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Lettre aux Maliens : Par amour aux arbres

Je suis une vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. Chaque jour et chaque heure, cette conviction m’accompagne. Le bien c’est de maintenir et de favoriser la vie ; le mal c’est de détruire la vie et de l’entraver

… C’est en aimant la vie que l’on peut s’aimer soi même. C’est en s’aimant soi même que l’on peut se respecter et respecter tout dans la vie. C’est dans le respect de la vie que la fourmi vaudra l’éléphant, et les peaux rouges, les peaux noires et les peaux blanches. Chacun à sa place dans la vie, nul n’est de trop, rien n’est au dessus de rien. Qu’y a-t-il de plus grand dans le cœur de l’homme que l’amour de la vie ?

Je rêve d’un royaume où chaque couple plante un arbre le jour de ses noces. L’homme comme la femme verront ainsi grandir avec leur foyer l’arbre de leur amour.

Je rêve d’un royaume où les hommes à la naissance de chacun de leurs enfants plantent un arbre pour le célébrer.

Si chaque couple plantait un arbre à la naissance de chacun de leurs enfants, l’homme et la femme verront l’arbre de chacun de leurs enfants grandir avec l’arbre de leur amour et un jour, leurs petits-enfants et leurs arrières petits-fils montreront ces arbres en se souvenant d’eux.

Il faut savoir qu’un homme qui plante un arbre vivra toujours. Une femme, même si elle n’a jamais eu d’enfant, si elle plante un arbre, elle vivra toujours car l’arbre est un être vivant, l’arbre sera son fils.

Je rêve d’un royaume où les hommes peuvent chaque année planter des milliers d’hectares. Tout est question de volonté. Nul ne peut dire sa vie vaine s’il a planté un arbre, aidé les œufs d’un hanneton à éclore ou une vache à  mettre bas.

Vivre en aidant les vivants à vivre est le plus grand sens d’une vie et la meilleure de toutes les occupations de l’homme.

Je rêve d’un royaume où les hommes témoignent de nuit et de jour leur amitié pour les arbres.

Un royaume où on embrasse les arbres comme on embrasse un frère, une sœur, une mère et un père. C’est mon amour de la vie qui me fait aimer tout ce qui vit. Nul ne peut aimer la vie et semer la mort autour de soi. L’homme est devenu hélas sa propre province, il est enfermé sur lui-même.

Pourquoi avec des pesticides, tuer les mouches, les fourmis, les araignées au coin de nos maisons si elles font partie de la vie comme nous ?

Avec nos pas qui s’effacent sur la terre, marquons chaque étape de notre vie par la plantation d’un arbre. Ecrivons dans la nature l’histoire de notre vie par des vies données. Car, chaque arbre abattu nous rend complice du désert et de la mort de notre terre.

Il n’y a pas de lendemain sans arbres. Chaque arbre que nous coupons est une partie de notre avenir que nous détruisons. Nous sommes les responsables de notre avenir. Qu’on ne s’y trompe pas.

Un jour, Albert Schweitzer dit à mon vieil ami Théodore Monod que les Africains ne traitent pas mieux les animaux qu’eux les blancs, qu’ils ne sont pas moins cruels. Schweitzer l’écrivait du Gabon : « Ici aussi je cherche à faire comprendre aux indigènes que les créatures sont nos frères. Mais que les hommes sont lents à comprendre ce qui est si naturel »

Monod, pour faire une exception à cette triste règle rappelle cette histoire digne d’un Saint François d’Assise, l’un des seuls chrétiens qui ait jamais pris au sérieux la miséricorde que nous devons aux autres animaux comme il le dit lui-même.

Cette histoire a été racontée l’année même de ma naissance par mon vieux maître, Amadou Hampaté Ba.

« Il y a quelques années, en 1933 dit-il, à Bandiagara, au Soudan, Tierno Bokar enseignait un groupe d’élèves, quand, tout à coup, une jeune hirondelle tomba du nid fixé au bois de la toiture, au milieu de l’inattention générale. Tout attristé de cette indifférence, Tierno Bokar interrompit son exposé et dit : « Donnez-moi ce fils d’autrui ». Il examina le petit oiseau qu’il venait d’appeler si humainement « fils d’autrui », reconnut que sa vie n’était pas menacée et s’écria : « Louange à Dieu dont la grâce prévenante embrasse tous les êtres ! » Puis, levant les yeux, il constata que le nid était fendu et que d’autres petits risquaient encore de tomber. Aussitôt, ayant demandé du fil, il grimpa sur un escabeau improvisé et raccommoda à l’aiguille le nid endommagé, avant d’y replacer l’oisillon. Puis, au lieu de reprendre son cours de théologie, il dit : « Il est nécessaire que je vous parle de la charité, car je suis peiné de voir qu’aucun de vous n’a suffisamment cette vraie bonté du cœur. Et cependant quelle grâce ! Si vous aviez un cœur charitable, il vous eût été impossible de continuer à écouter une leçon quand un petit être misérable à tous les points de vue vous criait au secours et sollicitait votre pitié : vous n’avez pas été émus par ce désespoir, votre cœur n’a pas entendu cet appel. « Eh bien ! Mes amis, en vérité, celui qui apprendrait par cœur toutes les théologies de toutes les confessions, s’il n’a pas de charité dans son cœur, ses connaissances ne seront qu’un bagage sans valeur. Nul ne jouira de la rencontre divine, s’il n’a de la charité au cœur. Sans elle, les cinq prières canoniques sont des gestes purement matériels, sans valeur religieuse ; sans elle le pèlerinage au lieu d’être un voyage sacré devient une villégiature sans profit. « Ainsi soyez charitables, mais si celle-ci ne s’exerçait que sur les fruits de nos entrailles ou sur nos frères en humanité, elle n’aurait pas atteint encore son but divin et resterait entachée d’égoïsme. « Dans notre grande famille, nous devons la charité envers tous les faibles. Or les plus déshérités sont les animaux. « Sachez compatir à la souffrance muette des animaux, cela vous est plus profitable que la grâce attachée à mille génuflexions surérogatoires. »

Je rêve d’un royaume où l’amour qui est témoigné aux animaux par le sage de Bandiagara soit aussi partagé pour les arbres.

Nous pouvons avoir le même amour pour les arbres et pour tout ce qui vit, la même charité envers la vie qui n’est que charité envers nous-mêmes. De la main de chaque homme peut naître une forêt, de la main de chaque homme une vie entière. Mais la main de l’homme qui peut semer la vie peut aussi donner la mort. Tous les jours chacun de nos actes peut faire vivre la terre ou la tuer. Nous sommes responsables du geste le plus infime de notre vie. Nous sommes responsables de l’air que nous prenons à la vie en respirant, de l’eau que nous prenons au fleuve, des fruits de la terre, et aussi de chacun des mots qui viennent sur notre langue. Aussi, doit-on nous demander toutes les nuits avant de dormir, si nous avons plus donné de vie ou de mort dans notre journée.

 

Ismael Diadié Haidara

Chercheur 

Source: Le 26 Mars

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