La mission des Nations unies au Mali (Minusma) n’a jamais représenté un acteur militaire majeur face aux groupes jihadistes, tel n’était pas son mandat. Son départ ouvre pourtant un vide sécuritaire béant pour le pays et le Sahel tout entier.
Le vote du Conseil de sécurité, qui a acté vendredi la fin de sa mission à la demande de Bamako, entérine le départ de plus de 13 000 hommes qui, certes dépourvus de fonction offensive, contribuaient notamment à la sécurité des grandes villes du nord du pays.
Une fois ce départ effectif, les forces armées maliennes n’auront d’autre partenaire que les mercenaires russes du groupe Wagner, toujours présentés par la junte comme des « instructeurs ».
Pour les experts consultés par l’AFP, la perspective est sombre. « Le vide sécuritaire existe déjà. Mais c’est le coup final », craint Djallil Lounnas, de l’université marocaine d’Al Akhawayn.
« Ce n’était pas Sabre, ni Barkhane », admet-il, en référence aux forces antjihadistes françaises déployées jusqu’en 2022. Mais les Casques bleus « couvraient une partie du territoire ».
Or, il excède 1,24 million de kilomètres carrés dont une majorité d’espaces semi-désertiques, délaissés depuis des années par l’État central.
Dans ces confins battus par les vents et le sable, le pouvoir est disputé par les groupes armés signataires de l’accord de paix dit d’Alger de 2015, jamais réellement appliqué, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou Jnim selon l’acronyme arabe) lié à Al-Qaïda, et la filiale sahélienne du groupe État islamique (EIS).
« Désagrégation de l’État »
« On est face à une désagrégation de l’État malien. Ces troupes de l’ONU maintenaient un semblant d’État et d’ordre, les derniers îlots vont sauter avec elle », ajoute Djallil Lounnas, voyant pointer une « coalition de groupes armés qui s’appuient sur Al-Qaïda pour lutter contre l’État islamique ».
À Bamako, le discours se veut rassurant. « Le départ de la Minusma ne nous fait pas peur. Nous avons de quoi défendre le territoire national jusqu’à Kidal » (nord), assure un officier malien, convaincu que « l’armée malienne monte en puissance ».
Mais l’éparpillement des centres urbains et le défi logistique compliquent considérablement le projet.
Analystes et militaires français rappellent que feu Barkhane (5500 hommes) a enregistré quelques succès face aux groupes jihadistes pendant neuf ans. Mais Bamako n’a jamais su restaurer les services essentiels dans les espaces sécurisés.
Pour sa part, « l’armée malienne ne mène quasiment pas d’opérations militaires sur le terrain et se contente souvent de frappes aériennes coordonnées par […] Wagner. Cette stratégie a ses limites », peste un élu de Tombouctou (nord-ouest).
Pour Michael Shurkin, spécialiste américain du Sahel, « l’armée malienne est meilleure qu’avant mais elle est trop petite et trop faible pour être à plus d’un endroit en même temps ». Les militaires « pensent qu’ils sont en train de renverser la situation. Tous les faits empiriques disent le contraire ».
D’autant que l’apport de Wagner pose question. Son avenir est en suspens depuis que son chef Evguéni Prigojine s’est exilé au Bélarus après une rocambolesque mutinerie de 24 heures contre l’armée russe.
Pas d’options
Et le bilan du groupe, partout où il est passé sur le continent, de la Centrafrique au Mozambique, a plus été marqué par des accusations de violations des droits de l’Homme et de pillages divers que par le rétablissement de la paix.
Dans un récent rapport, l’International Crisis Group (ICG) relève que les jihadistes n’attaquaient pas jusqu’à présent les neuf villes du Nord dans lesquelles la Minusma disposait d’une base. Mais « le départ des Casques bleus pourrait (les) inciter à revoir leur stratégie et à assiéger des centres urbains ».
En ligne de mire se profile un face-à-face violent entre un État défaillant, les groupes armés et les jihadistes. De ces trois acteurs, « l’État malien est le moins capable de faire quoi que ce soit d’utile », assure Michael Shurkin.
D’autant que la junte est tentée d’affronter les groupes armés signataires. « Le retrait de la Minusma pourrait pousser Bamako à dénoncer l’accord de paix d’Alger, d’ores et déjà en péril, voire à chercher à attaquer Kidal, dont l’insoumission irrite profondément le régime », relève un haut responsable militaire français.
Un scénario catastrophe : au Mali comme ailleurs, les jihadistes se nourrissent du chaos, et la disparition des nombreux emplois que fournissait la Minusma constitue un facteur supplémentaire d’insécurité.
Interrogée par l’AFP, l’Union africaine n’a pas donné suite. La Minusma ne sera remplacée par aucune autre force extérieure et Bamako exclut toute coopération régionale d’ampleur.
De quoi donner des sueurs froides aux voisins du Mali.
« Personne n’a d’option. J’interviens, je perds. Je n’interviens pas, je perds aussi », constate froidement Djallil Lounnas. « Il faudrait des options innovantes mais personne ne les connaît ».
Source: ledevoir