Au regard de l’actualité florissante malienne qui ne cesse de vanter les qualités exceptionnelles et de faire l’apologie de l’ancien Président du Mali en la personne du Général Moussa Traoré en mettant en avant ses qualités de grand républicain, je vous fais parvenir un fragment de mon livre en cours d’écriture.
Maintenant je laisse le soin aux lecteurs de découvrir et de juger le témoignage d’Oumar Traoré dit BEDOS sur les cruelles conditions de détention du Président Modibo Keïta :
» Entre 1970 et 1974, j’ai passé quatre longues années en deux séjours de deux ans auprès du père de l’indépendance en détention à Kidal en tant que geôlier. On se relayait à tour de rôle à ce poste. À l’époque des faits j’étais jeune et j’avais trente-deux ans. Je travaillais au service général des armées dont les bureaux se trouvaient au génie militaire à la base aérienne de Bamako. Par le biais d’une mutation, je me suis retrouvé dans le nord du Mali. Le capitaine Abdoulaye Keïta, paix à son âme demeurait le commandant de cercle de Kidal. Je suis natif du quartier populaire de Medina-Coura. Je sais également que l’épouse du commandant de cercle n’était autre que la sœur de lait de Birama Sissoko le père de l’auteur. Nous habitions le même secteur à Medina Coura, une seule rue sépare nos deux domiciles familiaux. Je peux avouer que le Président Modibo Keïta, le fils de Daba Keïta et Hatouma Camara n’a pas passé de jours merveilleux à Kidal. Dans cette ville excentrée du reste du pays, toute évasion s’avérait impossible. Quand j’y pense, mon cœur s’anime de rage en comparaison aux conditions dorées de ceux-là mêmes qui lui ont soumis à un tel régime infernal. En réalité, le père de l’indépendance était emprisonné précisément dans le camp militaire de Kidal. À l’époque, cette structure se nommait la CSM (la compagnie saharienne motorisée). La cellule qui l’a accueilli était contigüe au poste de garde juste à l’entrée du camp. Elle faisait six à neuf mètres carrés environ comme toute surface. Dans sa cellule on pouvait à l’aise apercevoir une jarre d’eau en terre cuite, une chaise, une lampe à pétrole et un poste radiophonique. L’ancien Chef d’Etat dormait sur un modeste lit militaire de campement d’une place. Parfois il discutait avec les geôliers surtout avec moi car c’était nous qui lui apportions son repas quotidien. Le matin, il se nourrissait de la bouillie de mil » moni « . À midi, il s’alimentait du même plat que les militaires. Généralement, la nuit il prenait du tô préparé par l’épouse d’un garde. Il s’éclairait la nuit à l’aide d’une lampe tempête. Il vivait seul dans cet endroit et ne recevait aucune visite sauf si de temps en temps le médecin militaire venait le voir. Pétri aux valeurs de l’islam, le Président Modibo Keïta était croyant et ne manquait pas de prier. Aux heures de prière, il n’omettait pas de taper la porte et à ce signal on lui ouvrait les battants pour qu’il fasse ses ablutions. Il s’adonnait à ce rituel sur une grosse pierre qui se localisait à un mètre cinquante de son dortoir. Au crépuscule, il priait dehors en plein air. À la fin de la prière, il méditait longuement les yeux rivés sur l’horizon. Le reste du temps il restait dedans dans la cellule. Son nom de corde était le numéro un. Ainsi, tout le monde l’appelait numéro un. Le père de l’indépendance du Mali était un homme très doux, serein, chaleureux, aimable et hyper sympathique avec l’ensemble des geôliers qui se relayait au travail du matin au soir. C’était un détenu exemplaire, correcte qui ne dérangeait personne. La solitude pesait lourdement sur lui à mon avis. Souvent je me disais : » comment un homme de son gabarit pouvait-il être enfermé de la sorte comme un animal dans une cage « . Chaque jour, il écoutait la radio pour s’enquérir des informations c’était sa seule manière de se renseigner sur l’actualité et d’être en contact avec le monde extérieur. Il s’habillait toujours en tenue traditionnelle en grand boubou. Ses geôliers lavaient son linge et remplissaient sa jarre d’eau. C’était un vrai intellectuel qui aimait lire et écrire. Souvent il nous demandait les reliures pour s’adonner à cet exercice. Je peux avouer qu’il aimait profondément le Mali sa patrie. À cet effet un jour il me dit ceci: » si quelqu’un d’autre mieux que moi pouvait bâtir notre pays c’est ma plus grande satisfaction morale que le Tout Puissant l’aide dans cette noble mission « .
En toute sincérité, le Président Modibo Keïta eu une fin de vie atroce. Il avait maigri et sa chevelure avait précocement blanchi. Nous les geôliers le respections beaucoup par rapport au poids de son âge et son comportement dans la dignité envers chacun de nous malgré les dures épreuves qu’il endurait. À vrai dire les conditions de vie lamentables n’étaient pas dignes d’un ancien Président et de surcroit père de l’indépendance du Mali. C’était une humiliation à tout point de vue « .
Hormis le Président Modibo Keïta, j’ai côtoyé bien d’autres détenus politiques incarcérés au Fort de Kidal et à Intadenit cet autre lieu de détention situé à trente kilomètres de la ville de Kidal dont faisaient partie Birama Sissoko tout comme Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djikoroni. Ils étaient si nombreux que je ne retiens plus tous les noms en tête…
Comme un coup de tonnerre, le 16 Mai 1977 Le Président Modibo Keïta meurt en détention à Bamako dans des circonstances suspectes. Lorsque j’ai appris la disparition du père de l’indépendance du Mali, je l’ai ressenti comme un coup dur. Modibo Keïta ne s’est jamais servi du Mali. Au contraire il a passé sa vie à servir honnêtement, passionnément, loyalement la Nation malienne tout comme ses illustres compagnons. Le plus révoltant, au décès de Modibo Keïta le communiqué diffusé pour annoncer sa mort était scandaleux et mensonger. Il disait ceci : » Modibo Keïta, ancien instituteur à la retraite est décédé des suites d’un œdème aigu des poumons « .
Une telle diffamation camouflait quoi au juste ? Cela arrangeait qui ? Pourquoi mentir de la sorte au peuple ? Qu’est ce qui leur empêchait d’appeler le chat par son nom?
En quoi un homme capable d’un tel agissement vis-à-vis du père de l’indépendance peut-il prétendre être un républicain ? A chacun de faire la part des choses. Je revendique un traitement égal pour tous les anciens Présidents de la République du Mali ou leurs ayants droits en reconnaissance du dur labeur de leur ascendant. Le cas spécifique du père de l’indépendance et de sa famille mériterait d’être revu et corrigé. La famille du Président Modibo Keïta doit être mise dans ses droits autant que faire se peut à l’instar de toutes les familles d’ancien Président.
Par ailleurs le peuple malien meurt d’envie de savoir les causes du décès de Son Excellence Modibo Keïta. En aucun cas ce pan de l’histoire ne doit s’ériger en énigme pour les filles et fils du Mali. Alors il est grand temps de révéler les vraies raisons de son décès et ce pendant que le Général Moussa Traoré est encore en vie. Un Président ne peut pas mourir dans les mains d’un autre sans que ce dernier ne sache de quoi il est mort. Avoir peur de Dieu est synonyme de révéler la vérité. A défaut il me semble que les longues prières, le séjour à la Mecque et autres menus ablutions ne pourront absoudre le pêché. Tout ce qu’on fait est au su et vu du Tout Puissant. J’espère que les autorités nouvellement installées au pouvoir prendront toutes les responsabilités et feront leur possible pour rectifier cette situation qui n’honore point notre Nation.
Aboubacar Eros SISSOKO
Source: L’Indépendant