Lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme, à la mi-septembre à Genève, Fatimatou Hima, membre de la Plateforme paysanne du Niger, de Via Campesina, et soutenue par le CETIM, a dénoncé le poids que font peser les sanctions économiques imposées par la communauté internationale sur la population nigérienne, notamment dans les zones rurales.
Depuis de nombreuses années, le Centre Europe – tiers monde (CETIM) défend une position ferme contre l’usage à des fins politiques de «mesures coercitives» exercé par des Etats puissants sur la scène internationale. Ces Etats exploitent leur position dominante pour affaiblir l’économie des pays ciblés afin de provoquer le renversement ou la déstabilisation de leurs gouvernements, lorsque ces derniers refusent de se plier à la volonté des premiers. Ces mesures coercitives unilatérales, prises en contradiction flagrante avec le corpus des droits humains – y compris la Charte des Nations Unies, les Conventions de Genève de 1949 et leurs deux protocoles –, ont de graves conséquences sur pratiquement tous les droits de l’homme. En particulier les droits économiques, sociaux et culturels.
Dans un contexte historique régional complexe, marqué par des luttes pour l’indépendance et la souveraineté dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, les mesures coercitives unilatérales imposées par les Etats puissants sont perçues comme un héritage persistant de l’époque coloniale. Etant donné leurs impacts néfastes sur les droits élémentaires des populations concernées, ces pratiques ne peuvent être passées sous silence et nécessitent un suivi au sein des Nations Unies.
LE CETIM EN BREF
Le centre Europe – tiers monde est un centre de recherche et de publication sur les mécanismes à l’origine du mal-développement, créé en 1970 à Genève. Il s’engage en faveur de la justice sociale et des relations Nord-Sud équitables. Disposant d’un statut consultatif auprès de l’ONU, le CETIM permet également aux mouvements sociaux du Sud d’accéder aux mécanismes de protection des droits humains de cette institution. www.cetim.ch
C’est ce que le CETIM a fait lors d’un «panel de discussion biennal sur les mesures coercitives unilatérales et les droits de l’homme» qui s’est tenu à Genève à la mi-septembre, lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, en invitant Mme Fatimatou Hima, représentante de la Plateforme paysanne du Niger et membre du mouvement international Via Campesina, à intervenir pour mettre en lumière les effets néfastes sur les Nigérien·nes des mesures coercitives unilatérales prises par la Cedeao1, la Banque mondiale et l’Union européenne, à la suite du changement de pouvoir dans le pays le 26 juillet 20232.
Dans sa déclaration, Mme Hima a souligné les effets dévastateurs des sanctions économiques et financières sur la population, en particulier pour les paysan·nes. Hausse des prix alimentaires3, réduction de l’accès aux intrants agricoles, diminution de la productivité due à un accès limité à l’électricité, suspension de l’aide au développement… Les sanctions touchent de plein fouet les communautés rurales.
Son témoignage contredit les allégations de l’Union européenne (UE), qui a déclaré lors du panel que «les produits agricoles et alimentaires, y compris les céréales et les engrais, n’étaient jamais ciblés par nos sanctions» – reportant ainsi la responsabilité de la menace pour la sécurité alimentaire sur la Russie. De fait, les exemptions européennes concernant des biens essentiels n’empêchent pas les obstacles concrets à leur transfert, qui découlent d’une application stricte du régime de sanctions opérée par les banques, assurances, transporteurs, etc.
L’UE prétend également qu’elle est «l’un des principaux donateurs d’aide extérieure dans le monde, y compris dans les pays où des sanctions sont en place.» Pourtant, comme l’a relevé Mme Hima, l’UE s’est empressée, cinq jours après le changement de pouvoir à Niamey, de suspendre son aide au développement, en particulier l’aide cruciale destinée à la paysannerie.
De surcroît, la représentante de la Plateforme paysanne a dénoncé les coupures d’électricité imputées aux sanctions imposées par la Cedeao, soutenues par la France et l’UE, qui posent non seulement problème à la productivité agricole et au système de santé du pays, mais confrontent aussi les organisations humanitaires telles que Médecins sans frontières (MSF) ou Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) à de sévères obstacles dans l’exercice de leurs fonctions. Selon l’Unicef, la fermeture des frontières a mené au blocage de «deux conteneurs (…) à la frontière du Bénin contenant des équipements essentiels de la chaîne du froid, 19 conteneurs dans le port de Cotonou contenant des équipements de vaccination et de la chaîne du froid et 29 conteneurs destinés au Niger contenant des fournitures alimentaires thérapeutiques et des seringues.» De son côté, MSF a déclaré que 70% de l’électricité habituellement importée du Nigeria manque et force les établissements sanitaires qui le peuvent à fonctionner à l’aide de groupes électrogènes, ce qui menace fortement la stabilité du système de santé.
Sanctions à la croisée des changements géopolitiques
La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales, Mme Alena Douhan, a quant à elle réitéré lors du panel l’évidence de l’impact des sanctions sur un large éventail de droits humains fondamentaux. Mme Douhan a également relevé l’importance de développer un outil de surveillance et d’évaluation des sanctions et de leurs effets. Suite à quoi le représentant de l’UE a affirmé que le panel n’était pas le lieu approprié pour aborder la question des sanctions, ceci bien évidemment dans le but d’éviter ce débat dans le cadre du Conseil des droits de l’homme.
Afin de comprendre ce qui se joue maintenant au Niger, il est essentiel de contextualiser les mesures coercitives exercées à l’encontre du pays et de sa population à la lumière des bouleversements géopolitiques. Cela concerne en particulier l’affaiblissement progressif de la présence occidentale, notamment française, dans le Sahel. Depuis des années, on assiste à un rejet croissant du néocolonialisme occidental par les peuples africains qui remet en question les intérêts géopolitiques et géostratégiques des puissances néocoloniales alignés aux intérêts économiques et commerciaux de leurs entreprises transnationales.
Le Niger, situé parmi les 14 pays d’Afrique de l’Ouest, constitue un élément essentiel de la zone franc CFA. Dans cette région, malgré l’obtention d’une indépendance politique il y a plus de cinquante ans, l’emprise néocoloniale de la France persiste en lui assurant des avantages économiques considérables, notamment à travers la gestion de la politique monétaire (le Trésor français détient jusqu’à 50% des réserves de change). Ce maintien du contrôle quasi absolu sur les économies nationales favorise les entreprises françaises présentes dans la zone CFA au détriment de la souveraineté nationale et populaire des pays concernés.4
L’histoire nous révèle de façon éloquente que toute tentative visant à remettre en question cette structure politico-économique établie dans la période suivant les indépendances se heurte invariablement à une opposition frontale de la part des puissances néocoloniales étrangères et de leurs collaborateurs locaux. Toute initiative sociale ou tout leader africain qui a osé défendre la souveraineté populaire et s’opposer au néocolonialisme a été rapidement écarté, soumis à des mesures de répression, voire assassiné.
Dans ce contexte, il devient clair que la réaction violente de la France, avec le soutien de ses alliés, n’est en aucun cas surprenante, compte tenu des antécédents historiques.
Cependant, il est important de noter que notre monde est en train de se transformer en une mosaïque multipolaire, tandis que la conscience africaine s’affirme de plus en plus quant à la nécessité d’acquérir une véritable et complète indépendance. Cette évolution se manifeste par l’éviction progressive des forces françaises de certains pays ouest africains avec, en arrière-plan, un gouvernement français qui peine à comprendre les causes profondes de ce rejet.
Vers un nouveau chapitre d’indépendance?
Les récents bouleversements offrent au Niger l’opportunité de se défaire de l’emprise étrangère qui tente d’étouffer le pays sous des sanctions, tout en conservant ses frontières ouvertes avec ses voisins, tels que le Burkina Faso et le Mali qui ont fermement rejeté les politiques d’ingérence. Si le Niger avait été totalement isolé, la crise actuelle aurait été bien plus dévastatrice que ce que nous observons actuellement.
Par ailleurs, les réalignements régionaux renforcent la capacité du Niger à faire face à une éventuelle intervention militaire étrangère. En effet, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont conclu un pacte de défense mutuelle, créant ainsi l’«Alliance des Etats du Sahel». Le représentant du Mali aux Nations Unies s’est même fait le porte-parole du gouvernement militaire nigérien depuis la tribune de l’Assemblée générale, soulignant avec force le rôle perturbateur des intrusions étrangères dans la région, ainsi que les conséquences chaotiques d’une intervention militaire [un temps envisagée par la Cedeao]. Un soutien mutuel primordial, en particulier pour les populations rurales de ces pays qui ont à maintes reprises réaffirmé la nécessité d’une solidarité paysanne internationale en faveur de la promotion de la paix.
Serions-nous actuellement les témoins de l’émergence d’un vaste mouvement de libération à l’échelle du continent africain? Il est peut-être prématuré de l’affirmer avec certitude, mais il est indubitablement temps de mettre un terme à toute forme d’ingérence. Il est également temps de déconstruire l’architecture néocoloniale – source d’inégalités et de souffrances –et de reconnaître le droit de chaque peuple à disposer de lui-même, comme de choisir sa propre voie de développement.
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