Homme politique et député élu à Baroueli, Mody N’Diaye est un macro économiste émérite. Dans le cadre du 56e anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, il a voulu nous accorder une interview. Dans cet entretien à bâton rompu, il nous a expliqué les grandes orientations économiques qui ont marqué les différents régimes de l’indépendance à nos jours. Selon lui, il faut un leadership politique fort dans le domaine économique et un bon ciblage des priorités pour relancer la croissance.
Le pays : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Mody N’Diaye : je me nomme Mody N’diaye. Je suis macro économiste, député élu à Baroueli et 3e vice-président de l’Assemblée nationale.
De Modibo Keita à IBK, quelles sont les grandes orientations économiques qui ont marqué les régimes successifs?
On peut définir l’histoire économique du Mali indépendant en 4 grandes étapes:
– de 1960 à 1968 le socialisme a été l’option économique de cette période. Elle s’est manifestée par la création des sociétés d’Etat dans tous les maillons de la chaîne économique. Elle a été marquée au plan monétaire par la sortie du Mali du franc CFA et la création du franc malien ;
– de 1968 à 1980 début de libéralisation dans un environnement dominé par les sociétés d’Etat qui après une période florissante commençaient à manifester des signes d’essoufflement;
– de 1980 à 1994 il s’agit de la période des programmes d’ajustement et de restructuration des entreprises publiques. La plupart des sociétés d’Etat a été privatisée ou liquidée. Un nombre réduit a été gardé dans le portefeuille de l’Etat en vue de leur restructuration. Parallèlement la libéralisation de l’économie s’est poursuivie et a concerné tous les secteurs. Au milieu des années 80 notre pays abandonna le franc malien et adopta comme monnaie le franc CFA;
– de 1994 à nos jours, notre pays évolue dans une économie libérale. Le nouvel environnement est marqué par une plus grande intégration des économies des pays de la sous région et au niveau régional. Le cas de l’UEMOA est assez révélateur avec une monnaie commune et l’adoption de plusieurs politiques communes dans tous les domaines stratégiques. L’élément déclencheur de la création de l’UEMOA a été la dévaluation du franc CFA en début 1994 qui a été un événement majeur au plan économique à cette époque. Notre pays a également connu l’adoption de documents cadres pour la lutte contre la pauvreté dont la 3e génération est en cours actuellement. Ils ont constitué les seuls référentiels en matière économique et d’intervention des partenaires techniques et financiers qui accompagnent notre pays.
Quel modèle économique vous a-t-il semblé le plus pertinent parmi ces différents régimes?
L’économie ne fonctionne pas sur un seul modèle. Chaque modèle à l’épreuve du temps renferme ses propres forces de freinage.
Il faut en mon sens avoir la capacité de créer un système dans lequel nous devons rechercher en permanence la combinaison la plus optimale entre d’une part les performances attendues du marché et d’autre part la justice et la sécurité sociale.
La crise économique internationale n’a pas épargné le Mali qui traverse aujourd’hui des difficultés multiformes. Quel modèle économique faut-il pour relancer la croissance de notre pays? Quelle place l’agriculture devrait-elle y avoir?
Les politiques qui s’inscrivent dans une croissance moyenne annuelle de 5 pour cent (5%) à moyen terme me paraissent très réductrices de notre capacité réelle à booster la croissance, à véritablement réduire la pauvreté et à résoudre les problèmes d’emplois. L’agriculture présente certes un potentiel mais ce qui paraît indispensable aujourd’hui est la transformation de ce secteur en un véritable pool agro industriel compétitif pour l’avenir. Les politiques de soutien en cours dans ce secteur sont certes nécessaires mais très insuffisantes car le défi de sa compétitivité avec des produits à forte valeur ajoutée au niveau de la sous région, de la région et du monde entier est celui dans lequel les progrès sont très timides. En effet, les produits concurrents de notre agriculture viennent de partout: Asie, Europe, Amérique et Afrique. La stratégie qui convient en mon sens est la mise à niveau progressive par filière agricole. L’objectif étant d’assurer à terme pour chaque filière une position d’exportatrice nette avec de produits transformés. L’approche partenariat public privé demeure fort possible dans la vitalité de nos filières agricoles.
Pour relancer la croissance, il faut un leadership politique fort dans le domaine économique et un bon ciblage des priorités. Il faut diversifier l’économie mais en s’assurant que les secteurs traditionnels dans lesquels nous avons un avantage comparatif sont valorisés au maximum. Les infrastructures de base doivent être mises à niveau pour conforter la compétitivité des filières. Un accent doit être mis sur l’efficacité de toutes les politiques publiques d’accompagnement pour asseoir la compétitivité. L’approche ordonnée, sélective des priorités est indispensable au regard des contraintes de tout genre pour assoir une compétitivité réelle de notre économie. Dans ce cadre la mise à niveau de l’administration publique est plus que nécessaire dans l’optique de la mise en place en son sein d’une culture de soutien et de développement du secteur privé. La lutte contre la corruption, l’instauration d’une véritable justice pour tous et surtout une formation de qualité des ressources humaines restent les défis à relever.
Le chômage a atteint des chiffres record. Comment le gouvernement peut-il résorber ce problème par la création de milliers d’emplois pour les jeunes?
Il faut une croissance inclusive, durable et soutenable. Elle doit être plus ambitieuse. Tous les pays sont confrontés au problème de chômage dans un environnement presque saturé au niveau mondial, économiquement parlant. Nos économies qui ont de la marge doivent améliorer leur gouvernance économique. Notre pays doit s’inscrire dans le moyen terme à une croissance voisine des deux chiffres pour prendre son envol. Les politiques publiques doivent s’inscrire dans ce cadre. C’est certainement de cette façon que l’on pourrait infléchir la courbe du chômage.
Interview réalisée par Aliou Agmour
Source: lepays