Dix-sept heures: le soleil devient orange et descend sur le fleuve Niger. Pour les pêcheurs de Gao (nord-est du Mali), enfin libres de repartir jeter leurs filets après deux mois d’interdiction, il est temps de rentrer au port.
Tout trafic sur le fleuve avait été interdit en février par les autorités, revenues à la suite de l’offensive franco-malienne qui a libéré Gao. Une décision prise après trois incursions de combattants jihadistes qui avaient sans doute pénétré en pirogues dans le centre de la grande ville du Nord malien et s’y étaient battus jusqu’à la mort.
La semaine dernière, cédant aux suppliques des pêcheurs incapables de nourrir leurs familles, les autorités ont de nouveau autorisé pirogues, barques et pinasses à reprendre l’eau, mais uniquement de 06H00 à 17H00.
« Il était plus que temps », sourit, assis en tailleur sur une natte dans la cour de sa maison, Mahdi Flabake Traoré, président de l’association des pêcheurs de Gao (près de 1.200 km de Bamako). « Nous avons vécu à crédit auprès des commerçants pendant deux mois, ce n’était plus tenable. Dieu et la France nous ont sauvés, mais ensuite nous n’avions plus rien à manger. Bamako nous avait oubliés ».
« J’allais tous les matin à la caserne supplier les militaires de nous laisser reprendre la pêche », dit-il, en caressant la couverture d’un coran rouge. « Ils ont fini par nous entendre. Nous avons recommencé la semaine dernière, il y a beaucoup de poissons car personne n’a pêché pendant deux mois. Nous travaillons toute la journée, comme des forçats dès le lever du jour: il faut maintenant payer nos dettes ».
Le « capitaine », ici poisson roi, et la quarantaine d’espèces qui peuplent le Niger nourrissent en temps normal les quelque 1.500 pêcheurs de Gao, qui exportent leur production, fraîche, séchée ou fumée, vers Mopti (centre du Mali), la capitale Bamako ou Niamey, au Niger voisin.
Surveillance jour et nuit
Avec l’interdiction de naviguer, c’était le principal poumon économique de la ville qui s’était arrêté pendant huit semaines: les transports fluviaux en tous genres, l’arrivée à Gao de bétail ou de fourrage pour les animaux, la venue en ville des habitants des villages isolés.
Auparavant, de grandes pinasses confortables et bien équipées promenaient aussi des touristes, mais les guides locaux n’en ont pas vu une depuis l’arrêt, en 2009, des vols charters sur Gao de la compagnie française Point-Afrique.
Aujourd’hui, les balles de « bourgou », cette longue herbe servant de nourriture au bétail, s’empilent à nouveau sur la rive et les pinasses déchargent leurs cargaisons de bois, de chèvres et de moutons.
« C’était dur, mais le prix à payer pour la sécurité », assure, assis sur sa chaise basse plantée dans le sable au bord du fleuve, le lieutenant Diallo, chef de secteur du quai de Gao. Il a placé des hommes en faction tous les 200 mètres, interdit la circulation automobile sur la berge et affirme assurer une surveillance de fer, nuit et jour.
« Le fleuve entoure Gao, c’est la plus grande vulnérabilité », explique-t-il à l’AFP, d’un geste circulaire. « Alors nous avons autorisé le trafic et la pêche de 06H00 du matin à 17H00, mais il faut partir et arriver sur un seul quai où nous surveillons tout ».
« Les bateaux, même les plus petites pirogues, sont fouillés au départ et au retour. Nous ouvrons les sacs, cherchons des armes et vérifions l’identité de tout le monde. Les bandits du Mujao ne pourront plus passer par là », ajoute-t-il, en référence au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, un des groupes islamistes ayant occupé le nord du Mali en 2012 et qui a revendiqué des incursions de combattants jihadistes dans Gao.
Le lieutenant Diallo assure disposer, prêt de l’armée française, de deux paires de jumelles à vision nocturne pour ses hommes « postés sur des points hauts ». « Ici, c’est le poste le plus vulnérable, celui qui intéresse les bandits islamistes, parce que nous sommes près du grand marché, de la mairie, du palais de Justice. Mais maintenant, avec l’armée française à l’aéroport et les Sénégalais en ville, je ne crois pas qu’ils s’y risqueront à nouveau ».
Il y a certes, près du principal pont, deux hors-bords de patrouille de la gendarmerie fluviale mais, tirés sur le sable, entrailles des moteurs à l’air, ils ne semblent pas prêts d’être remis à l’eau.