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L’avenir politique au Mali : UNE VOLONTÉ ET UN CHEMIN

Le Nobel attribué au Quartet tunisien rappelle l’importance de la capacité à dégager des solutions propres. Capacité tout aussi indispensable dans notre situation

Gaoussou Drabo ancien ministre communication journalisteLes jurys du Nobel connaissent certainement les même dilemes que ceux de tous les prix prestigieux. Ne pouvant se prévaloir d’aucune espèce d’infaillibilité, ils savent bien que choisir, c’est inévitablement léser. Ils ne peuvent donc s’épargner les questions qui accompagnent logiquement leurs décisions. Leur faut-il redouter l’impression de céder à l’air du temps en récompensant un mérite déjà consacré par une forte reconnaissance publique ? Est-ce vraiment faire preuve d’une méritoire méticulosité d’enquête que mettre en lumière les qualités d’une personne ou d’un collectif quasiment ignorés des grands médias et qui retomberont assez rapidement dans l’anonymat, passé un bref quart d’heure de gloire  ? A partir de quels indices peut-on se risquer à un audacieux pari sur l’avenir en désignant un lauréat que la proche actualité a rendu emblématique, mais qui ne donne aucune assurance de laisser un sillon un tant soit peu durable ne serait ce que dans l’histoire de sa propre communauté ?

Il faut souligner que ces interrogations ne se posent guère dans les domaines scientifiques pointus récompensés par le Prix et où seuls des cercles étroits d’initiés pourraient discuter avec discernement de la portée des travaux des lauréats. Les questionnements se posent même de moins en moins pour le Nobel de littérature. Celui-ci a eu, par le passé, à couronner l’œuvre au long cours de plumes prestigieuses comme celles de Mikhaïl Cholokhov, John Steinbeck ou Gabriel Garcia Marquez. Mais aujourd’hui, l’ère des géants, qui étaient tout à la fois le pouls et les grands témoins de leur temps, est passée. A sonné l’heure de très bons écrivains pour lesquels la prestigieuse récompense représente moins le point d’orgue d’un parcours exceptionnel que la juste reconnaissance d’un talent parfois confiné à une injuste confidentialité. Il ne reste donc plus que le Nobel de la Paix pour propager dans le monde une immense onde de réactions et de commentaires.

SUR LA QUALITÉ ET LA PONDÉRATION. En effet, l’intérêt populaire pour ce prix ne faiblit pas. Parce que dans un monde où les conflits enflent, se diversifient et perdurent sous la forme d’abcès de fixation, l’opinion porte une attention de plus en plus soutenue à ceux qui montrent une détermination à se battre encore et toujours pour l’apaisement ; ainsi qu’à ceux qui ont le courage de s’opposer à la montée des radicalismes et de l’intolérance. Au sortir de la deuxième Guerre mondiale, la paix paraissait être l’aspiration la mieux partagée et l’objectif le plus ardemment poursuivi par la majorité de l’humanité. Aujourd’hui, elle représente un idéal certes altéré par des calculs géopolitiques sophistiqués, certes malmené par des intérêts antagoniques internes, mais toujours désespérément poursuivi par de nombreuses populations. Certaines de celles-ci ont même emprunté des chemins escarpés à l’extrême pour rallier le havre de la normalité. Il est donc intéressant de voir le Nobel de la Paix 2015 rendre hommage à une expérience aussi atypique que périlleuse.
Le Quartet tunisien, qui a été récompensé pour ses initiatives prises en en 2013, a eu le mérite de sauver l’avenir de la Révolution de jasmin. Il faut à cet égard remarquer – et c’est souvent un constat relevé dans les grands bouleversements sur notre continent – que les laudateurs extérieurs venus en rangs serrés pour exalter l’héroïsme de l’insurrection populaire se sont littéralement éclipsés lorsqu’ont été posées les questions cruciales que constituaient le type de pouvoir qui pouvait diriger la période de transition, l’exacerbation de la rivalité entre les forces politiques principales que représentaient les partis Ennhada et Nidaa Tounès et la montée en puissance du radicalisme religieux. C’était parce que se renforçait la probabilité d’une guerre civile qu’est montée en première ligne une équipe composite constituée par une centrale syndicale (l’historique Union générale des travailleurs de Tunisie – UGTT), une organisation professionnelle (l’Ordre des avocats), une structure de vigie (la Ligue tunisienne des droits de l’homme) et une coalition d’entrepreneurs menée par une femme (l’Organisation patronale UTICA).
Le Quartet avait dû batailler pendant des mois pour que le Premier ministre accepte de démissionner afin que soit constitué un gouvernement moins marqué politiquement, que les Islamistes de Ennahada engagent un vrai dialogue politique avec leurs rivaux et ne verrouillent pas la compétition électorale et pour que l’Assemblée constituante, dont les travaux avaient été suspendus, adopte une Loi fondamentale qui prenne en compte les acquis de la Révolution. Le tout s’était déroulé dans une atmosphère préalablement alourdie par deux assassinats politiques perpétrés sur des personnalités progressistes (Chokri Belaïd le 6 février et Mohamed Brahimi le 25 juillet 2013) et par les actes d’intimidation répétés des extrémistes.
Interrogé il y a quelques jours, Mustapha Ben Jaâfar, l’ancien président de l’Assemblée constituante, avait souligné que la réussite du Quartet s’était bâtie surtout sur la qualité et sur la pondération des personnalités qui le constituaient. L’initiative, a-t-il insisté, aurait pu mal tourner et constituer un précédent dangereux. En effet, lorsqu’on y réfléchit bien, le Quartet s’était octroyé l’auto-légitimité de chercher, de trouver et surtout de faire accepter des solutions susceptibles d’empêcher la Tunisie de s’engluer dans des guerres politiciennes et de sombrer dans l’impuissance institutionnelle. Bref de neutraliser un scénario que n’ont pu éviter d’autres nations aujourd’hui reconnues comme victimes plutôt que bénéficiaires du fameux « printemps arabe ».

DANS L’INDIFFÉRENCE GRANDISSANTE. Certains ont déploré que le Prix vienne une année trop tard. Nous pensons au contraire qu’il arrive juste à son heure. Tout d’abord, parce que le délai que s’est accordé le jury prouve que celui-ci a pris le temps d’analyser l’originalité et d’évaluer la portée d’une initiative dont les fruits définitifs ont été récoltés en fin 2014 quand les élections législatives, puis présidentielles venaient clore une séquence ouverte en janvier de la même année par l’adoption de la Constitution et la formation d’un gouvernement de technocrates.
A tout prendre, il valait mieux pour le Nobel de consacrer avec un certain recul une expérience décisive et unique dans son genre que de procéder au choix de la facilité comme le Prix l’avait fait à plusieurs reprises en accordant sa récompense la plus recherchée à des organisations du système des Nations unies ou encore à l’Union européenne. Non pas que ces institutions ne jouent pas un rôle important dans l’équilibre du monde, mais tout simplement car il entre dans leurs fonctions de remplir un tel rôle. C’est d’ailleurs pourquoi chacune de leurs défaillances est relevée avec autant de sévérité et que la lourdeur de fonctionnement dont elles font parfois preuve pénalise aussi lourdement les populations qu’elles secourent.
La deuxième raison pour laquelle il faut saluer la consécration du Quartet est que son action constituait la réponse donnée à une exigence qui tarde aujourd’hui encore à prendre corps dans bien des Etats de par le monde, celle d’une capacité nationale à dégager ses solutions propres pour sortir d’une crise d’ampleur exceptionnelle. De nombreux Tunisiens continuent jusqu’à présent à se montrer insatisfaits des réalités intérieures qu’ils affrontent et certains d’entre eux contestent les initiatives envisagées dans le cadre de la reconstruction de leur pays comme la Loi de la réconciliation économique. Mais le processus de redressement qu’ils ont mis en route fonctionne toujours, malgré ses lenteurs et ses imperfections. Il est de loin préférable à l’embourbement que connaissent d’autres nations. Il suffit par exemple de jeter un coup d’œil sur le énième plan de paix élaboré pour la Libye par l’émissaire spécial des Nations unies, Bernadini Leon, pour se rendre compte que le montage tarabiscoté qu’il propose ne tiendra pas devant les réalités militaires du terrain, la persistance des rivalités entre différentes tribus et le désir irrévocables des deux gouvernements en présence (celui de Tripoli et celui de Tobrouk) d’imposer chacun sa prééminence.
Il suffit aussi de voir comment la République centrafricaine continue à se déliter dans l’indifférence grandissante de la communauté internationale. Il n’y a malheureusement dans ce pays ni société civile capable de peser sur le cours des événements, ni grande figure publique suffisamment crédible pour se rallier l’appui des citoyens ordinaires, encore moins de sursaut massif de protestation citoyenne devant le naufrage annoncé de la nation. Par contre, les ratiocinations et le déni de la réalité érigés en méthodes de gouvernement par les autorités de la Transition détournent d’elles le peu de compétences encore dévouées au sauvetage du pays.

SE HÂTER AVEC PRUDENCE. Hors de la capacité nationale à se donner une volonté et un chemin, pas de salut. Au moment où se prépare la conférence de Paris du 22 octobre prochain, il n’est pas inutile de préciser une fois de plus l’entièreté de la vision malienne en ce qui concerne la reconstruction et la réconciliation nationale. Tout au long du processus des négociations d’Alger, le gouvernement avait sans relâche rappelé le même message. Un effort particulier doit logiquement porter sur le Septentrion qui a été la zone la plus éprouvée par les dommages du conflit armé et par l’insécurité. Mais il est indispensable de ne pas perdre de vue le fait que c’est le pays tout entier qui émerge d’une crise à la gravité et à la durée sans précédents. La recherche de solutions de sortie intègre par conséquent aussi bien la nécessité d’équité que l’impératif de solidarité. Ce fut d’ailleurs là une vérité répétée par tous les partenaires politiques et les représentants de la société civile que l’Exécutif avait sollicités dans sa démarche inclusive.
Cette nécessité et cet impératif sont d’autant plus importants à conserver à l’esprit que le centre du Mali a concentré sur lui au cours des dernières semaines les événements les plus significatifs de la montée de l’insécurité et que les terroristes y accentuent leur déstabilisation des localités du pays profond. Il ne faut donc pas que se développe chez les populations de ces zones exposées la sensation d’une moindre attention de l’Etat à leur égard et d’une préoccupation uniquement orientée vers le Nord du pays.
Ceci souligné, il est déjà tout à fait indispensable que pour réduire la difficulté à vivre des populations, le retour à la normale au Nord du Mali emprunte des voies particulières, comme les projets à impact rapide mis en œuvre par la MINUSMA. Mais dans d’autres domaines et quelle que soit la nécessité qu’il y a de poser des actes à forte portée symbolique, il faudrait certainement savoir se hâter avec prudence. Cela afin que les premiers jalons posés soient annonciateurs d’une vraie évolution positive. Et afin qu’ils ne deviennent pas demain la cause de frustrations supplémentaires. Certains experts envoyés en mission d’évaluation dans la Région de Kidal ont utilisé l’expression « coûte que coûte » pour parler de la relance rapide de certains services de base. Cela bien qu’ils aient constaté l’état de délabrement des infrastructures, la disparition des équipements, l’absence du personnel et les interrogations sur la sécurité.
La formule employée plus haut devrait donc être mise en œuvre avec un maximum de précautions. Car dans le traitement du cas kidalois, le volontarisme n’est pas synonyme de minoration des problèmes. Il s’exprimera surtout dans la détermination à ne pas se relâcher dans le franchissement progressif des obstacles et dans la tension à mettre dans l’effort. L’application de ces deux principes devrait suffire à élaborer un calendrier réaliste qui ne sacrifierait pas au seul effet d’annonce et, surtout, qui garantirait aux populations la réalité d’une embellie espérée depuis si longtemps.
La consécration accordée par le Nobel au Quartet tunisien est d’une certaine manière un hommage à l’audace des citoyens à se dévouer dans des entreprises périlleuses et une reconnaissance de l’infinie richesse de solutions que peut sécréter le génie des peuples. Le président Essebsi a vu dans le prix une récompense accordée à « la leçon de courage et de persévérance » donnée par ses compatriotes en une période difficile de leur histoire. Dans les temps complexes que notre pays affronte et au-delà des concours qui nous sont apportés, le récent Nobel rappelle que nous devons continuer à développer une aptitude à imaginer des voies alternatives lorsqu’il s’agit de sauvegarder notre avenir. Pour avoir le droit dans quelques années de nous féliciter du courage et de la persévérance que nous avons su démontrer.

G. DRABO

source : Essor

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