C’est un acteur politique à plusieurs vies. En tant que président du parti, le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), il s’est montré tout au long des dix premières années du Mali démocratique un opposant opiniâtre au pouvoir presque sans partage de l’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ). Il a accepté ensuite des portefeuilles ministériels sous les régimes d’Amadou Toumani Touré et d’Ibrahim Boubacar Keïta. Puis on l’a retrouvé figure de proue du mouvement hétéroclite qui a contribué à la chute du régime du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5 RFP) dont il assura la présidence du Comité stratégique. Aujourd’hui par la force des événements et – il faut le reconnaitre -, grâce à sa combativité, Choguel Kokala Maïga est propulsé depuis le 7 juin dernier à la fonction de Premier ministre, chef du gouvernement avec comme ambitions la refondation de l’Etat et la mise sur orbite du Mali Kura (le Mali nouveau). Soumis à l’épreuve du pouvoir dans des conditions particulièrement difficiles, le patron du parti du tigre joue véritablement son avenir politique. Saura-t-il se mettre au-dessus de la mêlée pour recoudre le tissu social, apaiser le climat politique, sécuriser le pays et enfin donner espoir au peuple malien qui a trop et trop longtemps souffert ?
Les préoccupations de l’opinion publique
Le 13 juin dernier, le nouveau PM a réuni un premier conseil de cabinet pour fixer le cap et dégager les missions prioritaires de l’équipe gouvernementale forte de 25 ministres et de 3 ministres délégués. A cette occasion, Choguel Kokala Maïga a égrené sept axes majeurs : l’amélioration de la sécurité, les réformes politiques et institutionnelles, l’organisation d’élections crédibles, la réduction du train de vie de l’Etat, la moralisation de la vie publique, la fin de l’impunité et la satisfaction d’une part importante de la demande sociale.
La déclaration du chef du Gouvernement prend indiscutablement en compte les préoccupations ressassées par l’opinion publique malienne qui se résument en la quête de la sécurité, l’obtention de meilleures conditions de vie, la lutte contre l’impunité, l’apaisement du climat politique et la fin de l’extravagant train de vie de l’Etat. Il faut ajouter à cette liste la lutte implacable contre la corruption et l’audit des institutions, des grandes administrations, des grands projets nationaux et locaux et dans les collectivités.
Une question se pose logiquement : en huit « petits » mois, Choguel est-il en mesure d’achever tous ces chantiers énoncés ? Il lui faut déjà s’assurer de l’adhésion de toutes les forces politiques et sociales du pays. Ce consensus, le PM le cherchera dans l’organisation des Assises nationales de la refondation (ANR). La tâche de structurer ces rencontres reviendra à une équipe de haut niveau composée de « personnalités consensuelles et crédibles » et qui assurera à l’événement une « participation catégorielle, sectorielle, sociale et largement inclusive ». Exit donc le Comité d’orientation stratégique (COS) qu’avait mis en place l’ex PM, Moctar Ouane ?
L’urgence recherchée par le Premier ministre a été clairement énoncée par ce dernier : obtenir une trêve globale (politique, syndicale, sociale) afin de créer un climat d’apaisement, de sérénité et de confiance mutuelle. La chose a été bien dite. Mais elle n’apaise pas pour autant les partis et rassemblements politiques d’envergure nationale comme l’ADEMA, l’EPM, la COFOP, le PARENA qui dénoncent déjà la formation de ce qu’ils assimilent à un « gouvernement d’exclusion ».
Le temps n’est pas le meilleur allié
Il faudra donc au PM de calmer certains de ses interlocuteurs pour pouvoir se consacrer à la réussite d’autres chantiers annoncés et qui se présentent comme particulièrement complexes. Il s’agit des réformes politiques et institutionnelles qui vont aboutir à la révision de la Constitution du 25 février 1992, à la relecture « intelligente » de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, à la mise en place d’un organe unique pour les élections. Ces défis ne sont pas nouveaux. Les évoquer rappelle surtout la mauvaise fortune qui a frappé les tentatives de révision de la Constitution initiées par les présidents Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Kéïta. En outre, la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, réclamé à cor et à cri par les acteurs politiques qui accablent l’Administration de tous les maux, s’annonce comme un vrai casse-tête si on veut éviter le naufrage organisationnel qu’avait amené lors des législatives de 1997 la toute-puissance imprudemment accordée à la Commission électorale nationale indépendante, première version.
Alors la Primature à force de trop embrasser étreint-elle mal ? Une chose est certaine : après les diagnostics forts dégagés par la Conférence d’entente nationale en 2017, le Dialogue national inclusif en 2019 et les Concertations nationales en 2020, il nous parait inutile d’organiser d’autres assises pendant cette Transition. A moins qu’on ait le projet de prolonger celle-ci aux fins, nous dira-t-on, de poser solidement les fondements du Mali nouveau, le « Mali kura ». Cette démarche, si elle était adoptée, verrait certainement nos différents partenaires mettre un coup de pression supplémentaire sur notre pays afin de nous rappeler les engagements fermes pris jusqu’ici par le président de la Transition et le PM quant au respect des délais annoncés.
Le chef du gouvernement doit accepter que le temps n’est pas son meilleur allié et qu’il lui faudra sérier des urgences dans les chantiers annoncés à la faveur de son premier conseil de cabinet. Le fera-t-il ? Notre sentiment est que le Premier ministre va s’atteler, de manière prioritaire, à l’organisation consensuelle et inclusive des Assises nationales de la refondation afin que celles-ci recommandent une prolongation de la Transition. La tentative peut se justifier. A condition que le locataire de la Primature exclut toute malice dans sa démarche et surtout qu’il donne des gages de sa sincérité aux forces vives de la Nation (classe politique, syndicats, organisations de la société civile, ex-groupes armés…).
Sans l’adhésion consensuelle politique et sociale de tous les acteurs majeurs, le projet serait voué à l’échec. Choguel devrait en être conscient et convaincu. Pour notre part, nous lui souhaitons bonne chance pour le retour de la sécurité, de la paix de l’unité dans notre pays.
Alfousseiny Sidibé, Journaliste