Entre fascination érotique selon le regard masculin, féminité idéale, revendication anti-maigreur, promotion commerciale, ou même message théologique, les fesses, qu’elles soient féminines ou masculines, ont servi de support à bien des messages à travers les siècles.
La femme préhistorique au postérieur imposant
Parmi les plus anciennes sculptures de l’histoire de l’humanité, on compte des figures féminines, produites au Paléolithique supérieur, il y a plus de 20 000 ans. Un certain nombre d’entre elles présentent des formes arrondies et des fesses imposantes, à l’image de la statuette dite « Vénus » de Lespugue.
Ces œuvres correspondaient-elles à un idéal féminin de nos ancêtres préhistoriques ? Leurs auteurs étaient-ils des hommes ou des femmes, ou bien les deux ?
Il est malheureusement difficile de répondre à ces questions, car les artistes de la Préhistoire n’ont évidemment laissé aucun texte ni commentaire au sujet de leurs créations.
De Néfertiti à Nicki Minaj
En Égypte, au XIVe siècle av. J.-C., ce sont les représentations de la reine Néfertiti qui témoignent, à leur tour, de l’importance accordée dans l’art aux fessiers féminins imposants. Une statue, aujourd’hui au Louvre, nous montre la pulpeuse souveraine, dotée d’une taille très svelte qui contraste fortement avec la largeur de ses hanches. L’œuvre traduit le rôle érotique officiel de Néfertiti qui doit plaire à son époux, le pharaon Akhenaton, afin qu’il ait l’envie de faire l’amour avec elle et soit ainsi en mesure de jouer son rôle procréateur.
Selon les canons du moment, la reine est l’incarnation de la femme attirante, dont le ventre, bien installé sur un puissant fessier, va être capable de mener à terme de nombreuses grossesses.
On retrouve cet idéal féminin au nord de l’Iran, entre le IXe et le VIIe av. J.-C., comme en témoignent les vases en forme de femmes aux hanches très marquées, découverts à Kaluraz, dont un bel exemplaire est exposé au Louvre.
Cette fascination millénaire pour les grosses fesses trouve toujours ses disciples aujourd’hui, comme en témoignent les clips de la rappeuse Nicki Minaj, adepte du twerk, par exemple avec le clip de la chanson « Anaconda », réalisé en 2014.
Les photos de Kim Kardashian illustrent, elles aussi, cet idéal dont la recherche pousse certaines femmes à utiliser des produits réputés « grossifesses », disponibles notamment sur les marchés en Afrique.
Le postérieur imposant y est vu comme un signe d’opulence et de santé, garant de désirabilité sexuelle et de maternités réussies.
Ailleurs dans le monde, les influenceuses poussent de plus en plus de jeunes filles et de jeunes femmes à recourir au « BBL » pour Brazilian Butt Lift, opération de chirurgie esthétique particulièrement dangereuse, dans l’espoir d’obtenir une silhouette « instagrammable » en forme de sablier.
Une guerre des fesses ?
La taille des fesses féminines serait même au cœur d’un conflit idéologique opposant les pays du Sud aux pays du Nord, selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur d’un essai intitulé : La guerre des fesses : minceur, rondeurs et beauté.
On assisterait, selon lui, à un « choc des civilisations par fesses interposées ». L’Occident a, de manière générale, voulu imposer un idéal de minceur comme norme de la beauté féminine dans la seconde moitié du XXe siècle. En témoignent les premières poupées Barbie au physique longiligne, commercialisées à partir de 1959.
Les pays du Sud protesteraient à leur manière contre cette domination du Nord et les grosses fesses seraient un emblème de cette contestation. D’où aussi la reprise, cette fois dans les pays du Nord, de cette même tendance par un nombre croissant de stars.
Mais cette revendication est ambiguë, car elle paraît aller à l’encontre de l’idéal d’émancipation des femmes. Le corps sexualisé à l’extrême de Nicki Minaj en fait un objet du désir masculin hétérosexuel, d’ailleurs explicitement évoqué dans « Anaconda ».
La chanteuse satisfait le regard masculin, répondant ainsi à un fantasme classique, voire banal, que partagent un grand nombre d’hommes, souvent depuis leur enfance. La vue de grosses fesses féminines serait même rassurante pour bien des garçons, selon le psychologue Gérard Bonnet.
De même que Néfertiti affichait ses formes pulpeuses dans un but propagandiste, Nicki Minaj, Kim Kardashian, Jennifer Lopez, Iggy Azalea, Doja Cat, et d’autres encore, exploitent leurs fesses à des fins promotionnelles et commerciales. Usant de cet appât vieux comme le monde, elles remportent un succès prévisible et évident.
La callipyge et le regard masculin
C’est le regard masculin qui tient généralement lieu de référence dans la définition des « belles fesses » féminines, comme le montre une ancienne fable grecque, rapportée par Athénée de Naucratis (Deipnosophistes XII, 80).
Plus tard, Jean de La Fontaine en tira un conte, publié en 1665.
Il y avait à la campagne, non loin de Syracuse, cité grecque de Sicile, deux jeunes sœurs qui possédaient des postérieurs d’une exceptionnelle perfection. Un jour, elles se mettent à les comparer et chacune proclame qu’elle en possède un plus beau que sa sœur. Le débat s’envenime. Elles se rendent alors en ville, y croisent un jeune citoyen et lui demandent de les départager en évaluant leurs fessiers. Puis elles relèvent leurs tuniques sous les yeux du juge improvisé qui, après les avoir bien observées, finit par rendre son verdict : les deux sœurs possèdent un extraordinaire postérieur, mais celui de l’aînée l’emporte à ses yeux.
Les filles acceptent ce jugement et s’en retournent dans leur ferme. De son côté, le jeune homme, profondément bouleversé, ne parvient plus à oublier la grande sœur et en tombe malade. Son père envoie alors son second fils à la campagne pour chercher la callipyge, seul remède aux souffrances de l’aîné. Il y est séduit par la petite sœur et ce seront finalement deux mariages qui seront célébrés.
C’est ainsi, nous dit cette édifiante histoire, que les deux modestes fermières devinrent les épouses de riches citoyens. Une promotion due à leurs fesses ! Devenues célèbres, elles n’oublièrent pas de remercier Aphrodite, déesse de l’amour, en faisant construire un temple en son honneur, où elles placèrent une représentation de la déesse dite callipyge, c’est-à-dire « aux belles fesses ».
De « belles » fesses arrondies, comme le montre la statue d’Aphrodite, aujourd’hui au musée archéologique de Naples. Inspirée de la fable, à moins que ce soit la fable qui ait été inspirée par une statue de ce type, l’œuvre a été conçue comme l’image de la femme la plus excitante qui soit, c’est-à-dire la plus capable par son physique d’éveiller le désir sexuel chez le plus grand nombre de Grecs de l’Antiquité.
Cul viril et bronzé
Les Grecs de l’Antiquité ont aussi imaginé un modèle masculin de fesses idéales : Héraclès, ou Hercule pour les Romains. Fils de Zeus, il est par excellence le héros viril de la mythologie.
La statue dite « Hercule Farnèse », découverte à Rome, aujourd’hui exposée au Musée archéologique de Naples, le montre totalement nu. Lorsqu’on fait le tour de l’œuvre, on découvre les fesses du héros que le sculpteur a voulu mettre en valeur. Elles sautent aux yeux du spectateur. Et ce n’est pas un hasard, car Héraclès était surnommé Mélampygos : « Cul noir ». La peau sombre était une caractéristique des athlètes qui passaient leur temps à s’entraîner nus au soleil, les fesses toujours à l’air. Héraclès « Cul noir » est le modèle même de cette virilité qui s’expose.
On racontait que son cul avait été noirci par l’haleine brûlante des monstres contre lesquels il avait combattu. Des fesses tannées par l’endurance, devenues dures comme du cuir, incarnant une force à laquelle nul sur terre ne peut résister. Le postérieur du héros nous délivre un message de virilité suprême. Héraclès a vraiment « du cul » !
Les fesses de Dieu
Au début du XVIe siècle, sur la voûte de la chapelle Sixtine, à Rome, Michel-Ange a peint Dieu, volant dans le Ciel, lors de la création du monde. Une fresque inspirée de la Genèse.
Le spectateur, posté quelque 20 mètres plus bas, distingue clairement le postérieur divin dans sa version chrétienne. Les fesses de Dieu symbolisent ici la puissance, comme pour Héraclès. Elles délivrent aussi un message théologique : elles rappellent que Dieu a créé l’homme à son image, c’est-à-dire doté de fesses.
Christian-Georges Schwentzel intervient dans le documentaire « L’Art du derrière, une folle histoire des fesses », de Valentin Mollette et Élise Baudouin, diffusé sur France 5, le 12 septembre 2022, à 21h.
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.