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Libye/Mission onusienne : Quelles motivations derrière le rejet de Dbeibah de la candidature du Sénégalais Bitali ?

– Le gouvernement d’Union préférait l’Algérien Sabri Boukadoum, tandis que le Sénégalais Abdoulaye Bitali bénéficie de l’appui du camp hostile à Dbeibah.

Istanbul

AA / Istanbul

Au moment où le Conseil de sécurité de l’ONU s’approche du premier consensus, depuis près de de huit mois, au sujet de la désignation d’un nouvel émissaire onusien pour la Libye, le gouvernement d’Union dirigé par Abdelhamid Dbeibah s’est opposé au nom du candidat sénégalais proposé à ce poste.
Le véto brandi par le gouvernement libyen contre le Sénégalais Abdoulaye Bitali incite à s’interroger sur les arrière-pensées et les motifs de cette position, et si Tripoli dispose de la prérogative de rejeter cette candidature, ou si le Conseil de sécurité la fera valider si aucune opposition ne sera émise par les Etats membres.
L’acceptation de Washington et ses alliés du candidat sénégalais, dont le pays préside actuellement l’Union africaine (UA) constitue une première victoire des Africains dans le dossier libyen.
En effet, les États du Continent noir ont défendu leurs droits à ce qu’une personnalité africaine soit chargée de la présidence de la Mission onusienne en Libye, avec un appui russe et chinois. Mais cela a essuyé, pendant une longue période, un refus américain obstiné.
Parmi sept émissaires onusiens en Libye, aucun d’entre eux n’était africain. Ils étaient tous européens ou des personnalités arabes du continent asiatique.
Jan Kubis était slovaque, Ghassan Salamé un Libanais, Martin Kobler un Allemand, Bernardino Leon un Espagnol, Tarek Metri un Libanais, Ian Martin un Britannique et Abdel Ileh Khatib un Jordanien.
C’est pour cette raison que les Africains ont considéré que la non-désignation d’un émissaire issu de leur continent en Libye, pays qui a vu la proclamation de l’UA en 1999, constitue une marginalisation de leur rôle, même lorsqu’il s’agit des causes qui concernent leur continent et qui ont des retombées et des conséquences sur la sécurité de leurs pays.
Ainsi, la désignation de Bitali ou de tout autre candidat africain sera considérée comme étant une victoire de l’UA face à des puissances mondiales dominantes.

– Le candidat de l’autre camp

L’opposition affichée par le gouvernement d’Union contre la candidature du Sénégalais Abdoulaye Bitali pour présider la Mission onusienne était surprenante, d’autant plus que le pays souffre d’une impasse politique et d’une tension sécuritaire et a besoin, plus que jamais, d’une forte présence onusienne pour éviter que la situation ne se détériore davantage.
Le Représentant libyen auprès des Nations unies, Taher Al-Seni, a expliqué certains motifs de ce refus, qui peuvent être résumés en l’absence de consultation par le Secrétaire général de l’ONU du gouvernement d’Union au sujet du nom proposé à la présidence de la Mission onusienne, avant de le soumettre aux 15 membres du Conseil de sécurité. Il s’agit aussi du fait que la personnalité proposée « doit être plus compétente et apte à assurer sa mission ».
Bien que al-Séni ait tenu à préciser que le niet n’est pas dirigé contre la personne de Bitali et que son gouvernement aspire à ce que le nouvel émissaire soit issu du continent africain, les deux raisons indiquées dissimulent d’autres motifs qui n’ont pas été affichés.
Parmi ces raisons figure le fait que le Sénégal fait partie des pays où la France dispose d’une influence majeure, et par conséquent Bitali sera considéré comme étant proche du camp de la région orientale du pays, qui est hostile au gouvernement d’Union.
Du moment que la chambre des députés, présidée par Aguila Salah, s’était opposée à la candidature de l’Algérien Sabri Boukadoum, dans la mesure où le pays de ce dernier reconnaît le gouvernement d’Union, il est probable que l’opposition du gouvernement d’Union à la candidature du Sénégalais serait motivée par les mêmes causes, d’autant plus qu’il bénéficie de l’appui de l’autre camp.
De plus, Bitali ne bénéficie pas d’un poids diplomatique majeur et n’est pas soutenu par un grand pays, comme cela fut le cas à l’époque de Stephanie Williams, la diplomatie américaine, et par conséquent la possibilité qu’il enregistre des progrès dans le dossier libyen est mise en doute.
Ajoutons à cela que l’expérience des Libyens avec le Zimbabwéen Raisedon Zenenga, coordonnateur de la Mission onusienne, chargé par intérim de l’administration de la Mission, n’était pas encourageante et n’a pas réalisé de résultats majeurs sur la voie de la résolution de la crise politique.
Le gouvernement d’Union ne souhaite pas la présence d’un émissaire onusien, seulement parce qu’il est africain, mais veut qu’une personnalité soit nommée à ce poste avec son poids et son expérience dans la résolution de pareilles crises compliquées.
Des médias locaux et internationaux ont, également, rapporté que le gouvernement d’Union préférait la désignation de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum à ce poste, Le délégué libyen à New York avait fait allusion à cela quand il a lancé : « Le Secrétaire général des Nations unies avait soumis la candidature de l’Algérien Sabri Boukadoum au poste d’émissaire spécial mais il n’avait pas obtenu l’unanimité ».

– Un doute

Le gouvernement d’Union pourrait ne pas disposer de la prérogative de s’opposer à la décision du Conseil de sécurité pour le choix d’un émissaire onusien pour la Libye, mais il est connu que le choix de ces postes nécessite l’aval des deux protagonistes du conflit. A défaut, la personnalité choisie fera partie de la crise au lieu de contribuer à apporter la solution.
C’est cette configuration à laquelle avait fait allusion le représentant de la Libye à l’ONU lorsqu’il avait évoqué « la nécessité à ce que des négociations profondes et sérieuses soient engagées avec les Libyens au sujet du nouvel émissaire onusien, afin de garantir que le l’action avec le médiateur onusien soit un succès ».
L’analyse politique libyen, Slah Baccouche, a, dans un tweet posté sur son compte, souligné que « dans sa réponse au sujet des problèmes financiers de Abdoulaye Bitali au Gabon et sur sa désignation en tant que conseiller spécial pour le Madagascar, Stéphane Dujarric, porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, avait en date du 27 avril 2018 indiqué que la désignation d’un Représentant spécial doit être précédée par l’accord de l’Etat d’accueil ».
Baccouche révèle une autre raison motivant l’opposition du gouvernement d’Union à la désignation de Bitali. Il s’agit des accusations portées contre lui d’être impliqué dans des affaires de corruption au Gabon, en se basant sur une information parue dans la revue « Afrique Confidentiel ». Le magazine d’expression française avait rapporté, dans un article paru en 2018, en citant des sources autorisées, que le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, avait remis à Bitali des fonds d’un montant de 200 mille euros en contrepartie d’observer le silence au sujet de ce qui se passe dans le pays, en particulier après les élections.
Le magazine n’avait pas présenté de preuves pour attester cette lourde accusation, mais cela avait provoqué un tollé médiatique autour de Bitali et il n’est pas exclu que cela fasse partie des raisons pour lesquelles le gouvernement libyen d’Union s’oppose à sa nomination.
Sur la base de tout cela, Guterres serait amené à prendre en considération le refus du gouvernement d’Union, ce qui avait poussé son porte-parole Dujarric à démentir l’annonce par les Nations unies du choix de toute personne à la mission à ce stade, compte tenu des difficultés auxquelles l’ONU fait face en particulier sur fond d’une scission interne aiguë en Libye.
Toutefois, Dujarric a tenu à préciser, dans une déclaration faite aux médias, en date du 15 août courant, que le processus de « sélection n’est pas une affaire intérieure libyenne », ajoutant que « le Conseil de sécurité est la partie responsable de la désignation des chefs de missions de préservation de la paix ou des missions politiques, et le Conseil ne s’était pas opposé à la candidature du Secrétaire général ».
Il ressort de ces déclarations que Bitali serait désigné prochainement, mais pour que cela aboutisse, il faudrait dialoguer et discuter avec le gouvernement d’Union pour le rassurer afin de ne pas entraver sa mission.

– Candidat présidentiel et diplomate onusien

Né en 1947, Abdoulaye Bitali est une personnalité avec une longue carrière dans le domaine du militantisme politique au Sénégal et de la diplomatie onusienne.
Bitali s’était porté candidat à la présidentielle au Sénégal à deux reprises, en 1993 et en 2007, et lors du scrutin de 2012, il avait appuyé le candidat de l’opposition, Macky Sall qui avait remporté les élections.
Bitali avait occupé une série de portefeuilles ministériels, notamment, celui de l’Environnement sous la présidence de Abdou Diouf (1981-2000), de l’Energie à l’époque de Abdoulaye Wade (2002-2012). Il fut aussi ministre d’Etat auprès de la présidence sous Macky Sall (depuis 2012).
Il avait également été élu au Parlement en 1993 et en 1998 tout en affichant son opposition par moments à l’époque du président Wade, ce qui lui a valu une courte période d’emprisonnement après son arrestation par la police, en janvier 2007, avec un groupe de militants, pour sa participation à un rassemblement interdit contre le report des élections législatives au mois de juin de la même année.
Sur le plan diplomatique, Bitali avait été nommé émissaire onusien-adjoint à la Mission de l’ONU au Mali (MINUSMA) en 2013. Une année plus tard, le Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon avait annoncé depuis la capitale gabonaise Libreville la désignation du Sénégalais en tant qu’émissaire spécial en Afrique centrale et président du Bureau régional des Nations unies en Centrafrique.
En 2015, Bitali avait présidé le Forum national de Bangui qui avait été mis sur place par le gouvernement transitoire de la République centrafricaine afin d’assurer la réconciliation entre les différents protagonistes de ce pays.
Le diplomate sénégalais n’était pas loin du dossier libyen, dans la mesure où il avait été chargé en 2021 de présider la délégation qui avait visité ce pays pour évaluer l’action de la Mission onusienne.
Face à la difficulté d’obtenir un consensus au sujet de la désignation d’un émissaire onusien en Libye depuis le mois de décembre dernier, Bitali demeure la personnalité la plus proche pour occuper ce poste.

*Traduit de l’arabe par Hatem Kattou

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