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Le marché du pain à Bamako : C’EST LA QUALITÉ QUI IMPORTE LE MOINS

Produits amaigris, farine de médiocre qualité, ouvriers sans qualification, l’univers de la fabrication du pain accumule les anomalies

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Incontournable. Voilà ce qu’est le pain aujourd’hui. Il est présent à presque toute heure dans le quotidien du consommateur malien depuis le petit déjeuner des lève-tôt jusqu’au sandwich des noctambules. Indice de la place qu’il a prise dans notre vie, la boulangerie occupe aujourd’hui le premier rang des activités industrielles dans notre pays avec plus de 500 unités, dont environ 300 dans la seule ville de Bamako. Fait paradoxal et peut-être unique, la consommation qui est en constante progression a été encouragée par la pure nécessité, et non pas par la qualité du produit. Car, et le constat est général, cette qualité laisse largement à désirer, tant les normes de fabrication sont foulées au pied.
Croûte d’une incroyable dureté, mie parfois quasiment absente, la miche ou la baguette s’accepte par le consommateur faute de mieux. Un boulanger reconnaît sous le couvert de l’anonymat l’inobservation des normes de fabrication. « Pour se faire un peu plus de bénéfices, certains d’entre nous trichent sur le poids autorisé. Ils jonglent avec la quantité de farine utilisée à la fabrication du pain. Cela est contraire à des engagements pris en 2008 avec le gouvernement pour éviter une hausse sur le prix du pain », admet-il.
Ce fameux accord conclu entre les autorités et les boulangers dans le contexte d’une flambée mondiale sur le prix de la farine a donné naissance à un arrangement des plus simples : les seconds s’engageaient à ne pas augmenter le prix de leurs produits, les premières acceptaient que le poids de ceux-ci soit réduit.
Il avait été ainsi convenu de maintenir les prix de la baguette et de la miche de pain à respectivement 125 et 275 Fcfa en gros à la boulangerie ainsi qu’à 150 et 300 Fcfa aux consommateurs. En contrepartie, les boulangers pouvaient procéder à la diminution de la quantité de farine utilisée. Celle-ci passait de 200 à 150 grammes pour la baguette et de 400 à 300 grammes pour la miche de pain. Cet arrangement est théoriquement toujours en vigueur. Mais certains boulangers ne le respectent pas. Ils invoquent comme motif de l’ « l’amaigrissement » pratiqué sur leurs produits le fait que le poids marqué sur le sac de farine vendu sur le marché est fréquemment inexact. Selon notre interlocuteur, il arrive que certains sacs de 50 kilogrammes contiennent 2 à 3 kilos de moins. Pour s’en sortir, le boulanger est donc obligé de rogner sur le poids de ses produits.
UNE VIEILLE QUERELLE. L’excuse vaut ce qu’elle vaut. Mais elle ne tient pas. Une récente mission de la Direction nationale du commerce et de la concurrence (DNCC), réalisée auprès de certaines boulangeries de la capitale, a permis de constater par endroits des dépassements de poids du pain. Le chef de cette mission, Drissa Daou, assure que ces dépassements vont de 10 à 15 grammes pour la baguette et 20 à 30 grammes pour la miche. Pour lui, de nombreux boulangers sont moins regardants sur le respect strict des poids depuis qu’est intervenue la baisse du prix du sac de la farine sur le marché. Il fait remarquer qu’il y a sept ans l’entente entre le gouvernement et les boulangers s’est conclue alors que le prix du sac de farine variait entre 21.000 et 22.500 Fcfa. Depuis, les cours du produit ont chuté et le sac est désormais vendu entre 17.500 et 19.000 Fcfa, soit une diminution de coût oscillant entre 2000 et 4000 Fcfa.
Objectivement, ceux qui proposent des produits « amaigris » n’ont donc aucune excuse pour atténuer leur triche. De même, sur la saveur médiocre du pain proposé, certaines boulangeries sont prises en défaut de professionnalisme. Car le problème va bien au-delà du facteur que constitue la qualité discutable de la farine. Facteur qui alimente d’ailleurs une vieille querelle entre boulangers et meuniers. Selon nos interlocuteurs, à l’exception d’une minoterie, toutes les autres importent du vieux blé d’Europe ou d’Amérique pour en faire de la farine. Or, le meilleur boulanger ne peut faire du pain de qualité qu’avec de la bonne farine, explique Fama Coulibaly, secrétaire permanent de la Commission nationale d’autorisation de mise sur le marché des denrées alimentaires à l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments (ANSA). « Pour faire du bon pain, il faut primo, une bonne qualité de farine ; secundo, faire maîtriser parfaitement le protocole de fabrication du pain par les ouvriers ; et tertio, disposer d’un bon plateau technique, car le temps et la température de la cuisson sont aussi essentiels que la maîtrise de l’outil de production », explique-t-il.
Fama Coulibaly ajoute que chaque meunier doit avoir son protocole de fabrication, déjà expérimenté dans son laboratoire d’analyse et de fabrication de pain. C’est le cas du Groupe Achcar qui, en plus de son activité traditionnelle de meunier, a ouvert une boulangerie et un centre de formation aux métiers de boulangerie. Ce centre accueille d’ailleurs les clients du groupe à qui on apprend comment faire du bon pain avec la farine que le meunier écoule sur le marché, nous indique Sidi Danioko, le responsable de la communication du groupe. Un autre fournisseur, la SOADF, a suivi la même démarche en ouvrant à côté de sa boulangerie un centre de formation dans le métier de la pâtisserie et de la boulangerie.
CONSACRER LES PLUS MÉRITANTS. La formation des ouvriers est donc indispensable à la bonne qualité du pain (à condition que celle-ci ne soit pas irrémédiablement compromise par une farine médiocre). Cette vérité, de nombreuses boulangeries semblent l’ignorer. Elles ne se donnent pas la peine de former leurs employés sur les protocoles de fabrication du pain des différents moulins de la place, à plus forte raison sur ceux des farines importées. Dans leur personnel où il n’y a pas un seul ouvrier qualifié, il serait inutile de chercher des cadres spécialisés en boulangerie. Ces unités, qui se dédouanent en invoquant leur manque de moyens, fournissent pourtant plus de 60% des pains mis sur le marché.
La mauvaise qualité du pain, produit de très grande consommation, préoccupe tout naturellement les associations concernées. Badou Samounou du Regroupement pour la défense des consommateurs du Mali (REDECOMA) rappelle qu’à une certaine époque, la Jeune chambre internationale organisait un concours, intitulé « Pain d’or » qui mettait en compétition les boulangeries. Et surtout qui consacrait publiquement les plus méritants. En plus de cette initiative citoyenne, la direction nationale du Commerce et de la concurrence organisait des descentes sur le terrain en compagnie des associations de défense des consommateurs. Objectif : vérifier les conditions de fabrication du pain. « Mais ces actions qui visaient à encourager le professionnalisme dans le secteur sont abandonnées de nos jours. Et les effets de ces initiatives conjuguées ne sont plus perceptibles dans le comportement actuel des boulangers », souligne notre interlocuteur qui craint un relâchement du côté des autorités, trop occupées à gérer la crise politico-sécuritaire. A la DNCC, on jure que tel n’est pas le cas.
Fama Coulibaly, lui, préconise comme solution une redynamisation du cadre de concertation de la filière pain. A son avis, cela permettrait aux différents acteurs de s’accorder sur une entente qui préservera tout autant les intérêts des boulangers que la qualité du pain attendue des consommateurs. Mais la dégradation de la situation générale est si accentuée que l’on peut s’interroger de savoir si une concertation suffira à amener le retour à plus d’exigence professionnelle.

A. O. DIALLO

source : L Essor

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