« Aider, ce n’est pas façonner l’autre à son image, c’est lui permettre d’être le maître d’œuvre de son projet de vie », précise notre chroniqueur. J’ai profité de mon éviction du Quai d’Orsay, en 2013, pour découvrir de nouveaux horizons. Le dernier en date, le coaching, auquel je me suis formé, m’a inspiré une comparaison de cette discipline avec l’aide au développement car, comme cette dernière, le coaching a vocation à aider à la transformation.
Durant toute ma carrière de diplomate, j’ai été confronté à l’impasse de l’aide au développement en Afrique. J’ai tout entendu, de « ça progresse » à « ça serait pire si nous n’avions rien fait ». La deuxième assertion est invérifiable, car il aurait fallu mener l’expérience avec et sans aide au développement sur le même territoire et dans la même temporalité pour en vérifier le fondement. Du coup, c’est pratique comme argument. C’est une supposition présentée comme une démonstration. Sans compter qu’elle repose sur la croyance que, sans les Occidentaux, c’est pire. Pas sûr que les Mayas, les Incas, les Indiens d’Amérique et bien d’autres peuples partagent ce point de vue.
La dépendance au coach
Je n’ai quasiment jamais rencontré personne qui ose poser un regard lucide sur le bilan de l’aide au développement, et quand j’ai essayé de faire connaître mon point de vue, j’ai eu droit à de vertes remarques de mes collègues diplomates et développeurs.
Mes maîtres en coaching, Bernard Hévin et Jane Turner, inspirés par le psychologue américain Carl Rogers, ont développé une approche qui met la personne au centre de la démarche. Il n’y a rien à réparer chez la personne coachée, il y a qu’à l’accompagner pour qu’elle se connecte à ses propres ressources afin de choisir elle-même, en conscience, les chemins qu’elle empruntera dans sa vie.
Il en va, en fait, de même pour le développement. Une aide efficace au développement est une aide qui prend fin. Un ami ivoirien me disait que « l’aide au développement est comme l’allaitement : un jour ça doit s’arrêter, sinon c’est malsain ». Le coach part du postulat que la personne coachée possède toutes les ressources pour élaborer un projet de vie épanouissant, qu’il s’agisse de ses propres ressources ou de celles de son environnement.
Une forme de mission « civilisatrice »
Ce postulat existe-t-il dans le concept d’aide publique au développement pour l’Afrique ? Permettez-moi d’en douter. Il y a une croyance consciente ou inconsciente dans la communauté internationale que les pays africains ne pourront pas s’en sortir seuls (sans notre aide, c’est-à-dire l’aide de l’Occident), croyance largement manipulée par une partie des élites politiques africaines. Forts de cette certitude, nous, les Occidentaux, expliquons comment la vie doit être et quels sont les chemins à suivre. En même temps (comme dirait Emmanuel Macron), nous, Occidentaux, ne pouvons enseigner aux Africains que ce que nous connaissons, c’est-à-dire notre modèle. Au final, le concept de développement, c’est l’ambition de transformer les Africains en Occidentaux. C’est fou non ?
Si, au départ, comme on me l’avait appris lors de mes études, puis au Quai d’Orsay, j’ai cru à l’aide au développement, j’y ai cependant perçu assez vite une forme de mission « civilisatrice » qui heurtait mes convictions sur le genre humain. Puis, j’ai fait part de mes doutes sur la façon dont l’aide internationale fonctionnait. En vain. Ce que le coaching m’a enseigné, c’est que toute personne qui demande de l’aide est en fait déjà sur la voie du changement, mais n’en a pas forcément pris conscience.
Dès le premier entretien, le coach apprend à dépasser la première demande formulée qui est souvent une demande socialement acceptable et de facilité, mais qui n’est pas la véritable problématique. Le projet de vie de la personne coachée ne peut être formulé qu’après un patient travail d’écoute, sans jugement et avec une acceptation inconditionnelle de l’autre (et moyennant un travail de reformulation, de questionnement et de confrontation). Ce patient travail d’écoute n’existe pas dans le système international de l’aide au développement. Pas plus que l’acceptation inconditionnelle, le questionnement ou la confrontation.
Construire une relation authentique
Il y a ceux qui savent, les Occidentaux, et ceux qui doivent faire comme on leur dit, les pays récipiendaires de l’aide. Ce qui me surprend, c’est que certains s’étonnent que cette méthode ne produise pas de meilleurs résultats. Et, le plus drôle, c’est que personne ne change la méthode tout en espérant que l’aide devienne plus efficace. Comme aime le rappeler Bernard Hévin à ses clients et à ses élèves : toujours plus de la même chose produit toujours plus du même résultat.
Les Occidentaux ne sont pas dépositaires du bien-être des pays africains, car seuls les Africains (collectivement et individuellement) ont les ressources pour tracer leur chemin. Il se pourrait que ce chemin ne convienne pas aux Occidentaux. C’est possible. Et alors ? Sommes-nous ceux qui délivrons les certificats de bonne politique ? De quel décret divin procède cette idée que nous pouvons dire ce qui est bon pour les autres ? Tout au plus pouvons-nous dire que nous ne partageons par le même point de vue ou les mêmes valeurs. Aider ce n’est pas façonner l’autre à son image, c’est lui permettre d’être lui-même, d’être le maître d’œuvre de son projet de vie. C’est ce qu’a rappelé le président ghanéen Nana Akufo-Addo en novembre 2017 à Emmanuel Macron : l’aide occidentale n’a pas marché et ne marchera pas, les Africains ont tout ce qu’il faut pour tracer leur propre voie.
Construire une relation authentique est le secret d’un coaching réussi. Pour cela, les partenaires doivent être authentiques l’un envers l’autre et avec eux-mêmes (c’est-à-dire sans se mentir à soi-même). De ce point de vue, il reste beaucoup à faire dans le système international d’aide au développement. La question à laquelle je n’ai toujours pas de réponse, c’est de savoir si ce système a vraiment envie de changer.
LAURENT BIGOT,chroniqueur Le Monde Afrique
Le Monde Afrique