« Les mêmes causes sont là et, comme on dit les mêmes causes produisent les mêmes effets. La situation aujourd’hui est la même que celle qui prévalait à la veille des évènements de mars 1991, et même pire. Injustice sociale, corruption et attaques contre les libertés. On dirait que nous n’avons pas tiré les leçons du passé ». Le propos de notre interlocuteur, militant associatif, résume l’opinion de nombreux Maliens, qui ne cachent guère leur pessimisme. Les quelques 25 années d’exercice démocratique, obtenues par le sang des martyrs du 22 mars 1991, n’ont pas réussi à mettre le Mali à l’abri du 22 mars 2012. Que va-t-il advenir au pays dont le peuple, en ce 22 mars 2018, se pose des questions sur son vivre-ensemble, ses valeurs communes et cette démocratie, dont les indicateurs ne sont plus au beau fixe ?
« Nul ne peut prédire l’avenir », répond Mariam Guindo. La jeune femme est commerçante à Kalaban Coura et reprend la rhétorique désormais commune à tous les « grins » de Bamako et d’ailleurs au Mali. « La situation est pire qu’avant la démocratie. Mes aînés ont lutté lors des évènements de 1991. Personne ne pouvait imaginer que, des années après, le Mali serait dans une situation pire que du temps de Moussa Traoré. Je comprends ceux qui regrettent cette période, parce que, au moins, les gens avaient peur de voler et de l’injustice », poursuit-elle. Ambroise Dakouo, spécialiste en gouvernance et coordinateur au Mali de l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA) n’est pas tout à fait du même avis. « Les aspirations des années 90, j’irai même plus loin, de 80, se sont estompées, parce qu’entre-temps la pratique de la gouvernance à l’ère de la démocratie en a fait déchanter plus d’un ». Mais il faut pousser plus loin la réflexion et s’interroger sur la situation actuelle, qui est le résultat d’une série de facteurs. « Nous n’avons pas dépassé l’euphorie des lendemains de la chute de Moussa et n’avons pas pu concrétiser nos rêves de démocratie. Le résultat est ce que nous voyons depuis des années et qui a culminé avec le malheureux coup d’État du 22 mars 2012 », poursuit-il.
Journées noires Le 22 mars 1991, Ndiaye Ba était dans la rue avec ses camarades. « C’était difficile. Cette journée est pour moi inoubliable. Ce que je retiens surtout du 22 mars 1991, ce sont les morts. Je me souviens que les jeunes manifestants s’étaient réfugiés dans l’immeuble Sahel Vert… Quelqu’un y a mis le feu et ils ont été brûlés vifs. C’est mon pire souvenir ». La lutte des jeunes maliens, qui sont descendus dans la rue pour réclamer leurs droits et libertés, n’a pas été aussi « facile » que les combats menés aujourd’hui, de nouveau par la jeunesse. « A l’époque, il n’y avait pas de portable, pas de possibilités de communiquer entre nous. On a donc tous été alertés par le bouche-à-oreille et avons vécu cela avec des gens connus aujourd’hui comme Hamidou Diabaté, Me Ibrahim Berthé ou encore Modibo Kadjoké. En 2012, ce sont les mêmes ou presque qui se sont levés pour défendre les valeurs républicaines ». L’évolution des communications, c’est ce qui fait la différence entre mars 1991 et mars 2012. Amara Bathily est commerçant et activiste. Il se fait connaitre sur les réseaux sociaux le 22 mars 2012, en dénonçant vigoureusement, voire violemment, le coup de force qui venait d’être acté au petit matin par les membres du Comité national du redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE, les putschistes). « Mon combat avait commencé en fait en 2011, après les premières allégations sur le Président ATT à l’époque. Il y avait déjà de l’amalgame, des agressions contre les Touareg et les personnes « peau rouge ». J’ai commencé à en parler sur les réseaux sociaux et à alerter des gens qui étaient à l’extérieur, pour faire comprendre qu’il fallait arrêter d’agresser les Touareg. Le 22 mars, j’ai fait une publication dénonçant le putsch. Après, on a continué à en parler, à défendre le Président ATT et à tenter de rétablir la vérité. On a été menacés de mort, mais, heureusement, on avait des proches dans leurs rangs qui nous avertissaient ».
Le 22 mars 2012, alors que le Mali se réveille d’une nuit mouvementée et dans l’incertitude, nombreux sont ceux qui applaudissent les auteurs du coup d’État. « On en avait besoin, les militaires vont remettre les pendules à l’heure ! » se réjouissait un internaute. Les manifestations de soutien se multiplient. Hamadoun Traoré, Secrétaire général du bureau de l’AEEM à l’époque, n’est pas de ceux-là. « Le 21, c’était une mutinerie. Je ne m’en suis pas inquiété, je pensais qu’on allait trouver une solution. Depuis environ un mois, la situation dans le pays n’était pas stable. Le rôle que nous était de faire tout afin qu’il n’y ait pas d’instabilité à Bamako. Cela aurait empêché les autorités de se concentrer sur ce qui se passait dans le Nord du pays », se souvient-il. « Vers 2 heures du matin, quelqu’un m’a réveillé pour m’annoncer un coup d’État, je n’y croyais pas, tout le monde disait que ce n’était pas possible ». Ce sentiment d’incrédulité, Ndiaye Ba l’a lui aussi ressenti. « Quand j’ai vu ce qui s’est passé dans la nuit du 21 au 22, je me suis souvenu du prix que nous avions payé… Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait encore un coup d’État au Mali. Mais il était hors de question de laisser la situation perdurer. Nous avons donc créé, avec d’autres amis et personnes engagées, le FDR ». Kadiatou Sangaré, militante associative, s’est rapidement mobilisée. « Les coups d’État n’ont jamais porté chance au Mali. En 2012, la situation était d’autant plus dangereuse que c’était des hommes de rang qui avaient mené cette action, sans plan, sans savoir où aller. Si on les avait laissé faire, ça aurait été du pilotage à vue. Je n’ai jamais compris leurs motivations, d’ailleurs. On était à quelques semaines des élections et ils ont ramené le pays dix ans en arrière ».
Tirer les leçons « 2012 a été un réveil brutal » reconnait notre expert en gouvernance. « C’était un mal nécessaire, car ces évènements nous ont montré qu’on s’était fourvoyé en pensant les discours et les volontés proclamées devaient être performants. On n’est pas passé à la réalisation du discours par des actions concrètes », assure-t-il. Autre facteur, « entre 1991 et 2012, on observe que c’est la même élite politique, au cœur du système, qui s’enrichit, accapare le pouvoir, alors que la population est de plus en plus pauvre. Au-delà de tout cela, on n’assiste pas à une véritable évolution économique. Si au plan macro les chiffres sont au vert, cela ne se traduit pas dans le quotidien des populations, de plus en plus vulnérables. C’est aussi un recul sur le plan des libertés, que ce soit la liberté de la presse ou les libertés individuelles ». « Si on continue dans cette dynamique, en camouflant les vraies problématiques et en pensant que ce sont des réformettes ou de petites solutions juxtaposées qui vont être la solution, dans quelques années on aura une crise encore plus grave », prédit un observateur. Rompre le cercle vicieux et avancer ? C’est l’objectif de nombreux acteurs et regroupements qui initient, ces derniers mois, de nombreuses actions. Conférences et colloques se multiplient, avec des actions de sensibilisation pour « réparer notre socle commun », comme l’explique Kadiatou Sangaré, membre de plusieurs associations créées au lendemain du coup d’état. « L’avenir dépend de nous. Il nous faut nous remettre au travail, nous retrouver autour de nos valeurs communes, choisir les bonnes personnes pour nous conduire. Le changement que nous voulons, nous devons le matérialiser en luttant contre l’incivisme et le manque de patriotisme. Si on s’y met tous, on peut y arriver ». Pour que les Maliens se retrouvent, Ndiaye Ba a la solution. « Pour nous sortir de cette situation aujourd’hui, il faut aller aux élections. Le plus rapidement, pour choisir quelqu’un de fédérateur, qui mettra tout le monde ensemble pour travailler. Après les élections, on devra organiser une conférence nationale de réconciliation et donner la parole au peuple, qui veille et ne se laissera plus faire », conclut-il…
Journal du mali