Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

L’avenir politique au Mali : LE PSYCHODRAME ET LE PRINCIPE DE RÉALITÉ

La vie politique a ses rudesses, mieux vaut les affronter en se fiant à la bonne boussole.

president republique mali parti rpm ibrahim boubacar keita ibk reunion discours

Les évidences sont, en principe, faites pour ne pas être oubliées. Par conséquent, quiconque qui entre en lutte politique devrait tout d’abord admettre qu’il met le pied dans un domaine qui doit s’accepter comme celui du sport de combat. La deuxième vérité à ne pas perdre de vue par l’impétrant est de garder constamment présent à l’esprit que le côté brutal et impitoyable des affrontements s’affirmera avec toujours plus d’acuité au fur et à mesure que montera l’importance des enjeux. La troisième vérité – beaucoup plus réconfortante que les deux précédentes – stipule que pour espérer rester dans la partie, il faut savoir dans certaines situations préférer un repli intelligent à un glorieux, mais définitif revers. L’acceptation préalable de ces trois règles basiques évite de tenir dans la défaite des discours d’une inutile émotivité, ou encore de livrer des combats d’arrière-garde lorsqu’on se retrouve en butte aux revirements, aux trahisons et aux disgrâces.
Loin de nous l’idée de laisser croire que la lutte politique se limite aux prérequis ci-dessus énoncés et peut se passer de l’apport des idées ou du secours des convictions. Celles-ci sont indispensables pour conquérir l’opinion et pour susciter l’espérance chez les électeurs. Mais il arrive inévitablement un moment où l’habit de lumière endossé pour les débats doit être abandonné pour le bleu de travail, tenue usitée aussi bien dans la conquête du pouvoir que dans l’exercice et la conservation de celui-ci. Car alors interviennent d’autres nécessités et prévalent l’intelligence de choix, la capacité à décider, la souplesse tactique et la rapidité à réagir. De brillantes intelligences se sont fracassées (parfois de manière irrémédiable) à l’épreuve du pouvoir pour n’avoir pas su adapter leurs qualités aux contraintes et aux rudesses de l’activité exécutive. A l’inverse, des personnalités beaucoup moins flamboyantes, mais conscientes de leurs propres limites, ont construit leur longévité sur leur aptitude à faire bien et simple.
Un destin politique tient parfois à peu de choses. Tout simplement parce qu’il ne repose pas uniquement sur ces éléments indispensables que sont le talent et le mérite. Dans de nombreux cas, il se joue principalement sur ce don particulier qu’est l’intuition et qui permet de décrypter correctement une conjoncture. Lorsque Barak Obama, alors jeune sénateur, fut critiqué par les sceptiques pour s’être lancé dans la bataille des primaires démocrates alors qu’il ne pouvait se prévaloir que d’un parcours assez modeste, l’un de ses soutiens les plus résolus, le révérend Jesse Jackson, formula un jugement plutôt original. Le pire qui pourrait arriver à son poulain, disait-il, serait de regretter dans quelques années de n’avoir pas suivi son instinct et de n’avoir même pas osé tenter. Mais pour oser, ajouterions-nous, il faut au moins s’assurer d’avoir des chances raisonnables de construire un rapport de forces en sa faveur ; d’avoir l’humilité de revêtir le bleu de travail ; et d’accepter de miser avant tout sur l’intelligence de choix et la souplesse tactique évoquées plus haut.
UN DROIT D’ANALYSE. Ce long préambule était, à notre avis, nécessaire pour revenir sur une question longuement traitée la semaine dernière et celle d’auparavant par nos confrères concernant le départ du gouvernement de Bocary Tréta, les répercussions éventuelles de cet événement au sein du RPM et sur la vie partisane en général. Nous avions dans une précédente chronique évoqué les maladresses (le terme est celui qui nous semble le mieux convenir en la circonstance) politiques accumulées par l’ancien ministre au cours de presque deux années et demie. Que le Secrétaire général du Rassemblement pour le Mali juge que sa formation doive de par la majorité léonine qu’elle s’est taillée à l’Assemblée nationale se voir octroyer un quota en proportion dans l’équipe gouvernementale relève du droit d’analyse politique le plus élémentaire.
Qu’il estime que la conduite de l’Exécutif doive être confiée à un homme qui de par son appartenance à la formation présidentielle serait la personnalité la mieux indiquée pour mobiliser l’action gouvernementale dans la réalisation de la vision du chef de l’Etat constitue une approche qui peut se comprendre, à défaut de se faire accepter sans réserve. Par contre, qu’il laisse avec constance sous-entendre que la fonction devrait en toute logique lui revenir introduit une vraie perturbation dans la relation de confiance absolue qui doit exister entre le président de la République et lui. Par contre encore, qu’il ait le souci immédiatement après son éviction de préparer son rebond politique et de s’assurer que l’appareil Tisserand l’accompagnerait dans cette entreprise représente, à notre avis, une faute tactique.
En effet, bien que le régime malien ne soit pas présidentialiste, notre Constitution s’inspire fortement de celle française. Or, et comme l’a fait constater l’éminent analyste politique Jean- François Revel, celle-ci est fortement marquée par la vision gaulliste de l’exercice du pouvoir. Vision qui non seulement place le chef de l’Etat au centre du jeu politique et institutionnel, mais qui lui garantit aussi une totale invulnérabilité. Cela même lorsque l’équilibre entre les institutions parait lui être fortement défavorable, ainsi que cela s’était produit en France dans les situations de cohabitation avec des Premiers ministres du camp opposé qu’ont eu à vivre François Mitterrand et Jacques Chirac. Le pouvoir présidentiel peut se trouver érodé, mais jamais annihilé.
Ce simple rappel montre donc toute l’improbabilité d’un scénario qui supposerait que le N° 2 du parti présidentiel soit en capacité d’influencer le chef de l’Etat dans le choix du chef du gouvernement ou encore d’animer une résistance interne en cas d’échec. Car, rappelons-le, la Constitution de la Vème République avait parmi ses préoccupations majeures celle de mettre le président de la République à l’abri du jeu des partis. Et la Conférence nationale de 1991 qui avait élaboré le projet de Constitution du Mali démocratique avait reconduit le même souci. Les commentaires que l’on entend régulièrement revenir sur la légitimité qu’aurait un Premier ministre s’il comptait parmi les poids lourds du parti majoritaire ne sont certes pas à balayer d’un revers de main. Mais dans notre situation, ils ne proposent qu’un scénario parmi beaucoup d’autres, et non pas une formule incontournable.

SANS RISQUES. C’est d’ailleurs ainsi la perception partagée de tous les chefs d’Etat maliens élus depuis 1992. Tous ont donc été confrontés à l’ambition des formations politiques à garder un droit de regard en ce qui concerne l’entrée de leurs « délégués » au gouvernement. Tous ont donné à ce desiderata partisan la même réponse : la préservation d’une totale liberté dans le choix du Premier ministre et en compensation, la traduction de l’importance des différents partis représentés lors de l’établissement de la préséance gouvernementale.
A la notable exception du dernier titulaire de la fonction, l’actuel Premier ministre Modibo Keïta, le président Konaré avait certes puisé dans le vivier adémiste pour la désignation du chef du gouvernement, mais il s’était bien gardé de solliciter du Comité exécutif du PASJ ne serait ce qu’un avis consultatif et il avait pris soin de ne pas porter son choix sur des personnalités au profil militant marqué. Avec tout le respect qui leur est dû, on ne peut pas dire que Younoussi Touré, Me Abdoulaye Sékou Sow et Mandé Sidibé aient été des figures connues des adhérents de base. Ibrahim Boubacar Keïta, porté à la tête du parti en septembre 1994, a réussi une ascension atypique puisqu’il avait bâti son exceptionnelle popularité dans les rangs adémistes par la fermeté avec laquelle il avait exercé depuis février de la même année sa charge primatoriale dans une période difficile. Une période qui avait vu les Rouges et blancs abandonnés par presque tous leurs alliés et compagnons de route.
Le président Touré avait, pour sa part, mis à profit une situation particulière. En 2002 et en 2007, aucun parti, ni aucune coalition de partis n’avaient acquis une majorité suffisante à l’Assemblée nationale pour exiger le poste de PM en brandissant la menace d’un blocage des dossiers du gouvernement au niveau de l’Hémicycle. Le chef de l’Etat a donc pu, sans encourir de risque particulier, appliquer sa volonté de mettre à la tête de l’Exécutif un homme sans étiquette partisane. Ce schéma a été reconduit par le président Keïta, mais pour des raisons absolument différentes. Au risque de froisser ceux qui se prétendaient les pères de son triomphe, le chef de l’Etat avait très tôt asséné une vérité qui allait guider ses choix futurs. Ce n’était pas, avait-il dit, ses camarades du RPM qui l’avaient fait élire, mais le peuple malien qui l’avait élu.

DIVERS DISFONCTIONNEMENTS. Il est impossible de le contredire au vu du score réalisé par lui et qui allait bien au-delà de l’audience d’un parti. Tout comme il est impossible de nier que la victoire présidentielle a créé un exceptionnel appel d’air dans lequel s’est laissé porter le RPM pour atteindre une majorité presque stratosphérique alors que dans la précédente législature il comptait 11 députés. C’est donc en s’appuyant sur sa légitimité personnelle que Ibrahim Boubacar Keïta a fait l’option de confier les rênes de l’Exécutif tout d’abord à des représentants d’une nouvelle génération de technocrates, puis d’hommes politiques avant de faire la mise sur l’expérience d’un grand commis de l’Etat. Il reste donc à certains dirigeants des Tisserands à abandonner préventions et états d’âme en acceptant ce qu’ils ne pourront d’aucune manière infléchir. Car, comme le disait De Gaulle, « On ne gouverne pas avec des « mais … » ».
Il leur faut aussi prêter une réelle attention aux encouragements à l’ouverture prodigués par le président Keïta. Encouragements explicitement donnés lors des tournées présidentielles dans les Régions de Sikasso et de Ségou, encouragements réitérés avec insistance lors de la cérémonie de présentation de vœux réunissant les partis politiques. Le chef de l’Etat avait à cette occasion expliqué qu’il n’était pas dans un schéma d’union sacrée avec l’opposition ; mais dans la logique d’un échange fécondant sur les grands problèmes du pays, échange dans lequel chacun se prononcerait selon sa vision et ses convictions.
Il restera enfin et surtout aux Tisserands à clarifier la cruciale question du leadership à l’intérieur de leur parti. La très instructive interview donnée la semaine dernière par le président par intérim du Rassemblement, Boulkassoum Haïdara, à notre confrère « Le Prétoire » constitue en fait un édifiant relevé de divers disfonctionnements internes qui ont eu comme conséquence regrettable de conduire le même responsable à signer l’un après l’autre deux communiqués parfaitement contradictoires. Le premier de quasi défiance au chef de l’Etat, le second de fervente adhésion aux décisions présidentielles. Le RPM paie le tribut de sa fulgurante installation à l’avant-scène de la vie politique. Au jour d’aujourd’hui, il est semblable à une armée qui du fait d’une progression trop rapide voit ses troupes se fragmenter en une série de cohortes ; ses centres de décision se démultiplier ; et ses rangs grossis par un afflux de supplétifs accourus au secours de la victoire. Ainsi s’expliquent les interminables querelles de légitimité dans les sections et le recours à la justice pour trancher dans des litiges internes. Le congrès de Mars prochain ne manquera donc pas de défis pour un parti que Ibrahim Boubacar Keïta souhaite plus à l’initiative.
D’ici là, il y aura peut-être encore d’autres psychodrames pour mettre en émoi le landerneau politique malien. Celui-ci démontre depuis un certain temps une préférence pour les emballements singuliers et pour les brasiers médiatiques. En attendant que ne revienne le temps des vérités basiques et des questions qui méritent des réponses dépassionnées ?

G. DRABO

Source : Essor

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance