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Le rapport 2014 de Human Rights Watch sur le Mali

rapport mali Human Rights Watch
Rapport mondial 2014 : Mali
Événements de 2013

En janvier 2013, une avancée inattendue de groupes armés islamistes en direction du sud du pays a déclenché une offensive militaire par la France, qui a rapidement permis de chasser ces groupes et a en grande partie mis un terme à leur occupation abusive du Nord-Mali. Pendant et après cette offensive, des soldats maliens ont commis plusieurs abus, en particulier contre des civils et des suspects rebelles dont ils avaient la garde.

Des craintes concernant la menace posée par des groupes armés islamistes proches d’Al-Qaïda ont mené à d’importantes initiatives diplomatiques  visant à résoudre la crise et à stabiliser le Mali. La France s’est chargée des questions militaires, l’Union européenne de la formation et de la réforme du secteur de la sécurité, et les Nations Unies, au moyen d’une force de maintien de la paix, du respect de l’état de droit et de la stabilité politique. Si la plupart de ces acteurs ont critiqué les abus perpétrés par les groupes islamistes, ils se sont montrés peu disposés à critiquer publiquement ceux qu’avait commis l’armée malienne.

Les élections présidentielles qui ont eu lieu en août et ont été largement libres, équitables et transparentes ont contribué à stabiliser la situation politique. Cependant, la sécurité a été mise à mal par des tensions communautaires incessantes et des incertitudes quant au statut des rebelles touaregs ; par les attaques continues lancées par des groupes islamistes, notamment des attentats-suicides ; par des divisions au sein de l’armée ; et par la hausse de la criminalité.

Les autorités maliennes n’ont guère agi pour enquêter sur les membres des forces de sécurité impliqués dans des abus et exiger qu’ils rendent compte de leurs actes. Cependant, en janvier, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les crimes qui auraient été commis dans les trois régions du Nord-Mali.L’accord de Ouagadougou, signé en juin par le gouvernement malien et deux groupes touaregs, est resté ambigu sur la question de savoir si les auteurs de crimes graves seraient traduits en justice.

L’état de droit au Nord-Mali a été affecté par la lenteur avec laquelle les membres de l’appareil judiciaire et la police ont regagné cette région. D’une manière générale, l’inadéquation du budget affecté au système de justice pénale a limité l’application de la loi selon les procédures prévues dans tout le pays. L’escroquerie et la corruption, phénomènes endémiques à tous les niveaux du gouvernement, ont par ailleurs entravé l’accès des Maliens aux soins de santé élémentaires et à l’éducation fondamentale.

Exactions commises par les forces de sécurité de l’État

Dans le cadre de leur campagne visant à reprendre le contrôle du Nord, des soldats maliens ont perpétré de nombreuses exactions, notamment des exécutions sommaires, des disparitions forcées et des actes de torture. Parmi ces abus, qui ciblaient des rebelles islamistes suspectés et des collaborateurs présumés, citons au moins 26 exécutions extrajudiciaires, 11 disparitions forcées et plus de 50 cas de torture ou de mauvais traitements.

Des détenus ont été brutalement battus, ont reçu des coups de pied et ont été étranglés ; brûlés avec des cigarettes et des briquets ; forcés à avaler ou à se faire injecter une substance caustique non identifiée ; exposés à des simulacres de noyade proches de la méthode du « waterboarding » ; et assujettis à des menaces de mort et à des simulacres d’exécution.

Ces sévices ont cessé une fois que les détenus ont été remis aux gendarmes, qu’ils ont parfois soudoyés afin d’assurer leur libération. La présence de gendarmes, de soldats français et de troupes d’Afrique de l’Ouest ont eu un effet dissuasif sur les responsables des abus les plus graves.

En août, l’auteur du coup d’État de 2012, le capitaine Amadou Sanogo, a été promu lieutenant-général, et ce, malgré son implication directe dans des actes de torture et des disparitions forcées en 2012 et en octobre 2013, épisodes lors desquels des forces fidèles à Sanogo auraient tué quatre de ses loyalistes et en auraient fait disparaître au moins sept qui s’étaient mutinés.Cependant, en août, le Président par intérim a abrogé un décret datant de 2012 qui nommait Sanogoresponsable du comité chargé de la mise en œuvre de réformes dans l’armée.

Abus perpétrés par des groupes islamistes armés et des rebelles touaregs

Avant d’être chassés du Nord-Mali, des combattants de groupes islamistes—Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)—ont commis de graves abus contre des prisonniers et des résidents locaux. Cherchant à imposer leur propre interprétation de la sharia, ces groupes ont battu, fouetté et arrêté de manière arbitraire les consommateurs de cigarettes ou de boissons alcoolisées ou bien des personnes qui ne respectaient pas leur code vestimentaire. En janvier, des groupes armés islamistes ont exécuté au moins sept soldats maliens à Konna.

AQMI détient toujours en otages au moins huit personnes, dont deux Français, un Néerlandais, un Suédois, un Sud-Africain et au moins trois Algériens. AQMI a affirmé avoir exécuté un Français, Philippe Verdon, le 10 mars, en représailles contre l’intervention militaire de la France au Nord-Mali.

Les 1er et 2 juin, des forces du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), groupe touareg qui contrôle encore certaines zones de la région de Kidal, ont détenu arbitrairement une centaine de personnes, pour la plupart des hommes à la peau plus sombre issus de groupes ethniques autres que touaregs. Le MNLA a volé, menacé et, à plusieurs reprises, brutalement battu ces hommes. Le 2 novembre, deux journalistes français ont été enlevés à Kidal, le fief du MNLA, puis exécutés par des hommes armés qui seraient proches d’AQIM. En septembre, le MNLA a libéré une trentaine de prisonniers détenus par des groupes islamistes à Kidal.

Obligation de rendre des comptes

Des crimes de guerre et d’autres abus graves ont été commis par toutes les parties durant le récent conflit armé au Mali. Parmi ces abus figurent l’exécution sommaire de jusqu’à 153 soldats maliens à Aguelhok ; des saccages et des actes de pillage généralisés et des violences sexuelles commises par le MNLA ; le recrutement et l’utilisation d’enfants combattants, des exécutions, des flagellations, des amputations et la destruction de sites religieux et culturels par des groupes islamistes armés ; et des exécutions sommaires, des actes de torture et des disparitions forcées perpétrés par des soldats de l’armée malienne. De nombreux établissements de santé du Nord-Mali ont été spécifiquement ciblés et pillés.

En juillet 2012, le gouvernement du Mali, État partie à la CPI, a déféré « la situation au Mali depuis janvier 2012 » à la procureure de la CPI en vue de l’ouverture d’une enquête. Le 16 janvier 2013, celle-ci a formellement ouvert une enquête sur les crimes graves qui auraient été commis dans les trois régions du Nord-Mali. Au moment de la rédaction de ce chapitre, aucun mandat d’arrêt n’avait été émis.

Le gouvernement et le haut commandement militaire maliens ont transmis des messages contradictoires concernant les abus commis par les soldats maliens ; ainsi, à certains moments, ils ont catégoriquement nié les atteintes et, à d’autres, ils ont promis d’exiger des responsables présumés qu’ils rendent compte de leurs actes. Si les autorités maliennes ont enquêté sur quelques incidents, notamment sur la disparition forcée de cinq hommes à Tombouctou en février et sur le massacre de 16 prédicateurs musulmans par des soldats à Diabalyen septembre 2012, de nombreux autres ne font l’objet d’aucune enquête, et aucun des soldats impliqués dans les abus récents n’a été traduit en justice.La justice a quelque peu progressé dans le traitement de l’affaire de la disparition forcée, en mai 2012, d’au moins 21 soldats par des forces fidèles à Sanogo. Ainsi, en octobre, le juge chargé d’enquêter sur cette affaire a inculpé et détenu trois membres des forces de sécurité et en a convoqué 17 autres, dont Sanogo, pour les interroger sur leur rôle présumé dans ces crimes.

Mécanisme de recherche de la vérité et de réconciliation

En mars, le gouvernement par intérim a instauré la Commission pour le dialogue et la réconciliation, mais son efficacité a été diminuée par le manque de clarté de son mandat et par la nomination hâtive de commissaires par le gouvernement par intérim, qui s’est abstenu de consulter de manière satisfaisante un large éventail de parties prenantes. Étant donné que son mandat et ses pouvoirs semblent se limiter à la promotion de la réconciliation, certains Maliens ont réclamé la mise en place d’une commission capable de s’attaquer au problème de l’impunité concernant les abus commis et de recommander la traduction des individus concernés devant les tribunaux.

Système judiciaire

La négligence et la mégestion au sein du système judiciaire malien ont entraîné des déficiences saisissantes et gêné les efforts de lutte contre l’impunité des auteurs de délits, toutes catégories confondues. Conjuguées à une conduite non professionnelle et à des pratiques corrompues, les lacunes logistiques et en matière de personnel au sein du secteur de la justice ont contribué à des violations du droit à l’équité procédurale.

Du fait de l’incapacité des tribunaux à traiter les dossiers de manière adéquate, des centaines de prisonniers se trouvent en détention préventive prolongée dans des prisons et des centres de détention surpeuplés. Très peu des quelque 250 hommes (d’après les estimations) qui étaient détenus suite à l’offensive visant à reprendre le Nord-Mali étaient représentés par un avocat, et plusieurs sont morts en détention à cause de l’inadéquation des soins médicaux et de conditions de détention déplorables. À noter toutefois que le ministre de la Justice par intérim a remplacé plusieurs procureurs corrompus et quelque peu amélioré les conditions de détention.

Recrutement d’enfants et travail des enfants

Alors qu’ils occupaient le Nord-Mali d’avril 2012 à février 2013, des groupes armés islamistes ont recruté, formé et utilisé dans leurs rangs plusieurs centaines d’enfants. Des dizaines, dont certains avaient tout juste 12 ans, ont participé aux batailles, et nombre d’entre eux ont été tués lors des combats ou des bombardements aériens. Plusieurs écoles ont été détruites par des bombardements français car les groupes islamistes avaient fait de ces établissements leurs centres de commandement.

L’exploitation des enfants dans l’agriculture, les services domestiques, les mines et d’autres secteurs est restée fréquente et a souvent inclus des travaux dangereux pour lesquels la loi malienne interdit l’emploi d’enfants de moins de 18 ans. Les enfants qui travaillent dans les mines d’or artisanales étaient exposés à des risques de blessures et d’exposition au mercure. Plus de deux ans après son adoption, le plan d’action gouvernemental sur le travail des enfants est resté dans l’ensemble inappliqué.

Principaux acteurs internationaux

Les partenaires du Mali, notamment la France, l’Union européenne, les États-Unis et les Nations Unies, ont émis diverses déclarations dénonçant l’offensive et les abus perpétrés par les groupes islamistes, mais ils ont été peu disposés à condamner publiquement les abus commis par l’armée malienne.

La création d’une Mission de soutien international au Mali (AFISMA) sous conduite africaine, forte de 6 200 agents, autorisée en vertu de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU en décembre 2012, devait permettre de restaurer le contrôle gouvernemental au Nord-Mali en 2013. Cette mission a toutefois été dépassée par les événements après l’attaque, par des rebelles islamistes, de Konna, ville contrôlée par le gouvernement, en janvier. Cette attaque a conduit au lancement d’une opération militaire de six mois impliquant quelque 4 500 soldats, avec l’aide de forces africaines pour rétablir le contrôle gouvernemental dans le Nord.

Reconnaissant la complexité des défis politiques et sécuritaires, le Conseil de sécurité a adopté en avril la résolution 2100, qui a établi la Mission intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), composée de 11 200 agents. En juillet, la plupart des troupes de l’AFISMA sont passées au statut de casques bleus de l’ONU.

Entre-temps, l’Union africaine et la CEDEAO ont pris l’initiative de soutenir les négociations entre les Touaregs armés et le gouvernement malien et, en janvier, le Conseil Paix et Sécurité (CPS) de l’UA a mandaté le déploiement au Mali de quelque 50 observateurs des droits humains. En février, le Conseil des affaires étrangères de l’UE a lancé la Mission de formation de l’UE au Mali (EUTM Mali), chargée de former quatre bataillons de soldats maliens et de soutenir la réforme de l’armée malienne. En mai, une conférence des bailleurs de fonds organisée par l’UE et la France s’est soldée par des engagements envers des efforts de développement au Mali se chiffrant à 4,2 milliards de dollars US.

En février, le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a envoyé au Mali et dans les pays voisins une seconde mission d’établissement des faits. En mars, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution établissant un mandat d’expert indépendant pour ce pays.

Source: Human Rights Watch

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