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L’avenir politique au Mali : LE COMBAT CHANGE D’ÂME

L’enchaînement des événements tragiques de la semaine dernière montre que la guerre contre le terrorisme a franchi un nouveau palier. Et requiert que nous nous y adaptions

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Le désarroi et l’anxiété. Tels ont été certainement les sentiments les plus partagés au sein de l’opinion nationale la semaine dernière. Pour la deuxième fois en l’espace de cinq mois, c’est-à-dire depuis l’attentat survenu au restaurant « La Terrasse », nos compatriotes se sont interrogés avec une profonde inquiétude sur ce que leur réservait le très proche avenir. Pour la deuxième fois, la parfaite imprévisibilité des événements qui se sont de surcroit enchaînés de manière déstabilisante les a fortement désorientés. Pour la deuxième fois, ils ont ressenti avec une rare acuité que la conquête de la normalité dans laquelle nous nous sommes engagés n’est aucunement synonyme d’un rétablissement de la normale telle que nous l’avions connue avant que le 17 janvier 2012 (date de la première attaque de la rébellion) ne nous fasse basculer dans une autre ère.
Ce ne serait pas recourir à une métaphore inutilement mélodramatique que de comparer notre pays en sortie de crise à un patient dont les défenses immunitaires auraient été affaiblies, qui se trouverait astreint à un régime médical sévère et qui devrait s’imposer une vigilance permanente, car tout relâchement de sa part l’exposerait à une affection sévère. Le patient guérira sûrement, car il a la ressource et le mental pour cela. Mais il n’y aura ni traitement providentiel pour accélérer son rétablissement, ni cure miraculeuse pour lui épargner une laborieuse convalescence. Nos compatriotes se convainquent chaque jour davantage de ces difficiles vérités. Dans la guerre contre le terrorisme qui a gagné en intensité depuis plusieurs semaines, nous devons malheureusement nous résoudre à expérimenter à une échelle qui nous sera propre la formule churchillienne promettant « du sang, de la sueur et des larmes ».
Nous devons nous y résoudre ni par fatalisme, ni par résignation. Mais en admettant un certain nombre de raisons objectives. Tout d’abord, il est maintenant établi que nous combattons un ennemi qui visiblement a choisi de démontrer sa capacité à frapper en tout lieu et à l’improviste. La difficulté à le neutraliser tient donc au fait que son objectif n’est pas d’acquérir un quelconque avantage militaire décisif, mais de semer autant que possible le trouble et l’insécurité. Ensuite, il faut reconnaitre que nos forces armées et de sécurité auront inévitablement besoin d’un temps d’adaptation aux schémas et aux exigences d’une guerre asymétrique dans laquelle elles ne sont véritablement engagées que depuis peu. Enfin, il est évident que la vigilance populaire, contribution indispensable à la neutralisation des agresseurs par un renseignement de qualité, devra pour être décisive surmonter la barrière de la peur et surtout s’affranchir de la facilité de la stigmatisation.

UNE GRADUATION DANS LES ACTIONS. Voilà donc autant de réalités qu’il nous faut intégrer pour ne nous tromper ni de cibles, ni de méthodes. L’ennemi, c’est le terrorisme qui a gardé quasiment les mêmes contours que ceux sous lesquels il s’est manifesté depuis 2012 et qui englobent dans la même nébuleuse AQMI, Ançar Dine, Al-Mourabitoune, le MUJAO sans oublier la nuée des groupes de moindre importance issus de dissidences ou les bandes armées (comme celle qui a massacré dix civils dimanche à Gabéri) plus portées sur le pillage et le commerce d’otages. La multiplicité des visages que peuvent revêtir les assaillants constitue un facteur compliquant indiscutable, car elle amplifie l’imprévisibilité des attaques et multiplie les types d’agression. L’épisode de Sévaré est à cet égard symptomatique de la difficulté à cerner l’identité des agresseurs lorsque l’opération ne fait pas encore l’objet de revendications. S’agissait-il d’une tentative d’enlèvement d’otages ? Dans ce cas là, le moins que l’on puisse dire, c’est que les kidnappeurs se sont multipliés à eux-mêmes les difficultés.
Ils sont apparemment venus sans véhicules, ont opéré en un lieu et dans une localité qui ne leur permettaient pas un repli rapide, se sont exposés à une réplique rapide pouvant provenir non seulement de l’armée malienne, mais aussi des forces onusiennes et des éléments de Barkhane. Le « commando » (les guillemets sont de rigueur vu les zones d’ombre qui demeurent encore) visait-il surtout un coup d’éclat à fort retentissement médiatique, c’est-à-dire une prise d’otages ? Dans cette hypothèse, il faut aussi relever le caractère cahotant des actions qui ont débuté par l’attaque-éclair sur le véhicule des contractants de la MINUSMA avant que les assaillants ne se barricadent dans l’hôtel Byblos. Les enquêtes en cours permettront sans doute de reconstituer le fil exact des événements et de mieux cerner le projet des terroristes. Ce qu’il faut surtout retenir aujourd’hui, c’est le coût humain élevé du raid au niveau de nos soldats et du personnel contractant de la MINUSMA ainsi que l’accaparement médiatique international dont a bénéficié l’opération.
Au moment où l’Essor bouclait, celle-ci n’avait pas encore été revendiquée. Pas plus que ne l’avait été le mitraillage du poste de gendarmerie de Baguinéda qui a eu lieu le samedi à l’aube. Mais lorsqu’on tire un bilan sommaire des agressions perpétrées au cours de la semaine dernière et de celle d’auparavant, on remarque qu’une graduation dans les actions menées ressort nettement. Les djihadistes concentrent pour le moment les plus meurtrières de leurs opérations (dont la plus récente était celle de Gourma-Rharous) dans le Septentrion. C’est-à-dire là où leur connaissance du terrain et la disponibilité d’une logistique plus importante leur permettent d’agir avec le plus d’effet. Deuxième caractéristique, les terroristes accentuent désormais leurs raids dans le centre du pays où se reconstituent et donnent l’impression de se fortifier les réseaux du MUJAO et du Front de libération du Macina. C’est sans doute de ces groupes que viennent les auteurs de l’équipée de Sévaré et du meurtre de nos deux soldats sur l’axe Diabali-Nampala.
Par contre, l’accalmie observée dans la Région de Sikasso depuis que l’armée a procédé au nettoyage de la forêt de Sama démontre la faiblesse de l’implantation du réseau djihadiste dans cette zone qui ne lui est pas sociologiquement accueillante. Les agresseurs peuvent certes y entretenir des cellules dormantes dispersées et bénéficier de sympathies au niveau des communautés religieuses intégristes, mais il serait peu probable de les voir dépasser le stade des coups d’éclat ponctuels et limités. Cependant la garde ne doit pas être pour autant baissée. Car il serait extrêmement dangereux de sous-estimer l’impact d’un seul raid sur le moral de la population locale et les retombées d’une éventuelle attaque sur les activités socioéconomiques. Enfin, le relatif amoindrissement des attaques au Sahel occidental ne constitue pas un indice de l’affaiblissement des mouvements qui y opèrent. C’est d’ailleurs pourquoi nos forces armées et de sécurité y déploient une vigilance particulière, encore renforcée après l’attaque sur Nara.

UNE LENTEUR REMARQUÉE. Le péril terroriste imprègne donc à nouveau l’actualité malienne et devant la situation actuelle, trois questions très différentes se posent. La première concerne la nécessité d’une trêve politique implicite face à la dégradation de la situation sécuritaire. L’on se souvient que dans les années 1990, au plus fort de la reprise des attaques de la rébellion, un meeting unitaire avait réuni au Palais de la culture les principales formations politiques. Aujourd’hui, il est improbable que l’union sacrée s’exprime sous cette forme et il n’est certainement pas inutile que l’opposition exprime ses remarques critiques sur la gestion gouvernementale de la crise. Tout comme l’avait fait le RPM en 2006 sur les dispositions de l’ « Accord d’Alger pour la restructuration de la paix, de la sécurité et du développement dans la Région de Kidal ».
Mais d’un autre côté, il est certain que majorité comme opposition n’ont rien à gagner dans une polémique comme celle qui les a opposées la semaine dernière sur l’opportunité de la mise en congés du gouvernement. L’URD l’a implicitement admis en revenant à des alertes sobrement exprimées dans son communiqué condamnant l’attaque perpétrée à Sévaré. En effet, dans l’atmosphère actuelle, l’opinion ressentirait très mal tout ce qui ressemblerait à des empoignades politiciennes.
La deuxième question, soulevée d’ailleurs par le Porte-parole du gouvernement lors de son intervention chez nos confrères de France 24, concerne l’attitude de la Coordination des mouvements de l’Azawad face à la multiplication des actes terroristes. Le communiqué du regroupement s’élevant contre la prise d’otages de Sévaré n’a été rendu public que hier, cela dans l’émission matinale de la BBC Afrique. Jusque là, la CMA s’était abstenue de toute condamnation. Elle ne s’était manifestée les jours précédents que pour interpeller la MINUSMA sur de prétendues violations des dispositions du cessez-le-feu par l’armée malienne et pour s’indigner des arrestations auxquelles avaient procédé les FAMas suite à l’attaque de Gourma-Rharous. Cette lenteur remarquée de réaction a deux explications. En premier lieu, l’éventail étendu des sensibilités au sein de la Coordination complique la formulation d’une position acceptée par tous et allonge donc les délais de prise de décision pour les questions dans lesquelles la CMA ne se sent pas directement impliquée.
Ensuite, nombre de personnalités à l’intérieur du regroupement anciennement rebelle ne se considèrent visiblement pas encore partenaires à part entière du gouvernement. Pour l’être, elles attendent d’avoir enregistré les ainsi dénommés « gestes de confiance ». Notamment l’entrée dans l’Exécutif et l’inclusion de représentants dans la haute administration. Le problème est que cette logique de fonctionnement nuit à la Coordination sur le plan de l’image et surtout elle met à mal le plaidoyer que développe assidument le gouvernement sur les bénéfices de la signature du 20 juin dernier. Car pour la majorité de nos compatriotes, la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation entraine tout au moins une prise de distance publique d’avec les actions terroristes et la condamnation de celles-ci chaque fois qu’elles seront enregistrées.

LE TRÈS PEU D’ARDEUR DES CONTRIBUTEURS. La troisième question, soulevée aussi bien par le gouvernement que par l’opposition, est celle d’un soutien accru de la communauté internationale en faveur de notre pays. Elle aurait dû logiquement trouver sa réponse lors du renouvellement du mandat de la MINUSMA. Mais ni le plaidoyer de notre ministre chargé des Affaires étrangères, ni la description de la position difficile des troupes onusiennes par leur chef, le général Michael Anker Lollesgaard, n’ont réussi à convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies d’attribuer un mandat plus robuste à la Mission.
Pourtant la dégradation de la situation sécuritaire était des plus évidentes et les pertes importantes en vies humaines subies par les troupes onusiennes prouvaient que celles-ci étaient délibérément et constamment ciblées par les terroristes alors qu’elles ne disposent pas des moyens d’une riposte appropriée. Mais le Conseil n’a voulu retenir pour sa décision finale que l’élément le plus positif de la situation – la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation – et a, par conséquent, adapté les tâches de la Mission à cette seule donnée. Y a-t-il eu de la part de l’instance onusienne une sous-estimation de la montée des périls au Mali ? C’est peu probable.
Par contre, il peut y avoir eu une vraie réticence à affronter tous les réaménagements imposés par une éventuelle montée en première ligne des Casques bleus, aujourd’hui peu préparés aux opérations meurtrières d’une guerre asymétrique. La crainte d’un énième embourbement dans un conflit interne africain pourrait avoir aussi compté dans les raisons implicites du statu quo observé par le Conseil. De la République démocratique du Congo à la Somalie en passant par le Soudan, l’ONU a en effet essuyé depuis 1960 les plâtres des conflits qui s’éternisent sur notre continent. Elle sait le très peu d’ardeur que mettraient la plupart des pays contributeurs à s’impliquer plus en avant au Mali et à affronter des opinions publiques hostiles à tout ce qui ressemblerait pour elles à une expédition militaire probablement coûteuse en vies humaines.
Qu’attendre alors de la communauté internationale ? Un soutien en renseignements que peut apporter une technologie dont nous ne disposons pas, une aide au renforcement des équipements sur lesquels s’acharnent les djihadistes, un appui à la formation des troupes spéciales pour laquelle notre pays est déjà avancé, un encouragement à la mutualisation des efforts de la région sahélo-saharienne dans la lutte anti-terroriste. Si l’accompagnement sur ces différents éléments était apporté avec constance et générosité, ce serait déjà bien et beaucoup. Mais il y a une ultime vérité que nous devons intégrer : l’importance de ce qui nous sera amené sera certainement fonction de la pertinence de ce que nous ferons.
G. DRABO

source : L’ Essor

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