La violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi apparaît en filigrane
Admis à faire valoir leurs droits à une pension de retraite depuis le 1er janvier 2022, certains fonctionnaires de police contestent cette décision, estimant qu’elle viole l’ordonnance n°2021-016 PT-RM du 31 décembre 2021 portant modification du Statut des fonctionnaires de la police nationale qui prolonge l’âge de la retraite. Constitués en Collectif des fonctionnaires de police retraités au titre de l’année 2022, ils ont adressé un recours gracieux au ministre de la Sécurité et de la Protection civile ainsi qu’à plusieurs département ministériels et organes de la Transition, resté lettre morte partout à l’exception du Conseil national de transition (CNT). Dans une note technique dont nous avons pu nous procurer une copie, la Commission de la défense nationale, de la sécurité et de la protection civile du CNT soumet son avis sur la question.
Selon la note, c’est par correspondance n°376/SG-CNT en date du 26 avril 2022 que le président du Conseil national de transition a transmis le recours gracieux formulé par le Collectif des fonctionnaires de Police retraités au titre de l’année 2022 adressée au ministre de la Sécurité et de la Protection civile à la Commission de la défense nationale, de la sécurité et de la protection civile aux fins de soumettre un avis sur la question.
A en croire la note technique, il ressort de l’analyse du dossier que le Collectif des fonctionnaires de police retraités au titre l’année 2022 conteste la mise à la retraite de certains fonctionnaires de police sur la base des dispositions de l’ordonnance n°2021-016 PT-RM du 31 décembre 2021 portant modification du Statut des fonctionnaires de la police nationale.
En effet, poursuit la note, l’article 140 de cette ordonnance dispose que les fonctionnaires de la police sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite lorsqu’ils ont atteint la limite d’âge fixée ainsi qu’il suit : 65 ans pour le corps des commissaires de police ; 62 ans pour les officiers de police ; 61 ans pour le corps des sous-officiers de police.
Or, précise la note de la Commission défense, il se trouve que les décrets n°2021-0925/PT-RM et n°2021-0926/PT-RM du 23 décembre 2021 et l’arrêté n°5470/MSPC-SG du 24 décembre 2021 ont mis certains fonctionnaires de police des trois corps ci-haut cités à la retraite à compter du 1er janvier 2022.
Violation du principe d’égalité de traitement des citoyens devant la Loi
“A la date du 31 décembre 2021 et juste avant la prise d’effet de la retraite est intervenue l’ordonnance n°2021-016/PT-RM portant modification du Statut des fonctionnaires de la police nationale, qui a prorogé l’âge de départ à la retraite. Les fonctionnaires concernés demandent ainsi d’être mis dans leurs droits surtout qu’un autre fonctionnaire de police se trouvant dans une situation identique à eux, n’a pas été mis à la retraite et a bénéficié de la teneur des dispositions de l’article 140 de l’ordonnance ci-dessus citée”, peut-on lire dans la note technique.
Selon la Commission défense du CNT, les faits ci-dessus exposés appellent deux commentaires notamment le refus d’intégration des fonctionnaires de police admis à la retraite peut être constitutif d’un détournement de pouvoir et le refus d’intégration des fonctionnaires de police admis à la retraite viole le principe d’égalité de traitement des citoyens devant la loi.
Sur le premier commentaire, la Commission laisse entendre que l’un des objectifs majeurs de la modification du Statut des fonctionnaires de police consistait à proroger l’âge de départ à la retraite afin de conserver du personnel expérimenté, ayant servi l’Etat avec dévouement, loyauté et professionnalisme. Dans cette optique, l’adoption de l’ordonnance modificative devrait profiter aux fonctionnaires admis la retraite une semaine plutôt si le département de la Sécurité veut réellement atteindre l’objectif de retenue des cadres expérimentés du corps des fonctionnaires de police.
Or en droit administratif, la Commission mentionne que les décisions de l’administration doivent viser l’intérêt général et ne pas être entachées de détournement de pouvoir. En l’espèce, le refus de faire profiter aux retraités la nouvelle teneur de l’ordonnance peut s’assimiler à un détournement de pouvoir. En effet, selon la Commission, le détournement de pouvoir est défini en droit administratif comme une “illégalité consistant, pour une autorité administrative à utiliser ses pouvoirs dans un but autre que celui prévu par la règlementation en vigueur”.
Par rapport au deuxième commentaire, la Commission dira qu’il ressort de l’instruction du dossier qu’un autre fonctionnaire de police, se trouvant dans une situation identique que celle des membres du Collectif n’a pas été mis à la retraite et a bénéficié de la teneur des dispositions de l’article 140 de l’ordonnance ci-dessus citée. Et de poursuivre que cette différence de traitement entre des citoyens se trouvant dans la même situation et dans les mêmes conditions juridiques, peut entacher d’illégalité la décision du ministre de la Sécurité et de la Protection civile.
Faire prévaloir les considérations d’intérêt général
En effet, la Commission rappelle que l’article 2 de la Constitution du Mali du 25 février 1992 dispose : “Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée”.
Et d’ajouter que le principe d’égalité de traitement implique que toutes les personnes se trouvant placées dans une situation identique à l’égard du service public doivent être régies par les mêmes règles en rappelant la jurisprudence française “si l’administration peut légalement décider, si des circonstances particulières lui paraissent le justifier, d’octroyer aux fonctionnaires des avantages prévus ou non prévus par les textes, il lui appartient, sauf motif d’intérêt général, pour respecter le principe d’égalité, d’en faire bénéficier, sans préférence, ni faveur, tous les fonctionnaires se trouvant dans une situation analogue”.
En conséquence, la Commission fait savoir qu’en accordant la prorogation à certains fonctionnaires de police et en la refusant à d’autres alors que tous sont placés dans la même situation juridique, le ministre de de la Sécurité et de la Protection civile peut exposer sa décision à une illégalité.
De tout ce qui précède, la Commission estime qu’il appartient au ministre de la Sécurité et de la Protection civile de faire prévaloir les considérations d’intérêt général en permettant à ces fonctionnaires de police de continuer à faire mettre leurs expertises et leur expérience à la disposition de l’Etat, pour un service public de qualité offert aux citoyens. A défaut, ils doivent être mis dans leur droit à travers un dédommagement, car leur mise à la retraite comporte des vices d’illégalité.
Boubacar Païtao
Source: Aujourd’hui-Mali