Aussi vaste que l’histoire du Mali, la culture a été de tout temps le domaine à travers lequel le Mali s’est hissé au sommet mondial en Musique, au Cinéma, mais aussi par son riche patrimoine matériel et immatériel. Retour sur un périple jalonné de prouesses et d’embûches.
La culture sous la première république de 1960-1968
Animée par le souci constant de réaffirmation d’identité culturelle, longtemps flétrie par le colonialisme, et de redonner aux jeunes générations la richesse et la diversité de son patrimoine culturel, la première république a mis en œuvre une politique culturelle nationale dynamique. Riche par sa diversité, la culture était ainsi considérée comme le « substratum indispensable » pour maintenir l’unité nationale, mais aussi pour consolider l’indépendance politique et économique par l’indépendance culturelle.
Cette politique culturelle se manifestait à travers la semaine nationale de la jeunesse. L’esprit de cette grande messe artistique, sportive et culturelle (qui regroupait les jeunes des différentes délégations régionales dans la capitale chaque année la première quinzaine du mois de juillet) était de rassembler la jeunesse malienne autour d’un idéal : le brassage culturel. Comme le rappelait le père de la nation Modibo Keita dans son discours de clôture de la cinquième semaine nationale de la jeunesse de 1967 « les rencontres chaque année des jeunes de toutes nos régions qui s’affrontent dans des compétitions saines de tous genres leur permettent de mieux se connaître, et renforcer les assises de la nation malienne. Car ce qui fait une nation, c’est, certes comme l’a dit excellemment Renan, un passé commun, des douleurs communes, mais aussi des ferveurs, des communions et des enthousiasmes communs ». Elle se manifestait également par les Formations nationales que constituaient l’Ensemble Instrumental National, l’Orchestre National et la Troupe Folklorique. Celle-ci créée en 1961 a remporté la médaille d’or du folklore de l’UNESCO en 1964. Ce titre était le fruit des grands talents de la musique malienne (Mokontafé Sacko, Batourou Sékou Kouyaté, Sidiki Diabaté etc.) A côté de ces porte-étendards de la musique malienne se trouvaient les futures références de la musique moderne : Salif Keïta, Ali Farka Touré qui ont commencé leur carrière dans la semaine nationale de la jeunesse.
Autre lieu de manifestation culturelle sous la première république était le cinéma. Embryonnaire soit –il, le cinéma a connu des moments forts, avec «près d’une centaine de films » réalisés de 1960 à 1968. Le succès de Demain à Nanguila (film documentaire réalisé en 1960), a favorisé l’essor d’une cinématographie nationale marqué par la formation d’une génération de cinéastes aux techniques du septième Art. Cette ascension se soldera par la création du Service cinématographique du ministère de l’Information du Mali (SCINFOMA) en1966.
La culture à l’époque débordait la sphère musicale et cinématographique. En tant que lieu d’affirmation de l’identité malienne, de formation d’un citoyen nouveau, le rayonnement culturel s’étendait dans le domaine éducatif. La massification de l’éducation à travers notamment la formation des jeunes dans les Centres d’Animations Rurales (CAR) et l’alphabétisation des adultes. La Librairie populaire a été créée en 1962 « pour remplir la mission d’expansion de la culture dans un Mali toujours plus engagé dans l’âpre lutte pour la reconquête de la dignité et de la personnalité africaine. », comme le rappelait Halidou Touré de la jeunesse de l’US-RDA lors du discours inaugural de la Librairie Populaire du Mali le 22 aoûte 1962.
Ainsi, pour Abdoulaye DIOMBANA, chef division Arts et lettres à la Direction Nationale de l’Action Culturelle (DNAC), les responsables politiques de la première république étaient des visionneurs en matière culturelle. .
La culture sous la deuxième république- de1968 à 1991
La deuxième république s’est inscrite dans une logique de continuité et de redynamisation des acquis antérieurs. Sa politique culturelle est surtout axée sur le mariage entre modernité et tradition, entre conservation et ouverture. Elle a mis au centre du développement culturel le « peuple en tant que créateur de ses propres visions et transformateur de son milieu dans toute son extension ». L’éducation civique et morale, les valeurs patriotiques régissaient cette politique pilotée par le Ministère de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture (MJSAC) par le biais de son organisme central la Direction Nationale des Arts et de la Culture (DNAC). Créée en 1976, cette structure constituait le levier dans le cadre de l’exécution du programme culturel jusqu’ à sa dislocation après le renversement du régime militaire. Sa compétence s’élargissait sur les domaines artistiques et littéraires, mais aussi dans la promotion et la sauvegarde du patrimoine culturel national, avec l’organisation régulière des évènements artistiques, littéraires et culturels :la Foire du Livre du Mali(FOLIMA),la Grande Parole de Bamako, le Grand Prix des Lettres, le classement des villes de TOMBOUCTOU et DJENNE (1988), le sanctuaire naturel et culturel de Bandiagara(1989) au patrimoine mondial de l’UNESCO. La création en1983 du Musée National et du Palais de la Culture.
De la culture sous la deuxième république, l’on retient aussi la substitution de la semaine nationale de la jeunesse par la biennale artistique et culturelle, institutionnalisée de 1970 à 1988. Elle se tenait tous les deux ans dans la capitale avant de devenir tournante. Cette grande rencontre artistique était l’occasion pour chaque région de partager son savoir faire en musique, danse, théâtre etc. C’était en quelques sortes le lieu compétitif de la jeunesse dans un esprit de brassage et de cohésion. Comme le dira Abdoulaye Diombana, la biennale était une école où l’on apprenait le civisme, le respect du bien public, le sens de la dignité, l’harmonie du vivre ensemble, condition sine qua non d’une paix durable.
Outre ces fonctions, la biennale a été le canevas de la musique malienne qui va connaître ses gloires internationales avec des artistes de talent comme : Diallou Demba, Nahawa Doumbia, Oumou Sangaré , Toumani Diabaté, Haira Harby….
Le cinéma malien a connu sa floraison avec des distinctions africaines et internationales avec des films comme : Baara de Souleymane CISSE qui reçu neuf récompenses dont les plus remarquables sont le Grand Prix FESPACO en 1979. La même année, il a reçu le Prix du festival des trois continents à Nantes. Nyamanton de Cheick Oumar Sissoko (Tanit de bronze à carthage en 1986) témoigne la vitalité du cinéma malien. Le Kotèba national domine le théâtre local par son répertoire fécond : Buramuso Jugu, Férékégnami bugu etc. Ainsi, de nombreux centres cinématographiques ont été construits, et des textes législatifs et réglementaires encourageant l’épanouissement du secteur, faisant de l’Etat le guide et le contrôleur de l’action culturelle.
La culture de 1991 à nos jours
La période qui va de la révolution de 1991 à la troisième et quatrième, la culture a connu des moments difficiles dû à la dégradation des espaces culturels et au pillage du patrimoine culturel, le piratage à grande échelle dans l’industrie musicale. Sous la troisième république, avec le contexte sociopolitique tendu, les rencontres culturelles comme la biennale seront mises au rebut. Il a fallu attendre 2001pour revoir la biennale sur la scène nationale sous l’appellation semaine nationale des arts. D’importantes réformes ont été réalisées dans le secteur culturel. L’ex-Direction Nationale des Arts et de la Culture éclate pour donner naissance à la Direction Nationale du Patrimoine Culturel (DNPC) et la Direction Nationale de l’Action Culturelle (DNAC). Celle-ci comprenant la division arts et lettres et celle du patrimoine, a pour mission de stimuler la création artistique et littéraire, la sauvegarde et la promotion du patrimoine artistique et culturel. Elle est ainsi, depuis sa création en 2001 chargée d’organiser les rencontres artistique et culturelle, notamment celle de 2OO1, et les dernières biennales. Le manque de sacre musical et cinématographique sous la troisième république, est compensé par la construction des monuments qui ont changé l’image de la capitale malienne.
Sous la quatrième république, le besoin de redynamisation, de vitalité et d’attraction du secteur culturel animeront l’orientation culturelle. Avec le ralentit et la vulnérabilité du patrimoine artistique et culturel provoqués par les casses, la dégradation pendant la révolution des édifices dédiés à la promotion et à la sauvegarde du trésor public au plan national et local.
Dans cette reconquête identitaire, des retrouvailles culturelles comme la biennale reviendront sur le podium(les biennales de 2003, 2005 (Ségou) (Bamako), 2008(KAYES), 2010(SIKASSO) … autres canaux de manifestations culturelles émergerons à travers les festivals comme celui sur le Niger, et celui du désert etc.
Cet élan de renouveau s’étendra également au patrimoine matériel et immatériel : classements au niveau mondial et national (tombeaux des Askia à GAO, case sacrée de Kangaba, la cité historique de Hamdallaye, le Tata de Sikasso, le Fort de Médine…
L’essor de l’industrie culturelle connait une baisse considérable due à la croissance du piratage et au manque de textes régissant le secteur. On assistera sous la férule de la modernité, à l’émiettement des nos traditions avec le concours des masses medias, un genre nouveau voit le jour, avec le RAP, qui finira par s’élever sur les valeurs anciennes. Cette dégradation des valeurs sera confirmée par les évènements qui ont conclus la quatrième république.
Pour le régime en cours, même s’il semble mesurer l’impérieuse nécessité de la renaissance culturelle, l’heure du bilan est loin. Cependant, des projets en vue comme la construction du théâtre national ,la tenue prochaine de la biennale à Bamako et le sommet France-Afrique prévu début 2017 dans la capitale devant permettre au mali d’exposé sa mine artistique et culturelle .Peut être que les autorités ont enfin compris tout le sens de cet accablant constat que dressait Moussa TRAORE lors de la clôture de la huitième biennale « En ce siècle atroce où la vie même de l’homme est menacée par les agressions et les aliénations de toutes sortes, seule la culture, et c’est en cela que réside son imminente dignité, seule la culture peut donner à l’homme une chance de salut »(LE MALI SOUS MOUSSA TRAORÉ, Bamako ,Sahélienne,2016 ,pp-140-141).
Gageons que les autorités mettent la culture au centre des préoccupations et rehaussent son budget (0,46% actuellement) qui tente d’atteindre vaille que vaille la barre symbolique d’un pour cent du budget national.
Aly Bocoum, Bacaï Yalcouyé
Source: lepays