Il était parti sans amertume il y a deux ans, ni offusqué ni abattu, simplement conscient qu’une tête devait tomber après la débâcle de l’armée malienne à Kidal provoquée par la visite du Premier ministre d’alors, Moussa Mara. Fidèle à son habitude, Soumeylou Boubèye Maïga n’avait pas fait de vagues. Il avait quitté le ministère de la Défense sous un déluge de critiques mais la tête haute, sans accabler un chef du gouvernement qu’il avait pourtant mis en garde, sans même reprocher au président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) de le sacrifier, lui, un compagnon de route de plus de trente ans. « Il en a vu d’autres, il s’en relèvera », soufflait alors un de ses proches.
Le voilà de nouveau au sommet de l’État. Le 29 août, Soumeylou Boubèye Maïga est devenu l’homme le plus important de la présidence après le chef de l’État. Depuis plusieurs semaines, la rumeur le donnait Premier ministre ; c’est au poste de secrétaire général de la présidence qu’il a été nommé. « Le secrétaire général est le filtre entre le président et le gouvernement, explique un conseiller d’IBK. C’est lui qui gère tous les dossiers. Vu son expérience et sa proximité avec le patron, Boubèye jouera un rôle bien plus important que le Premier ministre. »
Un expert des situations complexes
Sa nomination est d’ailleurs perçue à Bamako comme un moyen pour IBK de donner un nouvel élan à sa politique tout en conservant un Premier ministre, Modibo Keïta, jugé trop technique mais dont il peut difficilement se séparer après avoir consommé deux chefs du gouvernement en moins de deux ans. « Sa mission est claire, indique un autre conseiller d’IBK : muscler l’action gouvernementale et préparer les échéances électorales qui approchent. La présidentielle est dans deux ans. »
Pas de quoi effrayer cet ancien journaliste âgé de 62 ans, fan de sport (il fut dans sa jeunesse un basketteur de haut niveau), accro à l’actualité et coutumier des missions délicates. Quand il a fallu mettre de l’ordre dans les services de renseignements après la chute de Moussa Traoré, c’est à lui que Konaré a fait appel en le nommant à la tête de la Sécurité d’État (1993-2000), avant d’en faire son ministre des Forces armées. Quand il est apparu urgent de redorer l’image du pays, auquel plus aucun partenaire ne faisait confiance, c’est à lui qu’Amadou Toumani Touré a confié le portefeuille des Affaires étrangères (2011-2012).
Et quand IBK a hérité d’une armée en lambeaux après son élection en août 2013, c’est une fois de plus vers lui qu’il s’est tourné. Cette mission-là lui a valu bien des désagréments, dont un rapport sévère du Vérificateur général au sujet d’un contrat opaque pour équiper l’armée et une garde à vue (sans suite) en France. Aujourd’hui, le président a besoin de son expérience, de son expertise en matière de terrorisme et de ses réseaux tant au sein de la classe politique malienne que de l’UA (il a été le médiateur de l’organisation en Centrafrique).
Un juste retour des choses
Plus que d’une revanche, il s’agit d’un « juste retour des choses », explique l’entourage de Soumeylou Boubèye Maïga. Il était en effet écrit que celui que l’on surnomme « le Tigre » reviendrait aux côtés d’IBK – surtout depuis qu’il a été blanchi par une commission d’enquête parlementaire chargée de cibler les responsabilités dans la déroute de Kidal. Entre les deux hommes, qui ont tous deux fait leurs armes au sein de l’Adema, aux côtés de Konaré, avant de créer leur propre parti, et qui se sont alliés en 2013, les liens n’ont jamais été rompus. « Ils ont continué de se voir très régulièrement, explique un ministre. IBK n’est pas assez bien entouré pour ignorer un homme aussi expérimenté que Boubèye. »
Rémi Carayol