Que fait un agent des « Eaux et forêts » en poste dans une région désertique ?
Au Mali, il dort.
Après quatre années soporifiques, José Poudiougou s’est réveillé.
Devenu l’ami des paysans, il leur a appris à planter des arbres dans le désert.
Au Mali, les forestiers ont une réputation méritée de pères fouettards.
Cette image, ils la doivent au trop grand zèle qu’ils mettent à veiller sur les maigres ressources forestières du pays.
Désertique aux deux tiers, le Mali ne peut compter pour sa nourriture, que sur sa partie sud, elle même fortement tributaire de la pluie.
En période de soudure, nombreux sont les paysans qui se transforment en bûcherons pour approvisionner en bois et charbon de bois les grandes villes.
Coups de hache et feux de brousse signent l’arrêt de mort des forêts.
Pour préserver ces îlots de verdure, un service dénommé Eaux et forêts, « Zoforê » pour les paysans « chasseurs de la forêt », comme les appellent les ruraux, constituent donc de véritables bêtes noires pour les villageois, mis aux arrêts sous toutes sortes de prétextes ou rançonnés.
Apparemment sans grand succès, puisque les forêts continuent de se consumer et les arbres d’être abattus.
Il suffit de payer… au comptant pour avoir la paix.
Les jeunes, pressés de s’enrichir, convoitent la profession d’agent des Eaux et forêts, mais ils ne peuvent jouir de ce privilège que s’ils se trouvent dans une localité où il y a des arbres…. à abattre.
Ce n’est pas le cas dans les régions nord du Mali où le désert règne en maître.
Cependant, on continue à y envoyer des « chasseurs de la forêt ». Ceux qui ont la malchance d’y être affectés, se considèrent comme maudits.
Fatigué de se reposer, josé Poudiougou est l’un de ces agents que la « malchance » a longtemps poursuivi.
Ses ennuis commencent en 1981, date de son affectation dans la zone désertique de Tombouctou, au nord du Mali. « Pour moi, se rappelle-t-il, tout semblait être fini, ma carrière, mes ambitions ».
Aujourd’hui, son discours a changé. Il exerce toujours dans la région où il s’est définitivement installé pour goûter aux fruits de la persévérance qui lui a permis de gagner à sa cause les paysans.
« Au début, raconte José, et pendant quatre ans, je ne faisais que dormir et percevoir mon salaire les fins de mois. Il n’y avait rien à faire. Dans le village de Bintangoungou où je travaillais, il n y avait même pas d’arbres dans les concessions, encore moins de forêt dans la localité.
Or, nous sommes des agents de répression et il n’y avait rien à réprimer, puisqu’il n’y avait pas d’arbres à abattre. Les villageois ne vivaient que de la pêche et de leurs petites rizières au bord du fleuve Niger ».
Fatigué de se reposer, il décide en 1985 de travailler pour de bon.
« Je suis originaire de Sangha en pays dogon. Je connaissais les problèmes du monde rural, étant fils de paysan. Je me suis alors dit : si les paysans n’ont pas d’arbres à abattre, pourquoi ne pas les aider à reboiser ?
C’est ainsi que j’ai réuni les jeunes du village pour les sensibiliser contre l’ensablement du lit du fleuve et même des concessions, car des maisons s’effondraient sous le poids du sable et des vents »
Pendant un an, son opération de charme s’enlise.
Les villageois le suspectent de leur tendre un piège. L’un d’eux finit même par lui dire : « Nous avons tout compris. Votre stratégie consiste à nous amener à planter des arbres afin, ensuite, de nous rançonner pour en avoir coupé une branche ».
Renversant !
Loin de se décourager, José se met au travail : « J’ai cherché et acheté plusieurs plants que j’ai ramenés du sud du pays. J’ai testé les dunes de sable autour du village et constaté qu’elles conservaient l’humidité. J’ai alors planté des arbres sur 50 m. Quelques jeunes m’ont aidé à les arroser une ou deux fois. Nous avons réussi à 100 %. Cela a créé la surprise et suscité des adhésions. Nous avons réalisé ainsi toute une ceinture d’arbres ».
En deux ans, les Tamarik aphila ont poussé.
Du coup, d’autres villages sollicitent la collaboration de cet agent forestier, pas comme les autres.
Ranger le fusil
Affecté à une centaine de kilomètres à l’est de Tombouctou, José poursuit son travail, tout en ignorant que l’écho de son initiative est parvenu aux oreilles du directeur régional des Eaux et forêts et du ministre malien du Développement rural et de l’environnement.
Un programme de fixation des dunes voit ainsi le jour en 1990. Il est financé pour plus d’un milliard de francs cfa par la Communauté européenne aujourd’hui devenue « Union Européenne ». Objectifs : protéger la vallée du Niger, constituer des forêts classées dans le nord du Mali et fixer des dunes autour des villes. Les résultats sont probants. Avec des motopompes et du petit matériel d’arrosage distribués aux paysans par le programme, les berges du fleuve Niger reverdissent par endroits.
Des petites forêts comme autant d’îlots de verdure entourent des villages désertiques des régions de Tombouctou et Gao.
De nos jours, la région de Tombouctou doit même faire face à une surproduction de bois de construction (eucalyptus).
Chef de poste du programme de lutte contre l’ensablement dans un petit village situé à 25 km de Tombouctou, puis à Niafunké, José n’a rien perdu de son enthousiasme.
L’homme qui ne porte plus, ni armes à feu, ni tenue militaire, explique : « Je suis désormais l’ami des paysans. Les agents des Eaux et forêts doivent devenir agents de développement. Désormais, ma vocation, c’est la lutte contre le sable, la chasse au sable ».
Boubacar SANKARE