Plus d’un an après la signature des accords d’Alger qui devaient sceller la réconciliation et rétablir la stabilité au Mali, le pays demeure le théâtre d’intenses affrontements communautaires.
L’apparition de nouveaux groupes rebelles jette la lumière sur les divisions qui déchirent les rebelles du nord tandis que les mouvements peuls prennent une ampleur sans précédant au centre du pays. Une atomisation des revendications territoriales qui brouille la lisibilité du paysage politique malien et freine l’application des accords de paix.
Touaregs contre Touaregs
Fief des rebelles du nord depuis le début de la crise, la ville de Kidal et sa région sont l’épicentre de vives tensions renvoyant dos à dos, les forces irrédentistes de la CMA qui rassemble les groupes armés du MNLA, du MAA et du HCUA, et la milice « Gatia » dirigée par le général touareg Elhaj Gamou et composée des combattants touaregs Imghads ralliés à l’autorité de Bamako.
Les deux parties continuent de s’affronter régulièrement pour le contrôle de ce territoire sous haute tension. Au point de réduire à de simples voeux pieux les engagements pris le 15 septembre par les représentants de la CMA et du Gatia lors d’une réunion près de Gao pour “faciliter l’application de l’accord dit d’Alger dans leurs zones respectives”. “Il suffit d’une étincelle, d’un geste déplacé pour que ce genre d’accord vole en éclat” met en garde un chef de tribu touareg. Pour preuve, face aux incursions répétées du Gatia dans la zone de Kidal, Alghabass Ag Intallah, leader du goupe HCUA qui réunit les reliquats du groupe terroriste Ansar Eddine dirigé par Iyad Ag Ghaly, a menacé d’appeler à prendre les armes début septembre. “Si le gouvernement malien ne prend pas ses responsabilités en rappelant à l’ordre ses militaires déguisés en miliciens (…) notre réplique sera à la hauteur de l’affront et même peut être disproportionnée” avait-il déclaré.
En désaccord sur la teneur des négociations avec les autorités maliennes, l’opposition entre les mouvements touaregs anti et pro Bamako s’articule également sur d’anciennes divisions claniques. “Un problème de gestion tribale persiste entre les Ifoghas de la CMA et les Imghads du Gatia, notamment autour de Kidal” explique un universitaire qui requiert l’anonymat. Des initiatives, encore à l’état embryonnaire, ont récemment été lancées pour désamorcer les tensions. Le chef de la tribu Kel Ansar – restée plus que les autre à l’écart des conflits – Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmed, a notamment réuni début septembre les parties belligérantes devant les deux plus grands imams du Mali, Ousmane Haïdara et Mahmoud Dicko convertis en faiseurs de paix. “Ils ont énormément d’influence auprès des maliens et des politiques. Il faut les inclure dans le jeu des négociations et qu’ils incitent les adversaires à dialoguer” a déclaré Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmed.
Le MNLA désavoué
A cette opposition entre touaregs alimentée à dessein par le pouvoir de Bamako s’ajoutent d’importantes lignes de fractures qui divisent le mouvement rebelle, tout particulièrement le MNLA. Mi avril déjà, plusieurs hommes armés de la tribu doussahak installée à Ménaka dans la région de Gao avaient annoncé la création d’un nouveau mouvement sous le leadership de Moussa Ag Acharatoumane. Membre fondateur du MNLA et bras droit de son secrétaire général Bilal Ag Acherif, ce jeune combattant touareg, s’était désolidarisé de ce mouvement qu’il accuse d’avoir dénaturé la lutte pour l’Azawad. Il dénonce par ailleurs, la sureprésentation des touaregs Ifoghas au sein du mouvement. Consommé fin août après une réunion organisée à Tin-Fadimata, au nord de Menaka, avec plusieurs figures de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), le divorce a donné naissance au Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) dont le chef militaire, Assalat Ag Haby n’est autre qu’un ancien frère d’arme d’Elhaj Gamou et d’Iyad Ag Ghali auprès de qui il a notamment combattu en Libye dans l’armée de Kadhafi.
Longtemps soutenu par l’armée française, le MNLA ne fait donc plus l’unanimité dans ses propres rangs. « Plusieurs pontes du mouvement cherchent avant tout à préserver leurs propres intérêts ou celui de leur clan” confie un chef touareg. Autant de fractures qui, à Kidal, génèrent d’importantes flambées de violences entre groupes armés sur fond de lutte pour le contrôle des routes de la drogue. “Chacun veut jouer sa carte. La cause indépendantiste est de plus en plus noyée derrière d’autres intérêts, notamment économiques” confie un militant touareg. Une aubaine pour les terroristes d’AQMI et d’Ansar Eddine qui trouvent dans ce désordre ambiant un terrain favorable à leur longévité.
Mosaïque peule
Autre source d’inquiétude, l’émiettement de la rébellion touarègue au nord trouve désormais son pendant au centre du pays. Dans la région de Mopti et de Ségou, des communautés peules forment leurs propres milices d’auto défense pour contrer les attaques de groupes armés d’ethnie bambara et mener des raids contre eux. Une opposition qui tire ses origines d’anciennes rivalités tribales opposant cultivateurs sédentaires (majoritairement bambaras) et éleveurs nomades (majoritairement peuls) en compétition pour l’utilisation des terres dans cette région. Ces dix derniers mois, la recrudescence des affrontements sanglants entre ces communautés ont accéléré la multiplication des groupements peuls qui accusent par ailleurs l’armée malienne de soutenir les milices bambaras. Dans un manifeste publié le 19 août dernier, Aly Nouhoun Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale devenu le porte parole de la coordination des associations peules, a notamment dénoncé les “persécutions orientées contre des peuls” et les “amalgames” des forces armées maliennes qui assimilent systématiquement les peuls à des terroristes. La création récente du Front de libération du Macina (FLM), un groupe terroriste proche d’Ansar Eddine composé de combattants majoritairement peuls a jeté de l’huile sur le feu en déclenchant une répression brutale et aveugle de l’armée malienne. Depuis, d’autres mouvements militaires non terroristes ont vu le jour tels que l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peul et la restauration de la justice au Mali. Ce dernier a notamment mené une offensive contre des milices bambara à Karéri le 27 aout causant la mort d’une dizaine de personnes. Face à ces violences, des centaines de civils de cette ethnie ont pris la route vers le sud du pays. Plusieurs milliers de peuls ont quant à eux été contraints de fuir la région de Mopti en direction de la Mauritanie voisine. Une véritable poudrière pour l’Etat malien qui paye aujourd’hui au prix fort l’abandon de pans entiers de son territoire et une stratégie mortifère déployée depuis des années consistant à alimenter les divisions locales pour asseoir son autorité. Autant de foyers de contestations au bord de l’implosion contenue tant bien que mal avec à l’appui des soldats de Barkhane et de la Minusma de plus en plus impopulaires auprès des populations maliennes.
Source: pointschauds