« Depuis 50 ans, l’Etat n’investit que dans le nord en abandonnant le sud…Nous les nordistes nous sommes oubliés dans notre misère alors qu’au sud toutes les routes sont goudronnées !»
Jeudi dernier, dans un film documentaire réalisé par l’IMRAP et Interpeace, diffusé à l’institut français de Bamako, plusieurs invités se sont retrouvés à l’écran face au Malien lambda, frappé par la crise et qui livre sans pression son analyse personnelle sur les maux qui minent le Mali, menaçant même son existence.
Du bucheron de Kadiolo au cultivateur de Niono. Du pêcheur de Mopti au mineur de Kalana. D’ancien chef d’Etat au juriste dans son bureau en passant par un ancien ministre. Du préfet dans son bureau en plein désert, au militaire sur le terrain des hostilités, en passant par la vendeuse des oranges. Du chef de tribu à Kidal au docker de Kayes en passant par l’éleveur de Tombouctou, ce sont les Maliens eux-mêmes qui, après avoir regardé la situation du pays en face, dégagent librement leurs analyses dans ce film intitulé « l’Autoportrait du Mali ».
En clair, ce documentaire condense la voix de plus 4500 Maliens qui se sont investis dans le processus unique de dialogue et de consolidation de la paix au Mali.
L’œuvre audiovisuelle, si riche en avis divergents sur toutes les thématiques, est menée par l’Institut malien de recherche action pour la paix(IMRAP) et son partenaire Interpeace, une ONG œuvrant pour la paix.
Comme vision commune, ces partenaires entendent contribuer au renouvellement d’un vouloir vivre ensemble harmonieux et à l’enracinement du dialogue inclusif comme mécanisme permettant d’adresser ensemble les défis à la paix.
Pour objectifs fixés, les l’Imrap et Interpeace veulent renforcer et de rétablir la confiance entre tous les Maliens et rapprocher les populations entre elles et les leurs gouvernants. Ils veulent aussi permettre aux Maliens de développer ensemble un Agenda pour la paix basé sur une compréhension partagée des obstacles et des opportunités pour la paix, etc.
Dans leur approche, les chercheurs se sont appuyés sur la conviction que les Maliens détiennent une connaissance approfondie de leur contexte et sont donc à même de trouver des solutions appropriées pour une paix durable dans leur pays.
En fait, sans parti pris, le rôle de l’IMRAP, selon ses responsables, est d’offrir un espace d’échange et d’auto-analyse aux populations pour leur permettre d’identifier les grands défis à la paix avec comme résultat initial souhaité un autoportrait du Mali et un agenda pour la paix.
Ainsi, permettre aux Maliens de devenir de vrais acteurs du changement pour le renouvellement d’un vouloir-vivre ensemble, les opportunités de changement par l’action collective seront identifiées afin de définir le rôle de chacun dans la construction d’un Mali pacifique.
Pour obtenir les avis des populations « nous avons posé juste une question à chaque personne ». A savoir : « Quelles sont les obstacles à la paix ? »
Réponses de Maliens :
-« Depuis 50 ans, l’Etat n’investit que dans le nord en abandonnant le sud… on dirait que le Mali c’est seulement au nord !», explique un paysan dans un cercle de la région de Kayes.
-« Nous les nordistes nous sommes oubliés dans notre misère alors qu’au sud toutes les routes sont goudronnées, ici, pas d’université, pas d’hôpitaux, tout est à Bamako… c’est de l’injustice !», s’insurge un réfugié malien dans le camp de Mbéra en Mauritanie.
-« D’ici, nous entendons les gens dire que l’Etat donne des tracteurs aux paysans, nous n’avons rien vu, tout est distribué au sud ! », fulmine un autre du nord.
-« Il est inacceptable de de cautionner que rien n’a été fait dans le nord dans l’agriculture, s’insurge Ahmed Ag Hamani, ancien premier ministre. Des périmètres ont été irrigués le long du fleuve Niger.»
-« Beaucoup de fonds ont été investis dans le but de développer le nord », explique l’ancien président Moussa Traoré.
-« Dès qu’on parle de recrutement dans la fonction publique, ce sont des nordistes qui sont les plus favorisés…Et les projets de développement en tous domaines sont toujours localisés vers le nord… Une bonne partie du budget d’Etat est consacrée à la construction des infrastructures soit à Kidal, à Gao ou à Tombouctou, argue un habitant de Koulikoro. Regardez, comment la route Bamako-Koulikoro est dégradée… ! »
-« Même dans l’Armée, le nordistes sont les plus gradés. Il suffit de prendre les armes au Mali pour qu’on t’entende car le diplôme ne vaut plus rien, alors moi aussi je vais prendre une arme pour qu’on m’entende », commente un étudiant touareg à Bamako.
-« La plupart de ceux qui deviennent soldats au Mali, sont pour se venger des leurs, assassinés… il en est de même pour ceux qui prennent les armes pour militer dans la rébellion », croit savoir une vendeuse d’orange.
-« La justice est corrompue et le pauvre a toujours tort…Seulement les fils des dirigeants ont accès à des bonnes écoles à l’étranger, et ceux dont les pères nous dirigent aujourd’hui, reviendront diriger nos enfants demain…Pire, à l’université, les filières ne correspondent pas au marché de l’emploi. », se révolte un jeune diplômé sans emploi.
-« Ce sont les populations elles-mêmes qui crient à la corruption qui encouragent la corruption, explique un magistrat. Voyez : un juge qui a en main une affaire opposant deux citoyens, assis dans son bureau avec comme souci : comment payer ses factures d’eau et d’électricité ? Et qu’un défendeur ou un plaignant lui tende 200.000 FCFA, tout en le suppliant ! Il faut être très fort pour y résister ! »
-« On nous a parlé de décentralisation, alors que les maires et les préfets ne sont là que pour alimenter des conflits d’intérêts en vendant nos terres, d’où les conflits fonciers qui nous divisent dans nos villages. Or, autrefois, le chef du village était la seule autorité habilitée à le faire et personne ne trouvait à redire », remarque un habitant de Sikasso.
-« La Décentralisation comme mode de gouvernance adopté par la troisième République, n’a pas montré ses limites comme le prétendent certains…Un Etat décentralisé se construit dans un espace de 100 à 150 ans, et non en 10 ou 15 ans », fait comprendre l’ancien ministre Ousmane Sy, dans le film.
Entre autre… le film Autoport est le résultat d’une consultation de toutes les couches de la population malienne dans le but d’atteindre une masse critique de Maliens et d’assurer une représentativité qui légitime les résultats de cet exercice. Le résultat : Un autoportrait qui prend réellement en compte tous les points de vue.
Et de tous les points de vue recueillis, il nous est revenu que les Maliens du nord comme du sud, tiennent à leur pays qu’est le Mali. Ce qui les affecte depuis peu, c’est l’injustice, l’impunité et la mal gouvernance dans tous les domaines. Et selon l’avis de tous, le seul fautif est « l’Etat. » Mais qu’est-ce que chacun a fait pour ne pas en arriver là ? Les recherches se poursuivent, nous a-t-on indiqué.