Officiellement investi samedi par le RHDP comme candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre, le président ivoirien a prononcé un long discours combatif.
À la tribune d’un stade Félix Houphouët-Boigny plein à craquer, Alassane Ouattara arbore un grand sourire et brandit une pancarte. « ADO, un coup KO ». La foule exulte. Ils sont des dizaines de milliers venus très tôt se masser dans les gradins et sur la pelouse. « ADO, un coup KO », reprennent-ils en choeur.
Investi candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), ce samedi 22 août, le chef de l’État ivoirien n’a pas fait mystère de ses objectifs : l’emporter au 1er tour de l’élection présidentielle du 31 octobre. Alassane Ouattara devrait déposer en personne sa candidature ce lundi, avant de prendre quelques jours de repos.
À douze semaines du scrutin, et si la campagne officielle ne démarrera que le 15 octobre, le match est déjà lancé. « Certains sont candidats mais cela fait 10 ou 20 ans qu’ils ne travaillent plus. Que pensent-ils pouvoir apporter à la Côte d’Ivoire ? Rien », a lancé ADO visant sans le nommer celui qui, à 86 ans, sera son principal adversaire, Henri Konan Bédié, le candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
« Cas de force majeure »
Lors de son discours, le chef de l’État ivoirien a justifié son choix de revenir sur sa décision de ne pas briguer de troisième mandat. Comme il l’avait fait lors de son discours à la nation prononcé le 6 août, ADO a évoqué le « cas de force majeure » qu’a constitué selon lui le décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, jusque-là candidat désigné du RHDP. « À moins de quatre semaines du dépôt des candidatures, il nous était difficile d’organiser des primaires pour désigner un candidat qui fasse l’unanimité », a-t-il déclaré.
Malgré ces justifications, cette décision, pas forcément bien perçue par la communauté internationale, risque fort de ternir son image. Alassane Ouattara s’apprête-t-il à mener le combat de trop ? « Il a déjà raté sa sortie », juge un diplomate occidental.
Car sa candidature à un troisième mandat est fortement contestée par l’ensemble de l’opposition et la société civile qui l’accuse de ne pas respecter l’esprit de la Constitution et le suspecte de vouloir passer en force. Si la loi fondamentale limite à deux le nombre de mandats, et que plusieurs de ses proches avaient déclaré au moment de son adoption en 2016 qu’elle ne permettait pas à ADO de se représenter, le président estime aujourd’hui qu’il est dans son droit.
Laurent Gbagbo
« Tous les observateurs de bonne foi savent qu’étant dans la 3e République, rien ne m’empêche d’être candidat. C’est le cas pour mes prédécesseurs s’ils remplissent toutes les conditions car il n’y a pas de rétroactivité dans la Constitution », a-t-il lancé.
ADO a directement évoqué le cas de Laurent Gbagbo. L’ancien président ne sera pourtant pas autorisé à se porter candidat, notamment parce qu’il a été rayé des listes électorales. Un recours déposé par ses proches a été rejeté. La Commission électorale indépendante (CEI) a justifié cette décision par le fait que Gbagbo, acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), a été condamné à 20 ans de prison par la justice ivoirienne pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest pendant la crise postélectorale de 2010-2011.
LE TEMPS OÙ L’ON POUVAIT ACCÉDER AU POUVOIR PAR ACCIDENT EST PASSÉ
La situation de Laurent Gbagbo et la candidature d’Alassane Ouattara ont provoqué des tensions dans certains quartiers d’Abidjan et dans plusieurs localités du pays. Face à ce début de contestation, Alassane Ouattara n’a pas hésité à restreindre les libertés publiques en interdisant toute manifestation sur la voie publique jusqu’au 15 septembre. Un virage jugé « répressif » par de nombreux diplomates en poste à Abidjan et dénoncé par Amnesty International mais que le chef de l’État semble assumer.
Ce dernier a d’ailleurs rejeté la responsabilité des violences sur l’opposition. « Ils ont peur car ils savent qu’ils ne peuvent pas gagner. Ce sont des peureux. Ceux qui veulent s’engager dans la violence auront des comptes à rendre. Le temps où l’on pouvait accéder au pouvoir par accident est passé », a-t-il déclaré.
« L’opposition n’a jamais eu l’intention d’aller aux élections. Elle est dans une logique insurrectionnelle et son conseiller militaire se nomme Guillaume Soro », poursuit un ministre. Des accusation démenties par l’opposition qui affirme vouloir contester pacifiquement la candidature d’Alassane Ouattara et accuse le pouvoir d’être responsable des tensions.
Manifestations
Malgré l’interdiction de manifester, des marches d’ampleurs variées se sont déroulées le 21 août. Dans le quartier Kouté à Yopougon, une manifestation de femmes a été dispersée par la police. Des heurts ont ensuite opposé les forces de l’ordre à une grosse centaine de jeunes. « Nous sommes dans un pays qui se veut État de droit, mais qui est dans l’illégalité. Le pouvoir n’appartient pas à Alassane Ouattara. Il le tient du peuple. Pourquoi alors utiliser ces méthodes face à des gens qui marchent les mains nues », confiait l’un des manifestants.
La situation fut bien plus grave à Bonoua (Sud-Est) et Divo (200 km au nord-ouest d’Abidjan), théâtre d’affrontements communautaires dont chaque camp se rejette la responsabilité.
À Bonoua, un manifestant, apprenti mécanicien, avait été tué par le police le 13 août réveillant les tensions entre communautés. Vendredi, une nouvelle manifestation qui s’était déroulée de manière pacifique a finalement dégénérée, entraînant des heurts violents et de nombreuses destructions. Un couvre-feu a été instauré de 20 h à 5 h du matin. De nouveaux affrontements ont eu lieu samedi à Divo.
Dix ans après la fin de la crise postélectorale, les rancoeurs et la défiance entre les camps demeurent très fortes, faisant craindre un retour du cycle de la violence.
Source: Jeune Afrique.com