Des âmes charitables aident à relever la noire d’ébène et se chargent de mettre des compresses sur son visage tuméfié.
Madou a plus que des attentions charmantes. Son oncle en est persuadé. Ce n’est point un revirement. Ses propos sont plutôt d’un odieux mensonge. Il aime Fati à en mourir. Mais prétend le contraire. Sous une apparence de calme et de sérénité, l’oncle fait passer à son neveu, qui ne s’en rend pas compte, un examen terrible : « fais-moi l’amabilité de m’épargner tes problèmes de foyer. Si tu ne veux pas d’elle, renvoie-la chez elle. » La réserve de l’oncle respire profondément une grande pudeur. Les espoirs de Madou se fondent comme beurre au soleil. En l’oncle, il ne trouve point de chaussures à ses pieds. Germe dans sa tête l’idée de consulter sa vieille mère au village, avec des arguments de compassion afin qu’elle décrète de garder Fati.
La noire d’ébène rattrape en quelques semaines le poids qu’elle a perdu pendant des années de vie séparée. A présent, elle a tout pour plaire. Le maigrelet de mari dépense sans compter dans l’achat de bijoux, vêtements, chaussures. La métamorphose de Fati n’échappe à personne. Ses admirateurs anonymes, tout aussi passionnés que tyranniques rivalisent d’offres de services. Certains proposent de faire un bout de chemin avec elle en partance ou au retour du marché, d’autres s’efforcent de l’arracher un sourire qui serait un bon présage pour le reste de la journée.
Ces instants de joie cachent mal les peines endurées. Elle affronte de plus en plus les railleries des « femmes jalouses » de son bonheur. Qui font courir le bruit qu’elle a trouvé dans son ex-mari la main qui nourrit. Que ce dernier envisage de l’administrer un gros coup de pied. Ses pas accélérés visent à se soustraire de cette nuée de femmes méchantes. La suite des événements se charge de l’apprendre qu’elles guettent ses faits et gestes en vue de déceler ses moindres impairs. Le visage de Fati change totalement d’expression. La moue d’une dureté incroyable remplace aussi brusquement le sourire.
L’idylle est de courte durée
Tous ces échos, tous ces ragots, ces potins… Fati en veut à Madou qu’elle indexe comme le véritable responsable. Elle réprime une furieuse envie de révéler : « Mon mari s’est agenouillé, bras croisés derrière le dos, a présenté des excuses et sollicité mon retour aussitôt accepté par mes parents. » Moins de deux mois après, voilà qu’elle souffre en silence, prise maintenant d’une envie de fondre en larmes, en maudissant le jour où elle est revenue. Les jours passent, la médisance déborde la coupe, puisqu’une voix la traite de pute. Elle s’avance résolument vers le groupe et le charge de dire à Madou que « sous ses apparences d’époux attentionné, il n’est ni plus ni moins que son pire ennemi ». La réplique ne tarde pas : « puisque tu dis ton époux, va le lui dire toi-même ! » Fati s’épargne une crise de larmes qui serait le triomphe de ses détractrices. Elle choisit de les regarder droit dans les yeux, un moyen de se donner l’illusion d’être forte. Cependant, ces dernières devinant des sanglots étouffés éclatent de rires. « La malheureuse ne se rend même pas compte qu’elle est d’une beauté désagréable. Madou a l’air de s’ennuyer la nuit. » En guise de réponse, elle se contente de rire, d’un rire bruyant et forcé plus pénible à entendre que les sanglots.
Madou a presque tout vu et entendu. S’il se garde d’intervenir, parce qu’une idée trotte dans sa tête. La nuit se charge de révéler son intention. Les cris stridents de Fati réveillent les voisins. Une pluie de coups de poings la projettent à terre. Des âmes charitables accourent, l’aident à se relever. La curiosité piaffe d’impatience à écouter les explications des deux parties et de déposer ses conclusions. Pendant que d’aucuns s’affairent à déchirer un pagne usagé qui sert de compresses posées sur le visage tuméfié de Fati. Le verdict est implacable : entre les faits et les dires de Madou le rallye est possible.
Le lendemain, jeunes, hommes et femmes cherchent à retrouver sur la figure de Fati les traces du pugilat. Au plus grand étonnement du quartier, sa beauté n’en souffre pas. Mieux, les curieux constatent à quel point elle paraît de bonne humeur.
A suivre…
Georges François Traoré
source : L ‘ Informateur