En déplacement au Burkina Faso, en Côte-d’Ivoire et au Ghana, le président français doit s’adresser à la jeunesse. Comme ses prédécesseurs, il promet une rupture, qui paraît difficile.
Là encore, Emmanuel Macron promet le renouveau. Son discours à la jeunesse d’Afrique, ce mardi à l’université de Ouagadougou, devrait marquer, assure l’Elysée, une vraie rupture, tant sur le fond que sur la forme, avec ce qu’ont pu faire ses prédécesseurs. Il est vrai qu’il est loin d’être le premier chef de l’Etat à inscrire un grand discours africain à son agenda. Dès juillet 2007, Nicolas Sarkozy était à Dakar, où sa promesse d’en finir avec la Françafrique fut quelque peu éclipsée par ses malheureuses considérations sur «l’homme africain» qui ne serait «pas assez entré dans l’histoire». Cinq ans plus tard, c’est encore à Dakar que François Hollande tournait lui aussi la page de la Françafrique, prétendant ouvrir celle d’un véritable «partenariat».
Quoi de neuf, donc, si ce n’est qu’une autre capitale, Ouagadougou, sert de cadre à ce nouveau discours ? «Le choix du Burkina est en soi un message», fait valoir l’Elysée, soulignant qu’il s’agit d’un pays dont la jeunesse, «particulièrement politisée», «n’a pas forcément une bonne image de la France». Devant environ 800 étudiants, le président français devrait, après son discours, se prêter à une séance de questions-réponses. «Sans filtre», précise son entourage, assurant qu’il n’esquivera «aucune» des questions gênantes. La promesse fait sourire sur place : l’Elysée aurait limité à quatre le nombre des questionneurs… (lire ci-contre). Ils pourraient, par exemple, interroger Macron sur la levée du secret-défense à propos de l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 (lire page 4). Ils pourraient revenir sur le concept de «défi civilisationnel»utilisé par Macron l’été dernier à propos de la fécondité des femmes africaines.
Parce qu’il prétend faire de la relation avec l’Afrique un élément de son projet de «refondation de l’Europe», Macron a choisi de faire coïncider son discours à la jeunesse avec le sommet UE-Afrique qui s’ouvre ce jeudi à Abidjan, avec la brûlante question migratoire à son ordre du jour. Le lendemain, sa tournée africaine s’achèvera par une journée au Ghana. Dans la capitale, Accra, une rencontre est prévue autour d’un incubateur de start-up. Tout au long de ce voyage, le Président tient à célébrer les signes de vitalité économique sur le continent : il inaugure mercredi une centrale solaire capable de satisfaire plus de 10 % de la demande d’énergie du Burkina Faso et pose le lendemain la première pierre du chantier du métro d’Abidjan.
«Micro-trottoir»
Pour «toucher aux préoccupations les plus immédiates» des jeunes Africains, le chef de l’Etat a associé à la préparation de son discours son Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), un groupe d’une dizaine de personnalités françaises et africaines, surtout issues du monde de l’entreprise. Le CPA se réunit chaque semaine depuis fin août. Il a notamment exploité, explique l’Elysée, «les exercices très rigoureux de micro-trottoir»des médias burkinabés auprès des étudiants : «Ils disent ce qu’ils ont sur le cœur. C’est du brut, ça ne fait pas forcément plaisir à entendre.»
«Macron a compris que l’image de la France était altérée : la France sait parler aux élites africaines, pas assez à la “vraie” population. Or, dans ces pays, la population, ce sont aux trois quarts des jeunes, estime Alain Antil, de l’Institut français des relations internationales. Avec le CPA, Macron essaye d’ouvrir un canal différent pour communiquer directement avec la société civile.» «Jeunesse, entrepreneurs, société civile… Le Président ne fait qu’appliquer son prisme national à l’Afrique, nuance un spécialiste du continent. Ça ne suffit pas pour dessiner une politique africaine.»
Le renouveau peut-il aller au-delà des innovations préparatoires de cette tournée diplomatique ? «Tous les présidents parlent de rupture dans leur relation avec l’Afrique en arrivant au pouvoir. Mais ils sous-estiment la force d’inertie de cette relation, estime Alain Antil. Sur quasiment l’intégralité des dossiers africains, Macron se place dans la continuité de son prédécesseur.»
Cela vaut pour son détour par le Ghana : la volonté d’ouverture vers l’espace non-francophone était déjà une préoccupation de Sarkozy et Hollande. «La diplomatie économique commande d’aller vers l’Afrique anglophone, plus dynamique, mais les impératifs sécuritaires ramènent toujours la France à son pré-carré, explique un expert. Hollande avait déjà tenté cette ouverture mais il avait été rattrapé par le Mali et la Centrafrique.»
Le dispositif militaire français au Sahel (4 000 soldats sont déployés pour l’opération «Barkhane») dont a hérité le président français n’est pas remis en cause. «Une fois engagée, la France n’a plus beaucoup de choix. La seule option est désormais le renforcement des capacités militaires des pays partenaires», poursuit-il. Macron s’est impliqué dans le lancement de la force du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger). Et c’est Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense à l’époque de l’intervention au Mali, qui assure désormais le suivi diplomatique du G5 à la tête du Quai d’Orsay. Continuité assumée, donc.
Fidèle à son credo européen, Macron tente bien entendu d’associer à son action les pays de l’UE. «Avec peu de succès jusqu’à ces dernières années, constate le chercheur de l’Ifri. Mais certains dossiers ont changé la donne : la question migratoire et le terrorisme concernent désormais tous les Européens. On assiste à une montée en puissance de l’Allemagne, et l’Europe se mobilise de plus en plus sur les questions d’immigration. Pourtant, ils se méfient toujours de ces appels du pied de Paris, perçus comme une volonté de franciser la politique européenne, et non l’inverse.»
«Esclavage»
Macron a voulu associer les Européens à sa première initiative concrète sur le continent : l’ouverture de «hostpots» au Niger et au Tchad pour pré-examiner les demandes d’asile des candidats sélectionnés par le Haut Commissariat aux réfugiés. Les fonctionnaires de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ont été envoyés sur place le mois dernier, dans l’espoir que leurs homologues européens suivront le mouvement. «Ces centres ne traiteront qu’une portion infime du flux de migrants, prévient Laurent Bigot, ancien diplomate. Ils ne résoudront pas le problème car ils ne s’attaquent pas aux causes des départs. Des gens sont prêts à risquer leur vie, à être réduits en esclavage, à subir des viols et des tortures – car ils savent très bien ce qui les attend – plutôt que de rester dans leur pays : c’est cela qui devrait faire réfléchir Macron et les chefs d’Etat africains.»
Liberation