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Lettre ouverte à monsieur le président de la République française : Au sujet du refus de visa à Madame Aminata Traoré et Monsieur Oumar Mariko

Personnalités politiques maliennes, privées par cette décision de la liberté d’expression et de circulation en France et dans l’espace Schengen.  

Aminata Dramane Traoré

Aminata Dramane Traoré

Copies envoyées à :
Monsieur Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
Monsieur Pascal Canfin, Ministre délégué au Développement
Monsieur Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères
Monsieur Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense
Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Madame Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes,  porte-parole du Gouvernement
Monsieur Manuel Carlos Valls, Ministre de l’Intérieur

L’article 10 de  la Convention  européenne des droits de  l’homme, considérant  la Déclaration universelle des droits de l’homme, définit le droit à la liberté d’expression qui comprend « la liberté d’opinion et  la  liberté de recevoir ou de communiquer des  informations ou des  idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». Cette  liberté d’expression est  soumise à  restriction  si elle « présente un danger pour  l’ordre public,  la sécurité nationale,  la santé publique ou pour  les relations  internationales avec un ou plusieurs Etats membres [de l’UE] ». Bagnolet, le 7 mai 2013.

Monsieur le Président de la République,
Chercheure CNRS à la retraite et professeure honoraire de l’Université libre de Bruxelles, c’est avec stupéfaction et  tristesse que  j’ai appris  le  refus de visa,  l’interdiction du  territoire français  et,  par  extension,  de  l’espace  Schengen,  à  l’écrivaine  Aminata  Traoré,  ancienne Ministre  de  la  culture  du Mali  et  au  Docteur  Oumar Mariko,  Secrétaire  Général  du  parti Solidarité  Africaine  pour  la  Démocratie  et  l’Indépendance  (SADI),  ancien  député  de l’opposition à l’Assemblée nationale, plusieurs fois candidat aux présidentielles. Tous  deux  étaient  officiellement  invités  à  une conférence  organisée  à  Berlin, du 17 au 19 avril,  par la Fondation Rosa  Luxemburg,  la  revue  de  Sciences  humaines  PROKLA et l’Association AfricAvenir sur  le  thème  «Le  Mali  à  la  croisée des  chemins :  Après l’intervention  militaire  et  avant  les  élections». Oumar  Mariko  était  également  attendu  à Bruxelles  pour une intervention au Parlement européen  le  16  avril  sur  la  crise  au  Mali. Aminata Traoré obtint de l’Allemagne un sauf conduit limité, refusé à Oumar Mariko. Le silence médiatique, à l’exception de L’Humanité et Médiapart, qui entoure cette entrave à la liberté d’expression et de circulation, m’amène à sortir de ma réserve pour vous faire part de  mon  inquiétude  pour  ces  personnalités  politiques  maliennes  privées  de  droits fondamentaux  sur  décision  de  vos  services  et  protester  contre  cette  décision  contraire  aux principes  démocratiques  et  à  la  Déclaration  universelle des droits  de  l’homme.  Forte  de quarante ans de recherches au Mali en région cotonnière, je tiens à rappeler le parcours de ces leaders  dont  les  analyses  sont  comparables  à  celles  de  Susan  Georges  et  Jean  Ziegler, altermondialistes, que vous n’envisageriez pas de priver de parole.  Aminata Traoré est connue pour ses nombreux essais sur  le pillage de  l’Afrique et par  le film d’Abderrahmane Sissako, Bamako qui met en scène le procès des institutions financières internationales par la société civile malienne où elle joue son propre rôle. Dans son manifeste Femmes  du Mali : disons   » NON !  «   à  la  guerre  par  procuration,  elle  proteste  contre  les dangers  de  violences  sexuelles,  de  prostitution  et  de  propagation  du  VIH/SIDA  que représentent, pour  les  femmes  et  les  fillettes du Mali,  le déploiement de milliers de  soldats supplémentaires ; la MINUSMA comprendra jusqu’à 12 640 Casques bleus et policiers. Oumar Mariko dénonce  lui aussi  les méfaits de  la guerre et du capitalisme  financier. Au Mali,  tout  le  monde  connaît  cet  infatigable  opposant  politique  qui  défend  les  mineurs  en grève, les migrants expulsés et les paysans spoliés. Ceux-ci suivent à la radio ses interventions à  l’Assemblée.  Certains  témoignent  à  la  radio  associative  Kayira,  « Aube  nouvelle »,  qui depuis 1992 donne  la parole à ceux à qui on  la dénie et dénonce  les abus des détenteurs du pouvoir. Les stations de cette radio sont régulièrement  incendiées et  les animateurs agressés. Or Kayira, proche de  l’Association malienne des droits de  l’homme, représente des pôles de vigilance  démocratique  dans  toutes  les  régions  du  pays  et  constitue  un  réel  contre-pouvoir mais  elle  paie  le  fait  que  le  parti  Sadi,  créé  en  1996  par Oumar Mariko  pour  rappeler  les idéaux du mouvement insurrectionnel de 1991, s’est constitué autour d’elle. Oumar Mariko a participé en 1991 au Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) pour l’Association des élèves et étudiants du Mali. Les jeunes et les femmes ont été à l’origine de  l’insurrection de 1991 qui a mis  fin à vingt  trois ans de dictature et permis  l’instauration d’une démocratie parlementaire décentralisée et laïque. Les partis politiques, les syndicats, les associations  et  les médias ont  immédiatement pris  leur  essor. Malheureusement,  les  élus  se sont engagés dans la politique politicienne où le jeu démocratique se limite, à l’alternance. La population, déçue par ceux qu’elle a portés au pouvoir après l’insurrection, choisit depuis de s’abstenir  de voter à 75% !  Les  associations  et  les  espaces  d’interpellation  se  multiplient  dès  lors  au  Mali  où  les citoyens investissent régulièrement l’espace public, devenu un lieu d’interpellation autonome par rapport à  l’Etat. La foule a d’ailleurs accueilli avec  joie  le putsch  intervenu  la veille des présidentielles tandis que les médias français ne mentionnaient pas les dizaines de milliers de manifestants, épris de démocratie réelle, chantant l’hymne national en marchant dans Bamako le 28 mars 2012 pour soutenir  la  junte militaire qui a permis de  renverser  le Président et de révéler la corruption des autorités.  Aminata  Traoré  et  Oumar  Mariko  dénoncent  sans  relâche  cette  classe  politique  qui  a confisqué  les  acquis  de  1991,  a  privatisé  les  services  publics,  les  entreprises  et  industries notamment aurifère ; la mine d’or de la SOMADEX est une filiale de Bouygues. Le Mali est troisième au rang des plus grands producteurs d’or et parmi les premiers pays les plus pauvres du monde !  Aminata Traoré et Oumar Mariko tentent de lever le voile sur la guerre menée au Mali où, les régions de Tombouctou, Taoudéni, Gao et Kidal,  théâtre de  l’opérations militaire Serval, ont des ressources avérées en gaz, pétrole, or, terres rares (métaux indispensables aux hautes technologies)  et  uranium.  Les  grands  groupes  français  déjà  présents  au  Mali  (Bolloré, Bouygues,  Orange  et  Vinci)  y  ont  de  nombreuses  activités  et  ce  pays  offre  encore  des potentiels incommensurables. Aminata  Traoré  et  Oumar  Mariko seraient-ils  réduits  au  silence  en  2013  car  ils  osent s’opposer à  la guerre  telle que vous  la menez au Mali et à  l’ingérence  française dans  la vie 3 politique  de  leur  pays,  leur  imposant  de  procéder  à  des  élections  rapides  dont  l’issue  leur semble déjà programmée ? Aminata Traoré a effectivement dénoncé des enjeux occultés de la guerre au Mali en séance d’ouverture du Forum social mondial ce 26 mars à Tunis où elle a présidé  le «Forum pour un autre Mali» : « La guerre qui a été  imposée aujourd’hui au Mali n’est  pas  une  guerre  de  libération  du  peuple  malien,  mais  une  guerre  de  pillage  des ressources. »  L’ancien  ministre  de  l’Education  nationale  du  président  Amadou  Toumani Touré,  le professeur  Issa N’Diaye n’hésite pas  lui aussi à dire publiquement, à Bamako et à Paris, que  les considérations géopolitiques et géostratégiques  semblent  importer plus que  le sort  des  populations  et  il  ajoute  que  les  terroristes  sont  soutenus  financièrement  et matériellement  par  le Qatar  et  l’Arabie  Saoudite,  des  alliés  privilégiés  de  la  France  et  des Etats-Unis. On  peut  comprendre  que  vous  n’acceptiez  pas  le  point  de  vue  de  ces  opposants  mais représentent-ils  pour  autant  un  danger  pour  l’ordre  public,  la  sécurité  nationale  ou  pour  les relations  internationales,  permettant  de  restreindre  leur  liberté  en  vertu  de  l’article  10  ci-dessus mentionné ? Seraient-ils coupables de délit d’opinion  étant donné que  la décision de prolonger  cette  guerre  a  fait  l’unanimité  au  Conseil  de  sécurité  des  Nations  Unies,  à l’Assemblée, au Sénat et dans les médias en France ? Ainsi en est-il de certains responsables des  questions  africaines  au  Ministère  français  des  Affaires  étrangères  qui,  sortis  de l’unanimisme,  ont  perdu  leur  poste. Même  l’ambassadeur  de  France  au Mali  vient  d’être remplacé par un militaire proche des services de renseignement (DGSE).  Ce 10 avril,  le Président malien par  intérim est  reconduit et  l’état d’urgence prorogé par l’unanimité des députés maliens, ce qui permet de museler  toute opposition. Oumar Mariko, en  février dernier,  a  ainsi déjà  été  violemment  interpellé par des hommes  armés  en  civil  et emmené cagoulé à la Sécurité d’Etat pour des interrogatoires.  Au  nom  de  la  démocratie,  je  souhaite, Monsieur  le  Président,  que  le  débat  s’ouvre  en France,  à  l’Assemblée  nationale  comme  au  Sénat,  sur  les  questions  que  posent  ces personnalités maliennes porteuses d’une réflexion démocratique et populaire, que l’on débatte sur la prolongation de  l’engagement militaire de  la France au Mali, qu’on  lève  le silence sur les  intérêts miniers dans cette guerre et  le  rôle de nos partenaires, Qatar et Arabie  saoudite, dans le terrorisme.   Au  nom  des  droits  de  l’homme,  je  vous  demande,  Monsieur  le  Président,  de  ne  pas entraver la liberté d’expression et de circulation de tous ceux qui, comme Aminata Traoré et  Oumar Mariko,  aspirent  à  l’amélioration  du  sort  des  populations  et  à  un monde meilleur. Pourriez-vous  également, Monsieur  le  Président,  veiller  à  concilier  la  défense  des  intérêts économiques de la France au Mali avec vos idéaux de justice et ceux de la Nation malienne à l’unicité de laquelle sont particulièrement attachés ses citoyens.
Dans l’espoir que la France demeurera un pays de liberté, je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à l’assurance de ma plus haute considération.
Madame Danielle Jonckers 76 rue de la Fraternité
93170 Bagnolet

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