Sur toutes ces questions, le Président Issoufou Mahamadou a parlé un langage précis, clair et plein de détermination.
« Vous savez, a-t-il dit, je suis un homme simple. Mes congés, je les ai toujours passés dans mon village de Dandadji, pas à Marbella, Deauville ou Saint-Tropez. Et puis j’ai beau chercher, je ne trouve aucun argument qui justifierait que je me sente irremplaçable ou providentiel. Nous sommes 22 millions de Nigériens, pourquoi aurais-je l’arrogance de croire que nul ne peut me remplacer ? »
Mieux, « Même si j’ai répété depuis le premier jour que ma décision de respecter la Constitution et de ne pas chercher à me représenter était irrévocable, il y a toujours des gens pour propager des rumeurs contraires. Tenir cette position est en fait pour moi un moyen de contribuer au renforcement des institutions démocratiques au Niger et en Afrique. Si les chefs d’État ne montrent pas l’exemple, qui le fera à leur place.
Jamais! Je suis, viscéralement, un démocrate et je n’ai jamais cru que qui que ce soit puisse être indispensable à la tête d’un pays. L’aurais-je voulu d’ailleurs que notre cour constitutionnelle, qui est sans doute la plus indépendante d’Afrique, s’y serait opposée ».
Le décor est planté, le Président Issoufou réaffirme par là, qu’il ne restera pas en fonction une heure de plus que ce que lui autorise la Constitution, à savoir deux mandats de cinq ans. C’est pourquoi d’ailleurs, son parti politique, le PNDS Tarayya a déjà investi son candidat pour la présidentielle de 2021, le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum.
Pour lui, « Mohamed Bazoum a été un membre fondateur du PNDS en 1990. Il a été mon vice-président pendant toute la période où nous étions dans l’opposition, puis le président de ce parti quand j’ai été élu à la tête de l’État en 2011. Le PNDS a des valeurs, et Bazoum porte ces valeurs. Je suis convaincu qu’il continuera les actions que nous avons définies et entreprises en faveur du peuple nigérien. Il y a aussi un message complémentaire derrière ce choix: démontrer une fois de plus que le PNDS ne fait pas de politique sur des bases ethniques ou régionales, mais sur la base d’un programme et d’une éthique.
C’est l’un des éléments de la renaissance culturelle que j’ai appelée de mes vœux. La quasi-totalité des partis fondés au début des années 1990 sur des bases tribales ont disparu, et, si le PNDS a pu prospérer jusqu’à devenir le plus grand parti du Niger, c’est précisément parce qu’il a su dépasser ces clivages et prôner le rassemblement.
Evoquant le cas de Massaoudou Hassoumi, le Président Issoufou a déclaré que « Le PNDS est un parti démocratique au sein duquel chacun peut s’exprimer, mais c’est aussi un parti soudé et organisé. Le congrès s’est réuni, le camarade Bazoum a été investi, une réconciliation s’est opérée autour de ce choix. Il n’y a plus de problème Massaoudou Hassoumi. L’heure n’est plus aux états d’âme, encore moins aux rancœurs ».
S’agissant du cas de Hama Amadou où certains lumanistes veulent ou rêvent de tordre le cou aux lois de la République pour permettre à leur poulain (condamné par la justice) de se présenter aux échéances futures, le Chef de l’Etat a été on ne peut plus clair : « Ce n’est pas une situation que j’ai souhaitée. Mais si quelqu’un est jugé coupable d’un acte délictueux par la justice et condamné pour cela, je n’ai pas à intervenir.
Celui dont vous parlez a été accusé de trafic de bébés, ce qui n’est pas rien. Ce n’est pas moi qui ai porté cette affaire devant les tribunaux, laquelle concerne non seulement ce monsieur mais aussi une vingtaine d’individus dont personne ne parle.
La sentence a été prononcée. C’est peut-être regrettable, mais la justice, au Niger, est indépendante ».
Cette condamnation à un an de prison, rappelons le, rend Hama Amadou inéligible, selon l’article 8 du code électoral…
Pour le cas précis de cet article, le Président Issoufou réaffirme « Mais là aussi, ce n’est pas moi qui ai introduit cette disposition, laquelle existe dans notre code depuis 1992, sans que celui dont vous parlez l’ait jamais contestée.
Sur la demande d’extradition de Hama Amadou, le Chef de l’Etat a souligné que « C’est exact, et cela est parfaitement logique dans le cadre d’un État de droit. Tous les pays au monde dont les citoyens ont été condamnés par leur propre justice pour des délits de droit commun formulent ce genre de requêtes. Cette démarche a également été faite auprès du Nigeria et de tous les pays avec lesquels le Niger a des accords d’extradition ».
Evoquant sa présidence en exercice de la Cedeao, le Président de la République a rappelé qu’il a trois priorités : « la création d’une monnaie unique, l’eco, dès 2020, le développement des infrastructures et le renforcement de la démocratie ».
Pour la création d’une monnaie unique, l’eco, dès 2020, « J’y crois fermement. Les critères de convergence nécessaires ont été définis et adoptés par les États membres, lesquels se sont engagés à les remplir dans les meilleurs délais. Des décisions précises ont été prises en ce qui concerne le régime de change, qui sera flexible et indexé sur un panier de monnaies. L’eco sera la monnaie solide et digne de confiance de la zone économique la mieux intégrée du continent et où l’inflation sera maîtrisée.
La création de l’eco signifie la sortie du franc CFA. Cette monnaie sera, je le répète, liée à un panier de monnaies, constitué des principales devises – euro, dollar, yuan… avec lesquelles nous commerçons. Ce ne sera donc pas le CFA sous un autre nom, ainsi que je l’entends parfois.
Ce ne sera pas non plus une réforme contre la France, mais une réforme pour le développement de l’Afrique de l’Ouest, pour les investissements, pour la création d’emplois sur le continent et donc dans l’intérêt de tous. J’ajoute que toutes ces décisions ont été prises à l’unanimité des 15 États membres de la Cedeao, francophones et anglophones ».
Concernant le lutte contre le terrorisme, l’insécurité et la présence des bases étrangères au Niger, le Président Issoufou Mahamadou a notamment estimé que « Le Niger est plus que jamais en première ligne sur le front de la lutte contre le jihadisme armé. Quels sont l’état et le degré de cette menace? Rappelons tout d’abord deux évidence s. Premièrement: ces menaces planaient sur notre région depuis les années 1990, qui ont été marquées par le développement des bandes terroristes en Algérie, et par la création, il y a dix ans, du groupe Boko Haram au Nigeria.
Deuxièmement: elles ont été considérablement amplifiées par l’effondrement de la Libye à partir de 2011, et je ne répéterai jamais assez à quel point le renversement de Kadhafi par les Occidentaux fut une lourde erreur. Désormais, la ligne de front tend à descendre vers le sud, comme chacun le voit. De la Guinée au Bénin, aucun pays côtier n’est plus à l’abri. Les chefs d’État de la Cedeao sont évidemment conscients de cette dégradation sécuritaire, d’où notre décision de tenir un sommet extraordinaire d’urgence sur ce thème, le 14 septembre à Ouagadougou, au Burkina. La base aérienne américaine d’Agadez, dans le nord du Niger.
Le Niger est engagé sur trois fronts: la zone du lac Tchad avec Boko Haram, la frontière nord avec la Libye, où l’État n’existe plus, et la frontière ouest avec la persistance côté malien d’organisations terroristes et criminelles. Nous y faisons face avec nos moyens et l’aide de nos alliés. Cela dit, il est important de noter que le jihadisme armé ne dispose d’aucune base permanente au Niger: il s’agit pour l’essentiel d’une menace exogène venue du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso.
Le statut de Kidal, au Mali ,nous pose problème. Kidal est un sanctuaire pour les terroristes, et ceux qui nous attaquent s’y replient souvent. Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits.
Ce n’est pas envisageable de dialoguer ou négocier avec les terroristes. On ne négocie pas avec des terroristes, et ces derniers, d’ailleurs, ne cherchent pas à le faire. Il faut donc continuer le combat sur deux axes: la sécurité et le développement. Les deux sont liés. Au Mali et au Burkina, les groupes jihadistes s’efforcent d’exacerber des tensions communautaires préexistantes entre éleveurs et agriculteurs. Les terroristes veulent transformer la lutte que nous menons contre eux en conflit ethnique. C’est un piège dans lequel nous ne tomberons pas.
Boko Haram
La résilience et la capacité d’adaptation du groupe Boko Haram m’ont d’ailleurs surpris. Je pensais qu’avec la force mixte quadripartite mise en place il y a trois ans pour le combattre nous allions en finir rapidement. Nous devons donc affiner notre stratégie et surtout ne pas sous estimer Boko Haram. Certes, beaucoup de jeunes Nigériens qui avaient rejoint ses rangs se sont depuis repentis: nous avons ouvert pour eux des centres de déradicalisation et de formation professionnelle qui donnent de bons résultats. Mais même si la cause à l’origine de Boko Haram s’estompe peu à peu, son effet persiste. Il y a un décalage temporel entre l’une et l’autre, comme dans le cas de Daesh au Moyen Orient. En physique, on appelle cela l’hystérésis.
Bases françaises et américaines au Niger
Nous avons un ennemi commun face auquel nous mutualisons nos forces. Et les armées que vous citez ne sont pas des armées étrangères, mais des armées alliées. Il ne faut jamais perdre de vue que la menace est d’ordre stratégique. Son but est de détruire nos États. Ceux qui, ici ou ailleurs dans la région, dénoncent ce qu’ils appellent à tort des forces d’occupation étrangères ne manifestent jamais pour dénoncer les terroristes, étrangers eux aussi, qui nous agressent.
Ce paradoxe mérite d’être souligné. En réalité, je pense qu’il ne faut pas moins mais plus d’engagement de la part de nos alliés. L’État islamique en Irak et en Syrie n’a été vaincu que parce qu’une coalition internationale, autrement puissante que celle qui opère à nos côtés, a été déployée pendant près de quatre ans. Je demande d’ailleurs que ce type de coalition soit dupliqué ici, au Sahel.
Situation en Libye
Il n’y en a qu’une seule solution en Libye: la restauration de l’État. C’est la priorité absolue. Les élections, inorganisables dans le contexte actuel, viendront après. Il n’est pas sérieux de prôner l’inverse, à moins d’accroître encore le chaos. Entre le maréchal Haftar et le Premier ministre Al-Sarraj, je ne prends pas parti. Celui qui sera en mesure de restaurer l’État aura mon soutien.