avez-vous sollicité l’Union africaine pour qu’elle participe à ce financement ?
Quand le G5 Sahel a pris la décision de mettre en place la force conjointe en février dernier, nous avons convenu qu’il fallait passer par le canal de l’UA puis que l’organisation soumettrait nos résolutions au Conseil de sécurité des Nations unies, afin qu’un mandat soit donné à cette force pour combattre le terrorisme dans le Sahel − et en particulier au Nord Mali, là où est le cœur de la menace −. Donc l’UA est largement impliquée, mais vous savez qu’elle n’a pas de ressources propres.
Paradoxalement, les dirigeants de l’UA soulignent le fait que le continent doit se prendre en charge et s’autofinancer, pour arrêter d’être dépendants des Occidentaux…
Ce qui nous préoccupe c’est le présent. Aujourd’hui, l’UA n’a pas de ressources. Mais à l’avenir, vous avez raison, nous avons décidé de ne plus être dépendants des financements extérieurs et c’est pour cela qu’il a été décidé de confier au président rwandais, Paul Kagamé, la mise en place d’une taxe de 0,2% sur les importations en Afrique. L’objectif est de pour pouvoir financer le fonctionnement, les investissements, et une partie du fonds paix et sécurité de l’UA.
Cette taxe de 0,2% sur les importations fait partie des sujets au cœur du sommet de l’UA qui se tient en ce moment à Addis-Abeba, mais elle semble diviser les pays africains…
Elle ne divise pas tant que ça, les pays réticents sont très peu nombreux. Les réformes sont nécessaires. Il faut qu’on ait de l’ambition pour l’Afrique car celle-ci est trop divisée. Nous devons accélérer l’intégration du continent. Pour cela, il faut des ressources. Certes, les bailleurs de fonds peuvent aider mais il faut d’abord qu’on compte sur nos propres forces. C’est pour cela que je suis favorable à cette réforme.
D’ailleurs, cette disposition existe déjà au niveau de certaines communautés régionales comme la Cedeao, où il existe une taxe de 0,5% sur les importations. Pourquoi ne pas l’étendre à l’échelle du continent ?
Avez-vous déjà intégré la taxe de l’UA à la législation nigérienne ?
Absolument. Dans le cadre du Budget 2018 du Niger, cette disposition sera intégrée.
Cette année, vous êtes à la tête des travaux sur le libre-échange au sein de l’UA. Où en est-on de la création d’une zone africaine de libre-échange ?
C’est une réforme majeure. La décision de promouvoir le commerce intra-africain a été prise en 2012 et nous avons lancé le processus de négociations pour l’établissement de cette zone à partir de 2015. Le but est de donner une nouvelle impulsion au commerce entre les pays du continent. Aujourd’hui, les États africains commercent très peu entre eux.
Les ministres du Commerce se sont déjà réunis à Niamey, ça a été une étape très importante. Ils se sont entendus sur plusieurs points notamment sur le fait que 90% des marchandises entre pays africains devront être échangées sans obstacle tarifaire. Au-delà, l’objectif est aussi de mettre fin aux obstacles non-tarifaires.
À quel horizon cette réforme doit-elle entrer en vigueur ?
Les accords seront présentés au prochain sommet de l’UA, en janvier 2018. Selon les pays, les modalités de mise en œuvre seront modulées. Pour certains, la période de transition sera de cinq ans, pour d’autres, cela pourra aller jusqu’à dix ans.
Certains pays s’interrogent sur la conformité de cette réforme avec la législation internationale, notamment avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)…
On tiendra compte de nos engagements vis-à-vis de l’OMC mais cette zone de libre-échange est un objectif incontournable. L’Afrique est trop divisée, nous avons 80 700 kilomètres de frontières ! Développer le commerce autour de ces frontières serait un véritable parcours du combattant. Il faut libéraliser et abattre les obstacles tarifaires et non-tarifaires.
L’écrivain Frantz Fanon disait : « Chaque génération a sa mission historique. Elle peut l’accomplir ou la trahir». Notre mission est d’accélérer le développement économique de l’Afrique et nous ne pouvons pas la trahir.
Source: jeuneafrique