“Ni m’i bᴐ yᴐrᴐ dᴐn, I ta yᴐrᴐ b’i cᴐnᴐ rᴐ fili.”(dicton malien) Connaître ses origines permet de mieux s’orienter. Ressasser le passé n’est, certes, pas une stratégie de développement mais, en l’ignorant, l’histoire peut se répéter avec, parfois des conséquences désastreuses.
À juste raison, les Maliennes et Maliens sont fiers de leur passé avec de grands dirigeants comme, sans aucun ordre particulier, Sunjata Kéita, Mansa Moussa, Firhoun, Soni Ali Ber, Babemba Traoré, Askia Mohamed, et la liste est encore plus longue, sans oublier le contemporain d’entre eux, Modibo Kéita. Avec ces derniers et ce à travers les temps, le peuple malien a accompli des prouesses encore inégalées dans le monde entier dont certaines des plus connues sont:
- L’Empire du Mali s’étendait de l’Océan Atlantique au Lac Tchad (Ki-Zerbo, 1973), soit la plupart des pays de la CEDEAO actuelle, plus précisément: Sénégal, Gambie, Guinée, Niger, Nigéria, Tchad, Mauritanie, en plus du Mali (Ware cité par Morgan);
- Avec le voyage de Mandé Bukari qui tenait à voir l’autre rive de l’Océan Atlantique à partir de la Gambie actuelle, alors partie intégrante de l’Empire du Mali, le Mali a devancé Chirstophe Colomb dans les Amériques (Van Sertima 1976) et ce dernier a lui-même dit avoir vu des Noirs sur les côtes américaines lors de ses voyages dans cette région;
- Grâce à la quantité d’or qu’il y a apportée lors de son pélérinage à la Mecque en 1324, l’Empereur Mansa Moussa a, entre autres, fait baisser le cours mondial de l’or pendant de longues années. En fait, selon Rudolph Ware cité parMorgan,
Il a fallu … 12 ans pour que la communauté égyptienne s’en ressaisisse. … L’immensité des terres et des richesses matérielles de Mansa Moussa semblent franchement incompréhensibles. Imaginez autant d’or que vous pensez qu’un être humain peut posséder et doublez cela, c’est ce que les comptes essayent de nous communiquer… Il est la personne la plus riche que l’on ait jamais vue.
À cela, ajoutons que depuis le Moyen âge, la grandeur du Mali a atteint les côtes outre-atlantiques et méditerranéenes, au moment où “les nations européennes s’entre-déchiraient par des guerres fratricides à cause du manque de ressources”, selon Morgan citant Ware.
- Le Mali a élaboré la Charte de Kurukanfuga (1236), la troisième Constitution connue de nous, après celle de Médine élaborée par le Prophète Mohamed (PSL) en 622 et la Magna Carta, the Great Charter, la Grande Charte, à Runnymede près de Londres le 15 juin 1215. (Diallo 2014 et Diakité 2006 pour Kurukanfuga et Diallo 2014 pour la Grande Charte). Devançant de
712 ans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme élaborée le 10 décembre 1948, celle de Kurukanfuga englobe les droits humains car s’adressant aux hommes, aux femmes, aux enfants, en un mot, à la famille et, au-delà, à la société toute entière. Son classement au patrimoine mondial par l’UNESCO en 2009 dit long sur sa portée universelle.
- Le sanankunnya: fruit du génie créateur des ancêtres maliens, il est un instrument uniqueg de création et de maintien de relations apaissées au sein de la famille, de la communauté et de la nation entière. Comme si “Nul n’est prophète chez soi, apparemment plus célébré en dehors du Mali (Burkina Faso, Ghana, Niger, Sénégal), le sanankunya est si respecté au Ghana que le gouvernement y a institué une journée nationale annuelle de festivités appelée National Fun Games Day (Journée nationale de l’amusement). Le Niger lui réserve une semaine entière ainsi magnifiant son “caractère de ciment de la société.” (Africable Télévision 2008 retransmission d’une télévision partenaire nigérienne). Au Sénégal, nos “petits” Sérères ne manquent pas la moindre occasion pour nous taquiner. Certes, au Mali naissent des associations pour la promotion de cette valeur uniqu La chanson populaire n’est pas en reste avec, en même temps, les efforts de valorisation du site du ladεba, la Grande réunion, site qui a donné son nom à la Charte.
Par ailleurs et selon TANGARA Nèma GUINDO, archéologue de son État (ORTM/GWELEKAN février 2022), leurs fouilles sur le Plateau dogon ont révélé un vase pour usage culinaire fabriqué avec des techniques spéciales, et ce, pendant le 10e millénaire avant Jésus Christ. Ainsi, pensons-nous, le “Made in Mali” “n’a pas commencé aujourd’hui”, selon le parler populaire malien.
Viennent ensuite les prouesses les moins connues montrant, à ce jour, son rayonnement influençant la pensée de biens de personnes d’autres nationalités:
- En 2019, après avoir traversé, par voie terrestre, la frontière entre le Sénégal et la Gambie, le premier taxi que nous apercevons porte cet écriteau, BIG CAMARA (le grand Camara). Lors de nos entretiens avec des groupes de jeunes gambiens ayant des patronymes tels que Cesay (pour Cissé), Kanuteh (pour Kanouté), Samateh, (pour Samaké), Touray (pour Touré), nous constatons que tous rêvent de se rendre au Mali avant la fin de leurs jours. Les mots de l’un d’entre eux:
Mon grand-père est venu de Ségou. Né ici en Gambie, mon père tenait à aller voir Ségou avant de mourir. Finalement, il a pu le faire et y séjourner pendant deux (2) ans. Peu après son retour, il a rendu l’âme. Je tiens à me rendre aussi à Ségou avant mes derniers jours.
Personnellement, à Banjul, Gambie nous avons fait nos amplettes en bamanankan et la majeure partie des patronymes sur leurs magasins sont d’origine malienne;
- La situation est semblable en Guinée-Bissao voisine où nous avons eu des entretiens dans la même langue;
- Trinidad et Tobago, un nom presque inconnu de biens de Maliens/nes avant, pour certaines gens, sa participation à la Coupe du monde de football 2006, ou avec la chanson de la Compagine Créole contenant le nom de ce pays. Nous y étions avec notre famille en janvier 2019 et pour un mariage. Dans la mosquée chosie à ce effet, l’Imam intérimaire, après notre courte introduction dans leur langue officielle, et selon notre prestance, a dit: “Vous êtes des Peuls. Ici, nous sommes des descendants de l’Empire du Mali. À leur arrivée du Mali, nos ancêtres Malinkés sont restés ici et les Peulhs sont allés dans l’île voisine.” Et s’adressant à haute voix à tous/tes les autres fidèles, “Aujourd’hui, nous avons des musulmans originaires du Mali. Ce sont des Peuls. Au Mali, les musulmans repésentent 95% de la population alors qu’ici, nous ne sommes que 5%.”;
- Cuba est connu, entre autres, pour la fameuse phrase de Karl Marx: “La religion est l’opium du peuple.” Pas quand des Maliens s’y trouvent. Des propres mots de l’ Imam Yahya Torres, auparavant Pedro Torres:
Quand Boncanan Maiga et ses compatriotes étudiaient ici, nous faisions nos sorties ensemble. J’étais impressionné de les voir refuser de consommer l’alcool le porc dans les bars et restaurants. Cela m’a paru bizarre et ai cherché à les comprendre. Alors, j’ai lu le Coran et ai compris que les musulmans ont le Coran et les chrétiens la Bible. Impressionné et convaincu par le contenu du Coran, je me suis converti à l’islam et suis le premier Cubain converti à cette religion. J’ai commencé à prier en cachette avec la famille dans mon salon et, progressivement, des amis nous y ont rejoint. On y priait Eid en cachette.
- Plus près du Mali, chez les voisins Sénégalais, nombreux sont des citoyens/nes et des localités avec des noms d’inspiration malienne, pour dire le moins. Nous dit Pape Mamadou Diéry Sène:
Mon village Warang Xay Fye se trouve dans la commune de Malicounda où le plus grand quartier s’appelle Malicounda Bambara. Ces dernières années, notre maire était TiéblénTounkara remplacé maintenant par Maguette Sène. En plus de l’alternance dans le leadership communautaire entre Bamanans et Sérères, nombreux sont nos villages ayant des noms d’origine bamanan, surtout ceux qui sont les plus proches de chez moi, comme Sidibougou, Gagnabougou, Samba Diacounda, Paoskoto, et Dialacoto, donc à consonance bamanankan bien qu’habités par des Sérères, des Wolofs et des Bamanans. Il y a beaucoup de “bougou” ici”, conclue-t-il.
Nous constatons un cas semblable avec Malibéro (Maliba) à Niamey, Niger.
Conclusions/Suggestions: Sans ambages, nous constatons que l’influence du Mali actuel va bien loin au-delà de ses frontières officielles. Avec une pépite d’or en main, l’Empereur Mansa Moussa est toujours en Espagne sous forme d’une statuete créée en 1375 par le cartographe Abraham Cresques (Morgan citant Ware). Et, à présent, il demeure le détenteur de la plus grande richesse mondiale. Au-delà des océans, des Trinidadiens/nes se réclament encore du Mali, et ce avec fièrté et empressement, sans se le faire demander. Encore outre-Atlantique et ce avec diligence et fièrté, un Imam Cubain attribue au Mali sa reconversion à l’Islam. Quelle contribution à l’essor d’une si grande religion!
Pourquoi ne pas s’en orgueillir, kurukanfuga et le sanankunnya ont dépassé les frontières maliennes. Toutefois, le Mali pourrait accompagner ces prouesses en organisant leur usage par, pour commencer, l’homologuation de leur orthographe respective, y compris à l’UNESCO. Au Mali existent multiples orthographes pour chacun d’eux. Faute d’espace ici, nous en citerons pas mais suggèrerons celles constamment employées par nous (Diallo 2014), répétons-nous, kurukanfuga et sanankunya, orthographes respectant la grammaire de l’ancienne DNAFLA (Direction nationale de l’alaphabétisation et de la linguistique appliquée).
En outre, il serait souhaitable de rectifier la tendance à considérer le sanankunya comme une simple plaisanterie, d’où sa traduction courante de “parenté à plaisanterie”. Certes, il comporte de la plaisanterie mais ceci n’est que l’arme pédagogique choisie des ancêtres, comme “la carotte (plaisanterie) accompagnant le baton (les devoirs et droits liés au sanankunya). Car, aussi robuste et luxuriant qu’il soit, le véhicule transportant les joueurs de l’Équipe nationale de football du Mali peut ne accéder au terrain de jeu pour affronter l’équipe adverse. De même, à elle seule, la plaisanterie ne saurait gérer les multiples situations très délicates opposant des sanankunw, parfois des communautés entières. (Diallo 2014). La sagesse malienne vient à la rescousse: “Tulon tε sᴐbε sa”, la plaisanterie et le sérieux vont de pair. Aussi, rappelons-nous, dans le processus de traduction, la langue originale perd une partie sgnificative de sa valeur, d’où le diction anglo-saxon, “Lost in translation”(perdu dans le processus de traduction). Ainsi, à l’instar de l’UNESCO, le Mali doit encourager l’usage du mot sanankunya au détriment de tout terme issu de traduction souvent malencontreuse. Et, comme les cas du soumbala et entre autres, cela est possible.
De multiples versions de Kurukanfuga circulent à travers le monde. Le Mali devrait avoir une version aussi officielle qu’authentique, signée de la main du Chef de l’Etat, et ce après davantage de recherche. En outre, cette version officielle malienne devrait être affichée partout où se trouve la Constitution du pays.
Dr Abdoul Diallo
Source: Le Républicain