La première de « Dieu ne dort pas » de la troupe malienne BlonBa avait lieu le 2 mai au théâtre du Grand Parquet à Paris.
Siegfried Forster / RFI
C’est une déclaration de guerre théâtrale à la destruction des valeurs au Mali. Ala tè sunogo (Dieu ne dort pas) est une comédie burlesque à visée politique. Interprétée par des comédiens maliens qui viennent de perdre leur théâtre à Bamako à cause de la guerre. Pas toujours exempte de populisme, la pièce s’avère aussi pertinente que populaire. Elle ose et propose, avec une finale en rap grandiose. Basée au Mali, la troupe de théâtre BlonBa a donné la première de son nouveau spectacle au Grand Parquet à Paris. Entretien avec Jean-Louis Sagot-Duvauraoux, auteur et metteur en scène.
Dieu ne dort pas montre la fermeture forcée et honteuse d’une entreprise artistique à Bamaka, la corruption, le vol, l’injustice, est-ce une déclaration de guerre contre tous les maux au Mali ?
Cette pièce s’inscrit dans une tradition qui est très profonde et très ancienne au Mali, le kotèba. C’est un moment dans lequel on se moque de soi-même et on dit ce qui se ne dit pas habituellement. C’est quelque chose qui existe dans les villages et a été mis sur la scène à la fin des années 1980, à l’époque de la dictature militaire. Tout le monde l’avait identifié comme un moment de libre expression dans une période de dictature. Le pouvoir n’osait pas trop aller contre ce qui se passait sur la scène, parce que c’est véritablement ancré dans l’esprit des gens que le kotèba permet de tout dire.
Il y a un an, vous avez tiré la sonnette d’alarme en disant que votre théâtre à Bamako va fermer. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Le théâtre a fermé malheureusement. La pièce est prémonitoire parce qu’elle a été écrite avant qu’on ferme la salle. C’est un vrai scandale qu’on a dû fermer cette salle, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de salles dans l’Afrique de l’Ouest, mais c’est aussi la situation du Mali dans cette période.
Pourquoi avez-vous dû fermer la salle ?
C’était aussi à cause de la guerre. Ce n’était pas pendant la deuxième phase avec l’intervention française, mais la guerre avait commencé. C’est après le coup d’État qu’on a fermé la salle. Il y a eu une conjonction d’égoïsme privé, de non-soutien de l’État malien et aussi du fait que la vie artistique s’est arrêtée à ce moment-là, donc on ne pouvait plus assurer la survie de la salle.
Est-ce qu’on peut dire que l’État malien ne vous soutient pas, mais il vous laisse la liberté de création ?
Il y a une vraie liberté de création, mais la question de l’État malien est compliquée. Le Mali, et l’Afrique en générale d’ailleurs, ne croit pas en son État. Dans la pièce on montre un État qui est en fait privatisé par des systèmes de corruption. En même temps, on va trouver à l’occasion des situations dans lesquelles on trouve un soutien. Cela nous est arrivé aussi. Ce qu’on montre ici, ce sont les raisons de l’effondrement de l’État malien, et aussi les raisons d’espérer. Cette pièce croise une histoire plutôt dramatique, l’impossibilité pour un opérateur culturel de mener à bien des projets qui font du bien au pays, et en même temps, il y a ce jeune danseur muet qui montre la vitalité extraordinaire d’un pays où 75 pour cent des gens ont moins de 30 ans.
Le jeune danseur joue l’histoire de sa propre vie.
Souleymane Sanogo a été un enfant des rues. C’est un garçon qui était cultivateur jusqu’à l’âge de 15 ans. Il a fui son village, est venu à Bamako et a découvert la danse par une série de hasard. Cet art l’a envahi. C’est devenu sa vie. C’est une histoire de l’Afrique qui est pleine d’espoir. La pièce est très critique et en même temps, il me semble qu’on en sort plutôt très réconforté.
Mélanger le kotèba et la danse contemporaine, c’était pour moderniser le kotéba ou pour adapter la danse contemporaine à la tradition ?
L’idée du spectacle est très liée à cette question de la danse contemporaine. C’est un art dont les formats sont très occidentaux et qui est aujourd’hui pratiqué dans ces formats en Afrique. Donc il y a très peu de public local. C’est un art qui est un peu un copier-coller de ce qui se passe ici en Europe. Dans la pièce, on parle de cette question. Comment faire pour que cela ne soit pas une annexe de la vie culturelle et artistique de l’occident, mais s’inscrive dans le paysage malien et dans l’imaginaire des Maliens ? Les répétitions générales qu’on avait faites à Bamako avant le coup d’État ont montré que les gens fonçaient à 150 pour cent dans ce que produisait cette danse contemporaine qui ne reproduit pas les pas connus.
Dans la pièce on entend la phrase « la danse contemporaine est comme la politique. Pour faire venir du public, il faut le payer ». Comment cela se passe-t-il aujourd’hui avec le théâtre au Mali ?
Pour parler de notre expérience, nous, dans cette salle où on jouait et où on s’est financé avec la billetterie principalement, le financement des créations était essentiellement fait en préachat ou coproduction. Par exemple, ce spectacle est coproduit par le théâtre d’Ivry. Donc des relations saines. On a essayé beaucoup de sortir du système de subventionnement, de perfusion.
Qui est ce personnage de Bougouniéré qui traverse plusieurs de vos spectacles?
C’est une femme du milieu populaire qui est plutôt fantasque, drôle, et qui est aussi très tonique. C’est un peu comme les personnages de la farce. Dans le Charlot des Temps modernes, il y a aussi quelque chose qui est très proche du kotèba dans l’esprit.
Au Festival d’Avignon il y aura cet été plein de compagnies africaines autour de Dieudonné Niangouna, le premier artiste-associé africain. Est-ce que la scène théâtrale africaine se déplace cette année en France ?
Je ne sais pas. Le principe qui nous a guidés, dès le départ, c’est de faire toujours nos spectacles par priorité pour le public malien. Cela détermine beaucoup notre façon de travailler, depuis l’écriture jusqu’à la mise en scène et au choix des acteurs. On s’est rendu compte que cela donne une certaine vérité, que même les Européens ou les Américains reçoivent. Et je crois qu’il n’y a pas d’autre compagnie [malienne, ndlr] qui tourne autant que nous à l’extérieur du Mali.
Peut-on exporter hors Afrique ce qui était formaté pour le public malien ?
Oui. Ce qui est intéressant dans l’expérience de BlonBa, c’est qu’on est quand même parvenu de faire en sorte que, à un certain moment, le Mali devient le centre du monde. Ce qui existe dans toute conversation. Quand vous parlez, vous êtes le centre et quand je vous réponds, je suis le centre. Quand les gens regardent la scène, voient les acteurs, applaudissent à la fin, c’est le Mali qui est au centre du monde, momentanément.
Avant, les gens étaient méchants, un peu corrompu, mais maintenant, c’est de trop.