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Le Colonel Abdou Karim Traoré, point focal du Burkina Faso dans le processus d’Alger : « Le principe du fédéralisme se conçoit dans un Etat unitaire »

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En marge des travaux de la seconde phase des pourparlers inclusifs inter-Maliens, le point focal du Burkina Faso dans le processus d’Alger, le Colonel Abdou Karim Traoré nous a accordé un entretien dans lequel il affirme que le fédéralisme prôné par certains mouvements armés n’est pas forcément en contradiction avec un Etat unitaire. Et que de ce point de vue cette proposition est conforme à l’accord préliminaire du 18 juin 2013 de Ouagadougou et à la feuille signée en juillet dernier à Alger. Il soutient qu’il faut dépasser les mots pour se concentrer sur les contenus et voir la forme de gouvernance la meilleure pour le Mali qui puisse consolider l’unité nationale dans la diversité ethnique, raciale, religieuse et culturelle de la nation malienne. Il précise que l’urgence est de s’attaquer rapidement aux conditions de vie des populations qui, selon lui :  » vivent dans la précarité la plus totale « .

L’Indépendant : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Abdou Karim Traoré : Je suis le Colonel Abdou Karim Traoré, magistrat militaire, conseiller technique du Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Régionale du Burkina Faso. Je suis singulièrement chargé des questions relatives à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits. En outre, je suis le point focal du Burkina Faso dans le processus d’Alger.

 

Je saisis l’opportunité qu’offre votre journal pour transmettre aux autorités politiques et administratives du Mali ainsi qu’à tout le peuple frère du Mali, les salutations fraternelles et amicales du Président de la République du Burkina Faso, Blaise Compaoré, Médiateur de la CEDEAO dans la crise malienne. Je transmets, par la même occasion, le salut de M. Yipènè Djibrill Bassolé, Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Régionale du Burkina Faso à ses collègues membres du Gouvernement malien et au peuple frère du Mali. Il exhorte tous les fils et filles du Mali à faire un dépassement de soi dans l’intérêt supérieur du Mali. Vous avez suivi son mot adressé aux parties maliennes lors de la cérémonie d’ouverture, allocution qui a été bien appréciée par tous.

 

 

Quelle appréciation faites-vous de la seconde phase du processus d’Alger?

Je fais une appréciation positive de cette 2ème phase du processus d’Alger. Dès que l’on réussit à réunir autour d’une même table les protagonistes d’un conflit, c’est qu’on a gagné déjà une partie de la bataille. Nous avons entamé les discussions de fond de tous les points contenus dans les thématiques de la feuille de route avec la société civile et les mouvements armés. Il ressort beaucoup de points de convergence qui sont de nature à espérer une fin très prochaine de la crise.

 

Nous avons senti la volonté de toutes les parties et leur disponibilité à trouver une issue heureuse à ces crises récurrentes qui ne font que retarder le développement du Mali et de la CEDEAO avec leur corolaire de souffrances, de désolations et de misères pour les populations. Nous avons vu une délégation gouvernementale à l’écoute des membres des mouvements, disponible et courtoise et qui a accepté d’assumer, au nom du principe de la continuité de l’Etat, toutes les insuffisances qui ont miné la gouvernance au Mali.

 

Nous avons aussi vu les délégations des mouvements armés exposer sans complaisance ce qu’elles avaient comme récriminations à l’endroit de l’Etat avec des propositions de solution.

 

L’ambiance des échanges, empreinte de courtoisie et de responsabilité, a permis un diagnostic sérieux et des perspectives de solution à étudier.

 

 

Selon vous, quelles sont les causes des crises récurrentes au Mali ?

Les causes de ces crises récurrentes dans le septentrion malien, à l’examen des exposés des parties, sont multiples. Elles vont des causes d’ordre politique, économique, social et culturel en passant par des questions d’ordre identitaire, des questions de sécurité, de citoyenneté et d’impunité, entre autres. On pourrait résumer le problème à un problème de mal gouvernance politique, économique, sociale, culturelle et sécuritaire qui a fini par déchirer le tissu social national. Il y a eu beaucoup de frustrations individuelles et communautaires.

 

 

Quel bilan faites-vous de la participation du Burkina Faso ?

On ne peut pas parler de bilan dans la mesure où la participation du Burkina Faso dans la recherche d’une solution durable continue toujours. Toutefois, on peut se permettre une appréciation d’étape. Il faut noter que le Mali a connu une double crise, l’une déclenchée le 17 janvier 2012, dans sa partie septentrionale avec la rébellion armée et l’autre déclenchée le 22 mars 2012, à Bamako avec le coup d’Etat perpétré par le Capitaine Sanogo à la tête du CNRDRE. Le 28 mars 2012, le président Blaise Compaoré a été mandaté par ses pairs de la CEDEAO pour trouver une solution politique à cette double crise par la voie de la négociation. Mesurant la responsabilité qu’il venait d’accepter, il n’a ménagé aucun effort, en engageant toutes les ressources humaines, financières et logistiques de son pays le Burkina Faso, convaincu qu’il s’agit d’un devoir de solidarité vis-à-vis du peuple frère du Mali et aussi vis-à-vis de l’Etat malien d’abord. Face à l’effondrement de l’Etat malien, il a engagé des démarches et pris des options avec le soutien de ses pairs de la CEDEAO et de la communauté internationale, toutes choses qui ont permis la restauration de l’Etat malien à travers le retour à la légalité constitutionnelle. Ensuite, les discussions avec les mouvements armés ont permis d’aboutir à Ouagadougou au communiqué conjoint du Gouvernement du Mali et des mouvements armés du nord-Mali du 04 décembre 2012 réaffirmant les principes de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali, la laïcité de l’Etat, le respect des droits de l’Homme, de la dignité humaine et l’égalité entre les citoyens.

 

C’est sur cette base qu’après l’intervention militaire française suite à l’avancée des groupes terroristes par l’attaque de la localité de Konan, estimant que les opérations militaires avaient atteint leur limite, et voulant donner une chance à la paix, le président Blaise Compaoré, Médiateur de la CEDEAO, avec le soutien de la communauté internationale, a initié les pourparlers directs entre le gouvernement malien et les mouvements armés, le 8 juin 2013. Ces négociations ont permis la signature de l’Accord préliminaire du 18 juin 2013. La suite vous la connaissez.

 

 

Il y a une méfiance entre le Mali et le Burkina Faso dans la gestion de cette crise. Par quoi l’expliquez-vous ?

Une méfiance c’est trop dire. Les deux pays entretiennent de bonnes relations au plus haut sommet. Le président Ibrahim Boubacar Kéïta a fait un déplacement à Ouagadougou pour remercier son homologue Balise Compaoré, Médiateur de la CEDEAO, dans la crise malienne pour les efforts et les résultats satisfaisants de la médiation de la CEDEAO. Aussi, le Président Compaoré s’est rendu à Bamako, Ségou et Kolongo. Le Burkina Faso, à travers le Président du Faso, a toujours accompagné les choix du peuple malien dans la recherche d’une solution négociée depuis qu’il a été mandaté par ses pairs de la CEDEAO.

 

Il y a maintenant quelques petits états d’âme qui se manifestent de temps à autre, dûs peut-être à des incompréhensions ou à des émotions. Vous savez que la nature des violences dans cette crise a suscité de vives émotions qui ont même provoqué des réactions extrêmes chez certaines personnes. Il y avait celles qui pensaient tout de suite à une réponse par la violence, donc la solution militaire et celles qui privilégiaient la voie de la solution négociée.

 

 

Le Président du Burkina Faso est partisan de la solution négociée car engendrant le moins de souffrances pour les populations et la plus plausible pour une solution durable pendant qu’une bonne partie de l’opinion malienne préconisait la solution militaire. Mais le Président Blaise Compaoré n’a jamais écarté l’option militaire si cela s’avérait nécessaire et cela a été affirmé par son ministre des Affaires étrangères Y. Djibrill Bassolé à plusieurs reprises.

 

Aussi, faut-il noter que certains responsables des mouvements armés résident à Ouagadougou, toute chose que certaines personnes à Bamako n’apprécient pas. A ce sujet, il faut noter que le Burkina Faso, en tant que pays médiateur, a eu la sagesse de les accueillir, ce qui permet aujourd’hui de pouvoir négocier avec eux. Imaginer un seul instant le gouvernement du Mali et ces mouvements sans intermédiaire, les conséquences seraient désastreuses. Je pense personnellement qu’il n’y a pas de problème de fond entre les deux Etats, mais des sauts d’humeur de quelques individualités à Bamako, même si cela pèse dans l’opinion publique malienne et burkinabè.

 

 

Le processus d’Alger est-il synonyme de la fin de la médiation burkinabé ?

Le processus d’Alger n’est pas synonyme de la fin de la médiation du président Blaise Compaoré qui est mandaté par ses pairs de la CEDEAO afin de trouver une solution politique à un problème qui se pose dans l’espace CEDEAO. Le sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, tenu à Accra en République du Ghana le 10 juillet 2014, a salué le processus d’Alger qui reste complémentaire de la médiation de la CEDEAO qui est une médiation par subsidiarité. Nous, en tant qu’experts, travaillons dans ce cadre. Les experts de la commission de la CEDEAO et ceux du Burkina Faso ainsi que du Nigeria sont présents à Alger avec les experts algériens et ceux de la communauté internationale pour travailler ensemble.

 

 

Le fédéralisme proposé par certains mouvements au cours de ces négociations est-il conforme à la feuille de route de juillet dernier et à l’accord préliminaire de Ouagadougou ?

En principe, je n’ai pas à apprécier les propositions des uns et des autres à cette étape du processus, surtout que cette appréciation se fait par voie de presse. Néanmoins, je me permets de dire que c’est une négociation et toutes les propositions sont à considérer. En tant que juriste, je peux vous dire que le principe du fédéralisme se conçoit dans le cadre d’un Etat unitaire. De ce point de vue, la proposition est conforme à la feuille de route et à l’accord préliminaire du 18 juin 2013 de Ouagadougou. En tant qu’expert dans l’équipe de médiation, je pense qu’il faut dépasser les mots pour se concentrer sur les contenus et voir la forme de gouvernance la meilleure pour le Mali, qui puisse consolider l’unité nationale dans la diversité ethnique, raciale, religieuse et culturelle de la nation malienne. Si nous nous focalisons sur les questions d’ordre sémantique, nous n’allons pas avancer rapidement alors que l’urgence est à nos portes. Les populations vivent dans la précarité la plus totale. Il faut agir vite et bien.

 

 

Sur les questions sécuritaires, des mouvements veulent une armée pour assurer leur propre sécurité. Est-ce possible ?

Si le Mali est compris comme un Etat unitaire, il ne peut y avoir qu’une seule armée nationale. Maintenant, il faut trouver les meilleures formules pour faire participer les populations dans la prise en charge de leur propre sécurité. Le meilleur système de sécurisation des populations est celui dans lequel elles sont consciemment impliquées.

 

 

Etes-vous optimiste pour la suite du processus ?

Si je suis optimiste ? J’affirme que je dois être optimiste. Nous avons le devoir d’être optimistes, sinon la médiation n’a pas de sens. Mais au-delà du principe d’être optimiste, je reste aussi optimiste du fait du déroulement des travaux qui a illustré l’engagement et la disponibilité des parties maliennes à régler définitivement cette crise. Il y a aussi le fait que la communauté internationale est mobilisée pour accompagner le Mali.

 

Réalisé par Massiré DIOP depuis Alger

SOURCE: L’Indépendant
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